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JULIE.

Je me nomme Julie, comtesse Appiani. Je suis pupille du cardinal Grimani, qui m'a laissé son bien par testament, après sa mort; je veux que mon nom soit rayé de ce testament, et le tien écrit à la place. Maintenant, prends cette bague,

Elle se coupe une mèche de cheveux.

et mets cela dedans.

Elle fait ouvrir la porte, et monte dans sa chaise.

L'ABBÉ.

Où ordonnerai-je à ces porteurs de vous mener, madame?

JULIE.

Chez les sœurs de la Visitation; prêtre, tu diras à ma mère que j'ai pris le voile.

Ce proverbe a été écrit pour le Dodécaton, publication composée de douze morceaux de littérature par douze écrivains différents. (Paris, 1837.) Nous le réimprimons aujourd'hui pour la première fois.

DE LA TRAGÉDIE

A PROPOS

DES DÉBUTS DE MADEMOISELLE RACHEL

Il se passe en ce moment au Théâtre-Français une chose inattendue, surprenante, curieuse pour le public, intéressante au plus haut degré pour ceux qui s'occupent des arts. Après avoir été complétement abandonnées pendant dix ans, les tragédies de Corneille et de Racine reparaissent tout à coup et reprennent faveur. Jamais, même aux plus beaux jours de Talma, la foule n'a été plus considérable. Depuis les combles du théâtre jusqu'à la place réservée aux musiciens, tout est envahi. On fait cinq mille francs de recette avec des pièces qui en faisaient cinq cents; on écoute religieusement, on applaudit avec enthousiasme Horace, Mithridate, Cinna; on pleure à Andromaque et à Tancrède.

Il est ridicule et honteux que ce soit un prodige; cependant c'en est un. On ne peut nier l'oubli profond

dans lequel était tombé l'ancien répertoire. Cet oubli était si bien constaté, que quelques personnes, et même des gens d'esprit, regardent l'affluence qui se porte maintenant au Théâtre-Français comme le résultat d'un engouement passager qui ne peut pas durer. D'un autre côté, comme il y a très-longtemps que ces pièces n'avaient été suivies, on voit des gens qui arrivent là comme en pays étranger, et qui jugent au foyer nos vieux chefs-d'œuvre comme des vaudevilles nouveaux. Les uns, restés fidèles à la littérature classique, proclament une révolution, ou pour mieux dire une restauration, et disent tout haut que le romantisme est mort; les autres, accoutumés au genre à la mode, et à tout le fracas de nos mélodrames, s'indignent, soit à plaisir, soit de bonne foi, et paraissent disposés à renouveler les querelles oubliées entre la nouvelle et l'ancienne école. C'est un assez singulier chaos que ces opinions diverses.

Une jeune fille qui n'a pas dix-sept ans, et qui semble n'avoir eu pour maître que la nature, est la cause de ce changement imprévu qui soulève les plus importantes questions littéraires. Avant d'essayer d'observer ces questions, il faut dire un mot de la débu

tante.

Mademoiselle Rachel est plutôt petite que grande; ceux qui ne se représentent une reine de théâtre qu'avec une encolure musculeuse et d'énormes appas noyés dans la pourpre, ne trouveront pas leur affaire; la taille

de mademoiselle Rachel n'est guère plus grosse qu'un des bras de mademoiselle George; ce qui frappe d'abord dans sa démarche, dans ses gestes et dans sa parole, c'est une simplicité parfaite, un air de véritable modestie. Sa voix est pénétrante, et, dans les moments de passion, extrêmement énergique; ses traits délicats, qu'on ne peut regarder de près sans émotion, perdent à être vus de loin sur la scène; du restè, elle semble d'une santé faible; un rôle un peu long la fatigue visiblement.

Si, d'une part, on considère l'âge de cette jeune tragédienne, et si on réfléchit, d'un autre côté, combien l'expérience est indispensable au comédien, seulement pour dire juste, on doit éprouver une grande défiance en voyant paraître un enfant sous les traits d'Hermione et de Monime. Que de sentiments, en effet, ne faut-il pas avoir connus par soi-même, et jusqu'à l'excès, pour oser rendre des rôles si variés, si passionnés, si profonds, tracés par la main des plus grands maîtres qui aient jamais sondé le cœur de l'homme? Mademoiselle Rachel n'a pas l'expérience du théâtre, et il est impossible qu'à son âge elle ait l'expérience de la vie. On devait donc s'attendre à ne trouver en elle que des intonations plus ou moins heureuses apprises au Conservatoire et répétées avec plus ou moins d'adresse et d'intelligence. Il n'en est rien; elle ne déclame point, elle parle; elle n'emploie, pour toucher le spectateur, ni ces gestes de convention, ni ces cris furieux dont

on abuse partout aujourd'hui; elle ne se sert point de ces moyens communs, qui sont presque toujours immanquables, de ces contrastes cadencés qu'on pourrait noter, et dans lesquels l'acteur sacrifie dix vers pour amener un mot; là où la tradition veut qu'on cherche l'effet, elle n'en produit pas la plupart du temps. Si elle excite l'enthousiasme, c'est en disant les vers les plus simples, souvent les moins saillants, et aux endroits où l'on s'y attend le moins. Dans Tancrède, par exemple, lorsque Aménaïde, accusée par son amant, s'écrie:

Il devait présumer qu'il était impossible
Que jamais je trahisse un si noble lien.

Il est certainement difficile de trouver deux vers plus ordinaires, on peut même dire plus prosaïques. Ils sont au milieu d'une tirade, et par conséquent, n'appellent point l'attention. Cependant, quand mademoiselle Rachel les prononce, un frémissement électrique parcourt toute la salle, et les applaudissements éclatent de toutes parts.

On peut juger par cet exemple du talent particulier de la jeune actrice, car ces deux vers, tout faibles qu'ils sont, n'en expriment pas moins un sentiment vrai, l'indignation d'une âme loyale qui se voit injustement soupçonnée; ce sentiment suffit à mademoiselle Rachel ; elle s'en empare, et elle le rend avec tant de justesse et d'énergie que ce seul mot d'impossible devient sublime

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