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mais français et nationaux? Il me semble qu'on aimerait à voir sur notre scène quelques-uns de ces vieux héros de notre histoire, Duguesclin ou Jeanne d'Arc chassant les Anglais, et que leurs armures sont aussi belles que le manteau et la tunique.

Ne serait-ce pas une entreprise hardie, mais louable, que de purger la scène de ces vains discours, de ces madrigaux philosophiques, de ces lamentations amoureuses, de ces étalages de fadaises qui encombrent nos planches, et d'envoyer cette friperie rejoindre les marquis de Molière et les banquettes du comte de Lauraguais?

Pourquoi ne prendrions-nous pas pour devise ce vers de Chénier, qui a servi d'épigraphe au romantisme, et qui serait vraiment applicable à la renaissance de la tragédie :

Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques.

Ne serait-ce pas une grande nouveauté que de réveiller la muse grecque, d'oser la présenter aux Français dans sa féroce grandeur, dans son atrocité sublime? « Les malheurs qui arrivent à des amis ou à des indifférents, dit Aristote, ne sont point tragiques; une mère qui tue son fils, un fils qui égorge son père, un frère près d'ètre immolé par sa sœur, voilà des sujets de tragédie. » Ce ne sont pas là, comme on voit, des madrigaux.

Ne serait-il pas curieux de voir aux prises avec le

drame moderne, qui se croit souvent terrible quand il n'est que ridicule, cette muse farouche, inexorable, telle qu'elle était aux beaux jours d'Athènes, quand les vases d'airain tremblaient à sa voix?

Ne serait-il pas temps de prouver que la tragédie est autre chose qu'une statue qui déclame, de montrer enfin qu'on peut agir en parlant, et marcher avec le cothurne?

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Ne serait-il pas temps de ramener dans les sujets sérieux la franchise du style, d'abandonner la périphrase, cette pompeuse et frivole manière de tourner autour de la pensée? N'est-il donc pas aussi noble de dire, par exemple, « un homme qui frappe avec son épée, » que, « un mortel qui immole avec son glaive?»> Les anciens méprisaient cette timidité, et Corneille ne parlait pas ainsi.

Telles sont les questions que j'oserais adresser aux écrivains qui sont en possession d'une juste faveur parmi nous, si le talent de la jeune artiste qui remet aujourd'hui en honneur l'ancien répertoire les engageait, comme il est probable, à écrire un rôle pour elle.

1er novembre 1858. (Revue des Deux Mondes.

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THEATRE-FRANÇAIS

REPRISE DE BAJAZET

MADEMOISELLE RACHEL

Le Théâtre-Français vient de reprendre Bajazet, mademoiselle Rachel joue Roxane; c'est, si je ne me trompe, son sixième début. La critique, qui s'était montrée cinq fois indulgente et juste en même temps (chose presque rare), a fait preuve, cette fois, de sévérité; j'avoue que je ne sais pas pourquoi; mais huit feuilletons, écrits le même jour par des gens d'esprit et de goût, sont mécontents de cette reprise. Je ne sais pas non plus pourquoi ils font de cet essai une circonstance à peu près décisive, sur laquelle on remet en question le mérite de la jeune artiste et celui de Racine par la même occasion; j'avais assisté à la reprise, j'y suis retourné en toute conscience, afin de tenter d'éclaircir ce point, et je sais encore moins pourquoi.

Des six rôles que mademoiselle Rachel a représentés depuis qu'elle est au théâtre, après Hermione, Roxane me semble celui dans lequel il faut la voir, préférablement à tout autre.

Je me souviens qu'un jour, au bal, je vis entrer une jeune femme (c'était une actrice, ce qui rentre dans mon sujet), et je me retournai vers mon voisin, pour lui dire que je la trouvais jolie; mon voisin était un Anglais, homme d'esprit; il fut de mon avis. « Cependant, lui dis-je, les journaux disent qu'elle est laide.

Mais vous savez, me répondit-il, une journal, c'est une jeune homme. Comment, un jeune homme? Eh oui! c'est une jeune homme qui écrit pour dire comme il voit, pas autre chose. - Fort bien, mais plusieurs journaux trouvent cette personne laide. Eh bien ! me répondit mon Anglais, nous voilà deux qui le trouvons jolie; nous sommes autant que deux jour

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Encouragé par cet exemple, j'ose déclarer que je suis un jeune homme qui trouve Bajazet joli et Roxane charmante. J'ai beau faire, je ne comprends pas ce qu'on a trouvé de mal à cette reprise. La décoration? Elle est fort convenable. Les costumes? Ils sont tout battant neufs, passablement exacts. Les acteurs? Mais ce sont les mêmes qui ont joué Mithridate, Andromaque, Cinna, etc., etc., excepté celui qui est chargé du rôle de Bajazet. Joanny, qui joue Acomat, jouait Mithridate, Auguste, le vieil Horace; mademoiselle Ra

but, qui représente Atálide, représente Andromaque, Sabine; d'où vient donc le mécontentement dont on parle, et que, du reste, il m'a été impossible de remardans la salle? Il ne reste que deux choses à critiquer, ou l'auteur, ou la principale actrice.

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Comme il me semble que l'auteur est Racine, je ne m'y arrête pas, pour cause. C'est donc l'actrice qu'on attaque. Pourquoi dans ce rôle? Elle l'a étudié, il suffit de la regarder pour le voir, et de l'écouter pour le sentir; a-t-elle un moins bon maître, moins d'intelligence, moins de cœur? Est-elle plus faible, ou moins inspirée, ou plus craintive, ou moins bien placée dans cette pièce? ou enfin, paraissant sous les habits de Roxane et obligée à quelque éclat, est-elle plus petite qu'il y a un mois? Cette dernière question est peut-être la plus importante; je crois, en effet, que c'est le reproche le plus sérieux qu'on puisse adresser à mademoiselle Rachel; elle n'est pas grande; voilà une chose sur laquelle il faut prendre son parti. Pellegrini, excellent acteur, chanteur divin, avait le nez trop long; Lablache est un peu gros; Duprez est aussi trop petit; tout cela est fâcheux. Mademoiselle Rachel est donc petite, à telle enseigne qu'au quatrième acte de Bajazet, pendant le monologue, j'ai entendu quelqu'un du parterre s'écrier: « Quel petit démon! » Ce quelqu'un-là ne se doutait guère qu'en parlant ainsi il résumait habilement de grandes questions, et que son mot valait un feuilleton tout entier. En effet, ne serait-il pas curieux

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