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musiciens, tous tant que nous sommes, nous n'avons qu'une chose à faire lorsque nous allons aux Français, c'est d'applaudir mademoiselle Rachel, de la soutenir de toutes nos forces, de la vanter mème outre mesure, s'il le faut, sans crainte de la gâter par nos éloges. N'est-ce pas un assez beau spectacle que cette volonté, cette puissance d'une jeune fille, qui ne se laisse troubler ni par la multitude, ni par les répliques si souvent fausses des acteurs qui jouent avec elle, ni par la difficulté, ni par la grandeur de sa tâche, mais qui arrive scule, simplement et tranquillement, se poser devant le parterre et parler selon son cœur? N'en fait-elle pas assez par cela seul qu'elle fait ce qu'elle peut, et qu'elle peut régénérer l'art au temps où nous sommes ? Quant à moi, si je savais qu'un des articles dirigés contre elle l'eût affligée, et si je l'avais vue pleurer, je lui aurais dit : « Pleurez pour Bajazet, mademoiselle ; pleurez pour Pyrrhus, pour Tancrède; voilà des sujets dignes de vos pleurs, et soyez sûre que la moindre larme que vous verserez pour eux sur la scène en fera plus pour votre gloire que tous les feuilletons de l'uni

vers. >>

Il n'y a de bonne cause que celle de l'avenir, car c'est la seule à qui doive rester la victoire. On peut nuire à cette cause, la gèner, l'affaiblir, mais non la détruire; voilà ce qu'on ne sait pas assez. On peut écraser un talent médiocre, on peut aussi le faire valoir et lui donner une apparence de renommée; mais vouloir

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étouffer un vrai talent, c'est la même chose que d'essayer de prouver que le bleu est rouge, ou qu'il fait clair à minuit; c'est s'attaquer à plus fort que soi, c'est perdre son temps d'une méchante manière; le talent triomphe tôt ou tard, car il n'a qu'à se montrer pour qu'on le reconnaisse. Celui qui me dirait que mademoiselle Rachel est l'objet d'un caprice du public, et qu'elle ne tiendra pas ses promesses, je ne lui répondrais qu'une chose Mon esprit peut porter un faux jugement, mais quand je suis ému, je ne saurais me tromper; je puis lire ou écouter une pièce de théâtre et m'abuser sur sa valeur, mais, eussé-je le goût le plus faux et le plus déraisonnable du monde, quand mon cœur parle, il a raison. Ce n'est pas là une vaine prétention à la sensibilité, c'est pour vous dire que le cœur n'est point sujet aux méprises de l'esprit, qu'il décide à coup sûr, sans réplique, sans retour, que ni brigues ni cabales ne peuvent rien sur lui, que c'est, en un mot, le souverain juge. Voilà ce qui me donne la hardiesse de répéter ce que j'ai déjà dit de mademoiselle Rachel, qu'elle sera un jour une Malibran. Voilà pourquoi j'ai vu avec peine, avec tristesse, qu'on l'ait attaquée; voilà enfin pourquoi il me semble que, si peu de crédit qu'on ait, il faut la défendre autant qu'on le peut, et se garder surtout de vouloir détruire dans le cœur d'une enfant le germe sacré, la semence divine, qui ne peut manquer de porter ses fruits.

1er décembre 1858. (Revue des Deux-Mondes.)

CONCERT

DE

MADEMOISELLE GARCIA

Je ne sais pourquoi l'apparition des morts est regardée en général comme une chose si horrible et si effrayante; les esprits les plus fermes sont, à cet égard, aussi faibles que les enfants. Nous frémissons à l'idée de voir reparaître un seul moment les êtres que nous avons le plus aimés, ceux dont la mémoire nous est la plus chère. Au lieu de cette belle coutume des anciens « de séparer par l'action d'un feu pur cet ensemble parfait formé par la nature avec tant de lenteur et de sagesse,» nous ensevelissons à la hate, en détournant

les yeux, les corps de nos meilleurs amis, et une pelletée de terre n'est pas plutôt tombée sur ces corps, que tout le monde évite d'en parler. Il semble que ce soit manquer aux convenances que de rappeler à un fils, à un frère, une mère, une sœur morte; au lieu de ces

urnes qui renfermaient jadis la cendre des familles, et qui restaient près du foyer, nous avons imaginé ces affreux déserts qu'on appelle des cimetières, et nous avons remplacé les évocations antiques par la peur des

revenants.

Depuis que mademoiselle Garcia commence à se faire connaître, tous ceux qui l'ont vue ont remarqué sa ressemblance avec la Malibran, et, le croirait-on, il paraìt certain que plusieurs des anciens amis de la grande cantatrice ont été presque épouvantés de cette ressemblance. On cite, là-dessus, de nombreux exemples, parmi lesquels j'en choisirai un. Il y a à peu près un an, une demoiselle anglaise prenait, à Londres, des leçons de Lablache, qui habitait la même maison que mademoiselle Garcia; la jeune personne se disposait à chanter un air de Norma, et son maître, tout en la conseillant, lui parlait de la manière dont la Malibran comprenait cet air; au moment où l'écolière va se mettre au piano, une voix se fait entendre dans la chambre voisine (c'était mademoiselle Garcia qui chantait précisément, dit-on, la cavatine de Norma); l'Anglaise croit reconnaître la voix de la Malibran ellemême, elle s'arrête, frappée de surprise; elle s'imagine qu'un fantôme vient lui donner leçon; la terreur s'empare d'elle, elle s'évanouit.

Il me semble qu'en pareil cas j'aurais été ouvrir la porte au fantôme. La première fois que j'ai entendu mademoiselle Garcia, j'ai cru aussi un peu voir un re

venant, mais j'avoue que ce revenant de dix-sept ans m'a inspiré tout autre chose que l'envie de me trouver mal. Il est certain qu'aux premiers accents, pour quiconque a aimé la sœur aînée, il est impossible de ne pas être ému. La ressemblance, qui consiste, du reste, plutôt dans la voix que dans les traits, est tellement frappante qu'elle paraîtrait surnaturelle, s'il n'était pas tout simple que deux sœurs se ressemblent. C'est le même timbre, clair, sonore, hardi, ce coup de gosier espagnol qui a quelque chose de si rude et de si doux à la fois, et qui produit sur nous une impression à peu près analogue à la saveur d'un fruit sauvage. Mais, si le timbre seul était pareil, ce serait un hasard de peu d'importance, bon, en effet, tout au plus, à donner des attaques de nerfs; heureusement pour nous, si Pauline Garcia a la voix de sa sœur, elle en a l'âme en même temps, et, sans la moindre imitation, c'est le mème génie; je ne crois, en le disant, ni exagérer, ni me tromper.

Je n'ai pas la prétention de rendre compte en détail du concert qui a été donné au théâtre de la Renaissance; je ne vous dirai pas si mademoiselle Garcia va de sol en mi et de fa en ré, si sa voix est un mezzo soprano ou un contralto, par la très-bonne raison que je ne me connais pas à ces sortes de choses, et que je me tromperais probablement. Je ne suis pas musicien, et je puis dire, à peu près comme M. de Maistre: « J'en atteste le ciel, et tous ceux qui m'ont entendu jouer

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