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A quoi nous servent donc tant de lûttes frivoles,
Tant d'efforts toujours vains et toujours renaissants?
Un chaos si pompeux d'inutiles paroles,

Et tant de marteaux impuissants,
Frappant les anciennes idoles?

Discourons sur les arts, faisons les connaisseurs;
Nous aurons beau changer d'erreurs

Comme un libertin de maîtresse;

Les lilas au printemps seront toujours en fleurs,
Et les arts immortels rajeuniront sans cesse.

Discutons nos travers, nos rêves et nos goûts,
Comparons à loisir le moderne et l'antique,

Et ferraillons sous ces drapeaux jaloux.
Quand nous serons au bout de notre rhétorique,
Deux enfants nés d'hier en sauront plus que nous.

O jeunes cœurs remplis d'antique poésie,
Soyez les bienvenus, enfants aimés des dieux!
Vous avez le même àge et le même génie.
La douce clarté soit bénie

Que vous ramenez dans nos yeux!

Allez, que le bonheur vous suive!
Ce n'est pas du hasard un caprice inconstant
Qui vous fit naitre au même instant.
Votre mère ici-bas, c'est la Muse attentive
Qui sur le feu sacré veille éternellement.

Obéissez sans crainte au dieu qui vous inspire.
Ignorez, s'il se peut, que nous parlons de vous.
Ces plaintes, ces accords, ces pleurs, ce frais sourire,
Tous vos trésors, donnez-les-nous :

Chantez, enfants, laissez-nous dire.

1er janvier 1859. (Revue des Deux-Mondes.)

THEATRE-ITALIEN

DÉBUTS

DE

MILE PAULINE GARCIA

Je me félicite d'avoir attendu pour essayer de dire quelques mots sur les débuts de mademoiselle Garcia. Il est vrai qu'en venant si tard je n'ai plus rien à apprendre à personne, et qu'aujourd'hui le public n'a que faire de mon avis; raison de plus pour que je le lui donne, car ainsi ce que je pourrai dire ne sera pas, Dieu merci, de la critique, et je n'aurai pas de verdict

prononcer en une heure sur un avenir plein d'années: Mon opinion ne sera pas un jugement, mais une causerie, si l'on veut, comme celles du foyer pendant un entr'acte.

Les juges les plus sévères ont reconnu à mademoiselle Garcia une voix magnifique, d'une étendue ex

traordinaire, une méthode parfaite, une facilité charmante, un talent dramatique plein de force, d'imagination et de vérité. On pourrait, à la rigueur, s'en tenir là, et un pareil éloge suffirait à une cantatrice consommée. Cependant cet éloge s'adresse à une jeune fille de dix-huit ans, qui n'a paru que six fois sur notre scène. Le rôle qu'elle a abordé le premier, celui de Desdémone, est un des plus difficiles du ThéâtreItalien; c'est peut-être le plus difficile. Il faut Ꭹ être cantatrice et tragédienne, être émue et songer à soi, non-seulement exécuter la musique la plus compliquée et la plus fatigante, mais animer cette musique, toucher le cœur avec des fioritures diaboliques, rendre Rossini et Shakspeare. Ajoutez à cela qu'il faut lutter contre les plus dangereux souvenirs, celui de la Malibran, de la Pasta. Sortir triomphante d'une pareille épreuve, dès le premier jour, sans hésitation, ce n'est pas peu de chose. Mademoiselle Garcia aura fort à faire si ce ne sont que des promesses; elle débute comme bien d'autres voudraient finir.

Je n'ignore pas que le chapitre des restrictions est une nécessité à laquelle il faut satisfaire. Notre charité chrétienne ne saurait admettre un éloge sans restriction. Je suis là-dessus aussi savant qu'un autre, et j'ai très-savamment remarqué que, mademoiselle Garcia étant fort jeune, sa voix n'est pas aussi assurée ni aussi développée qu'elle le deviendra probablement un jour, quand elle sera plus âgée. J'ai remarqué de même que,

n'ayant joué que fort rarement, elle n'a pas autant d'habitude de la scène qu'elle pourra en acquérir lorsqu'elle aura plus d'expérience. J'ai fait encore bien d'autres remarques tout aussi profondes; mais je demande la permission de ne pas disputer sur le présent quand l'avenir me semble clair, et de ne pas compter les plumes qui tombent au premier coup d'aile d'un oiseau qui s'envole.

Certes, c'est toujours un spectacle touchant, et qui dispose à la bienveillance, que l'apparition d'une jeune fille qui se hasarde pour la première fois en public dans une carrière où elle a mis toutes ses espérances. Mais quand on sait d'avance quelle est cette jeune fille, quand on la connaît, comme nous connaissons tous mademoiselle Garcia, pour une personne remplie de talents, de mérite et de modestie, chez qui une excellente éducation a fécondé la plus riche nature, ce spectacle alors fait plus que de toucher, il commande le respect, et éveille en même temps la plus vive sollicitude. La première représentation d'Otello avait attiré à l'Odéon ce qu'on appelle tout Paris; lorsque, sur la ritournelle mélancolique de l'air d'Élisabeth, mademoiselle Garcia est entrée en scène, il y a eu d'abord dans la salle un moment de silence. La jeune artiste était émue, elle hésitait; mais avant qu'elle cût ouvert la bouche, des applaudissements unanimes l'ont saluée de toutes parts. Était-ce la mémoire de la sœur que nous avons tant aimée? N'était-ce qu'un généreux ac

cueil fait à une débutante qui tremblait? Personne, peut-être, ne s'en rendait compte. Chacun des premiers sons, encore voilés par l'émotion, qui sortirent des lèvres de Pauline Garcia, furent, pour ainsi dire, recueillis par la foule, et suivis d'un murmure flatteur. A la première difficulté qui se présenta dans le chant, le courage lui revint tout à coup; les applaudissements recommencèrent, et, en un quart d'heure, une belle destinée fut ouverte; ce fut une noble chose qui fait honneur à tous.

On ne saurait trop louer l'Otello de Rossini; je ne sais pas s'il passera de mode, car la mode en musique est effrayante. Il n'y a pas d'art plus périssable au monde, et on peut lui appliquer, mieux qu'à la peinture, ce vers de Dante :

Muta nome perchè muta lato.

Quoi qu'il en soit, pour nous, qui sommes de notre temps, l'opéra d'Otello est un chef-d'œuvre. Je ne parle pas, bien entendu, du libretto. Il est même curieux de voir jusqu'à quel point on a pu si peu et si mal faire avec une pièce de Shakspeare. Mais quelle puissance dans le génie qui a su écrire un duo sublime sur ces quatre méchantes rimes :

No più crudele un' anima

No, che giammai si vide! etc.

Je ne sais même pas si c'est de l'italien.

L'Othello de Rossini n'est pas celui de Shakspeare. Dans la tragédie anglaise, maîtresse tragédie s'il en fut,

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