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« Avant-hier je m'en fus donc chez mon papetier, dans l'innocente et bourgeoise intention d'acheter des pains à cacheter; mais il y avait dans la boutique absence totale de cette denrée. Désolé de ce désappointement, j'eus recours à une seconde boutique; même réponse. - O ciel! m'écriai-je, j'ai oublié de dire que je demeure au faubourg Saint-Germain.

Monsieur, me dit en souriant mon papetier, ni moi, ni mes confrères, ne pouvons suffire aux demandes exorbitantes de pains à cacheter qui nous sont faites en

ce moment.

«Il est clair, dis-je tout bas 'en prenant un air capable, qu'il se trouve dans le noble faubourg quelque correspondance moscovite; voici un manque de pains à cacheter qui nous vient d'Holyrood. Moi qui puis, une fois par semaine, insérer dans un journal ma façon. de penser, je me promets de dévoiler cette trahison lundi prochain.

<< Point du tout, monsieur, me dit le marchand, souriant à son tour. C'est la mode dans ce moment-ci au faubourg Saint-Germain de faire avec des pains à cacheter de petites roses découpées, que l'on colle les unes contre les autres, en taillant les feuilles de manière que chaque pain chaque pain en fasse une; de ces roses de différentes couleurs, qu'on rapproche au moyen d'un rond de carton, on fait de charmantes bobèches.

Bobèches! m'écriai-je, en oubliant malgré moi

ma propre dignité; je crus un instant que ce damné

papetier n'avait d'autre intention que de se railler de moi et de mon besoin de pains à cacheter; j'étais déjà semblable à Roméo devant l'infernal apothicaire.

Mais, me dis-je, comment deux marchands pourraient-ils s'entendre? Je ne saurais être la fable du

quartier à ce point d'être raillé par deux papetiers dans l'espace d'une demi-heure. Ce fut alors que l'idée d'entrer chez la comtesse *** me vint à l'esprit. Sur la table était renversé pêle-mêle un tas prodigieux de pains à cacheter; il y en avait de rouges, de verts, de jaunes, de blancs; il n'y en avait pas de bleus; ç'aurait été courir le risque d'une bobèche tricolore. Assise à côté de sa mère, la jeune fille de la comtesse composait des fleurs charmantes, et plongeait sa main blanche dans la corbeille de mille couleurs. Je vis sur des chandeliers d'or des bobèches déjà faites. Dieu puissant! m'écriaije, n'y a-t-il plus de bobèches chez les marchands? d'où nous vient cette rage de bobèches? faut-il qu'aujourd'hui nous en arrivions aux stupides oisivetés du siècle où l'on parfilait? ou s'il faut à tout prix des bobèches de pains à cacheter, est-il nécessaire de les coller avec des doigts de marquis?

« Ce que je dis ici, ô mon ami, est exact et historique. Il n'y a pas un salon au noble faubourg, aujourd'hui 7 mars, où l'on ne fasse des bobèches.

<«< Parfilage absurde! Ainsi, quand l'Europe est en feu, quand Paris est en rumeur, quand la propriété chancelle, quand le droit divin trébuche, quand on

perd l'esprit en courant après le bon sens, quand il n'y a plus rien de stable, plus rien de certain au monde, quand tout est remis en question, les lois, les mœurs, les richesses et les gloires, tout un quartier s'obstine à parfiler! c'est-à-dire à un amusement plus stupide encore et plus digne du siècle poudré. Ah! quand nous en serons, comme les Polonais, à voir nos femmes porter des poignards à leur ceinture, et venir dans les hôpitaux panser les plaies dont nous serons couverts, ce sera autre chose! Elles feront alors du parfilage, comme jadis, mais ce sera pour arrêter le sang qui coulera de larges blessures. >>

VI

Lundi. 7 mars 1831.

REVUE FANTASTIQUE

Ce fut jeudi dernier, jour de la mi-carême, que M. Cagnard, le plus illustre des trembleurs de ce siècle, fut livré à un affreux embarras.

Il était assis devant sa table dans sa salle à manger; sa femme était devant lui, il avait posé son front dans sa main, comme Agamemnon quand il condamne sa fille; près de lui étaient deux billets soigneusement pliés que son farouche portier venait de déposer en souriant d'un air fin. Il les lisait tour à tour et soupi

rait : « Hélas! que ferai-je? s'écria-t-il. Voilà un billet de garde et une invitation à dîner pour aujourd'hui. Hélas!

« Si je vais à mon dîner, il est clair qu'on dira dans tout le quartier que je suis un mauvais citoyen; précisément la patrie se trouve en danger; quelle fatalité! Comment empêcherai-je mon sergent-major, qui est en même temps mon apothicaire, de répandre des bruits outrageants pour ma famille et pour moi?

«Si je vais à mon corps de garde, le conseiller versera sans moi son thé parfumé, le vin mousseux sera bu en mon absence, et je ne pourrai appuyer mes deux coudes sur la table bien fournie du comte Walter Puck! O conseiller privé, je serai dans l'impossibilité de t'égayer par mes facéties, et de tendre mon verre en récompense de mon humeur enjouée! >>

En disant ces paroles, il avait ouvert une porte et il tenait suspendus un habit bleu garni d'épaulettes rouges et un habit vert-pomme décoré de boutons d'argent à la mode. Il hésita longtemps, regarda trois fois à sa montre, autant à la fenêtre, puis il passa avec un profond soupir une manche de l'habit bleu.

Dans son désespoir, il faillit imiter ce mathématicien célèbre à qui les choses célestes faisaient oublier les affaires d'ici-bas, et qui, s'étant dépouillé un jour de ses vêtements afin de se parer d'une manière convenable et d'aller dîner en ville, oublia le monde entier au milieu de sa toilette, et, ne pouvant se rendre compte du motif

qui l'avait porté à quitter ses habits, finit par croire qu'il se couchait et se mit au lit.

<< Non! » s'écria tout d'un coup M. Cagnard; et d'un coup de main il repoussa dans sa prison de bois l'accoutrement patriotique; il serra autour de ses jambes les cordons de son pantalon à demi juste, et, s'élançant hors de sa maison d'un pas leste et déterminé, il fit sauter sur ses mollets les basques joyeuses de son habit neuf.

M. Cagnard demeure au Marais; il était forcé d'aller chercher son dîner derrière la place Beauveau, rue des Saussaies; il se dandinait sur la pointe du pied, résolu de ne point prendre de voiture.

Il rencontra, rue Saint-Antoine, une bande formidable de polissons de douze ou treize ans, qui avaient embrassé au nombre de vingt la cause du duc de Reichstadt, et qui en conséquence cassaient les vitres des confiseurs et les lanternes des marchandes d'oranges. M. Cagnard vit le péril qui le menaçait; en vain il crut y échapper en se rangeant avec soin sous l'eau de la gouttière; on l'arrêta avec fureur en lui enjoignant de crier: Vive Napoléon II! Quiconque connaît un peu notre homme doit se faire sur-le-champ une idée de la promptitude serviable avec laquelle il poussa les vociférations les plus horribles, dès qu'il s'en vit prié de la sorte.

<«<Au fait, se disait-il, ces jeunes gens descendent la rue Saint-Antoine; si je puis parvenir à marcher au

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