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rait pas de fin. Rossini a semé dans ses récitatifs une telle profusion de beautés, qu'il n'y a pas une seule phrase qui ne vaille la peine de s'y arrêter. Ces récitatifs, d'autre part, ont été rendus de tant de façons, on les a si souvent étudiés et commentés, qu'il n'y a plus moyen d'en rien dire de nouveau. Il faut cependant noter certains mots auxquels la jeune artiste a donné un accent qui lui est propre : l'adieu à son amie, il bacio estremo, la phrase presque parlée qu'elle adresse à Othello quand elle s'éveille, le moment de colère et d'indignation contre lago, et surtout le cri plein de fierté, intrepida morrò, ces passages ont été exprimés d'une manière neuve et originale, c'est pourquoi je les cite. Les autres ont été plus ou moins heureusement exécutés, mais dans un sens conforme à la tradition.

Il me reste à parler de la romance. On a dit que mademoiselle Garcia, dans cet air, avait surpassé la Malibran. C'est beaucoup dire et aller bien vite. On ne surpasse pas la perfection. Chacun la cherche suivant ses facultés, et un bien petit nombre peut l'atteindre; mais, entre ces intelligences privilégiées, auxquelles il est donné de temps en temps de toucher à la suprême beauté, je ne peux pas comprendre qu'on établisse des comparaisons. Quiconque a des sens, et écoute, a le droit de dire « Je préfère ceci,» mais il n'a jamais le droit de dire: « Ceci vaut mieux. » Quand donc en viendra-t-on, à Paris, à ne plus mêler le blâme à l'éloge, et à dire le bien sans médire?

Je cherche à peindre l'impression qu'a produite sur moi cette romance, et je ne trouve rien qui l'exprime, car je ne puis me résoudre à la détailler. Dirai-je comment mademoiselle Garcia tenait sa harpe, qu'elle a fait au second couplet un arpége de deux octaves? La romance du Saule est la poésie même; c'est l'inspiration la plus élevée d'un des plus grands maîtres qui aient existé; on ne rend pas plus ou moins bien de pareils airs; on les rend tout à fait ou pas du tout. La Malibran chantait le Saule; Pauline Garcia l'a chanté.

En vérité, quand on pense au travail infini que doit coûter à l'artiste la composition d'un rôle, il y a de quoi effrayer. Que d'études, d'efforts, de calculs! quelle dépense d'intelligence et de force pour nous donner trois heures de distraction, à nous qui sortons de table et qui daignons payer! Il est vrai qu'à l'Odéon tout le monde ne daigne pas jouer. Rubini, par exemple, soit dit en passant, avec son admirable talent, est un chanteur divin, mais un acteur par trop paresseux. Je le lui pardonnerais de bon cœur si je n'avais pas vu la Lucia. Pourquoi, quand on peut jouer ainsi pendant un quart d'heure, ne pas jouer plus souvent? Duprez chante comme un lion, et Rubini joue comme un rossignol.

Mademoiselle Garcia est entrée de prime abord et hardiment dans la vraie route. Comme son père et comme sa sœur, elle possède la rare faculté de puiser l'inspiration tragique dans l'inspiration musicale. Ce

serait peut-être une étude curieuse que de rechercher jusqu'à quel point ces deux muses peuvent s'allier, où commence leur union et où elle finit; car, il ne faut pas s'y tromper, elles ne peuvent être constamment unies. Diderot, dans le Neveu de Rameau, a dit, je crois, le premier une chose qui me semble parfaitement fausse. Il a prétendu que la musique n'était que la déclamation exagérée, en sorte que, si l'on comparait la déclamation à une ligne droite, à un thyrse, je suppose, la musique tournerait à l'entour en l'enveloppant à peu près comme un pampre ou une branche de lierre. C'est une ingénieuse absurdité. La déclamation, c'est la parole, et la musique, c'est la pensée pure. L'opéra d'Otello, comme bien d'autres, le prouverait. Rien n'est assurément plus dramatique et (en prenant le mot en bonne part) plus déclamatoire que la majeure partie de cet opéra. Mais quand le souffle musical arrive, voyez comme tout s'efface devant lui! Y a-t-il vestige de déclamation dans la romance? Si la mélodie enveloppe alors la parole, ce n'est pas comme un lierre qui s'attache à elle, mais comme un nuage léger qui l'enlève et qui l'emporte dans les cieux.

Que deviendra maintenant Pauline Garcia? Personne ne doute de son avenir; son succès est certain, il est constaté; elle ne peut, quoi qu'elle fasse, que s'élever plus haut. Mais que fera-t-elle ? La garderons-nous? Irat-elle, comme sa sœur, se montrer en Allemagne, en Angleterre, en Italie? Quelques poignées de louis de

plus ou de moins lui feront-elles courir le monde ? Cherchera-t-elle sa gloire ailleurs, ou saurons-nous la lui donner? Qu'est-ce, à tout prendre, qu'une réputation? Qui la fait et qui en décide? Voilà ce que je me disais l'autre soir en venant de voir Otello, après avoir assisté à ce triomphe, après avoir vu dans la salle bien des visages émus, bien des yeux humides; et j'en demande pardon au parterre, qui avait battu des mains si bravement, ce n'est pas à lui que cette question s'adressait. Je vous en demande pardon aussi, belle dame des avant-scènes, qui rêvez si bien aux airs que vous aimez, qui frappez quelquefois dans vos gants, et qui, lorsque le cœur vous bat aux accents du génie, lui jetez si noblement vos bouquets parfumés. Ce n'était pas non plus à vous que j'avais affaire, et encore moins à vous, subtils connaisseurs, honnêtes gens qui savez tout, et que par conséquent rien n'amuse! Je pensais à l'étudiant, à l'artiste, à celui qui n'a, comme on dit, qu'un cœur et peu d'argent comptant, à celui qui vient là une fois par extraordinaire, un dimanche, et qui'ne perd pas un mot de la pièce; à celui pour qui les purs exercices de l'intelligence sont une jouissance cordiale et salutaire; qui a besoin de voir du bon et du beau, et d'en pleurer, afin d'avoir du courage en rentrant, et de travailler gaiement le lendemain; à celui, enfin, qui aimait la sœur aînée, et qui sait le prix de la vérité.

1er novembre 1839. (Revue des Deux Mondes.)

AU CITOYEN RÉDACTEUR

DU JOURNAL LE NATIONAL

« Paris, le 20 août 1848.

« Monsieur,

« L'Académie française m'a fait l'honneur, dans sa << dernière séance, de me donner le prix fondé, comme << encouragement, par M. le comte de Maillé Latour<< Landry. Ce secours, accordé pour un an, consiste en << une somme de treize cents et quelques francs, intérêt <«< d'un capital de trente mille francs légué par le testa« teur, et placé en rentes sur l'État.

« Voulez-vous être assez bon, monsieur, pour ajouter <«< cette somme à celles que vous avez déjà reçues en << faveur des victimes des événements de juin 1848? Je << m'empresserai de la verser entre vos mains aussitôt «< qu'elle me sera parvenue.

<< Veuillez agréer, monsieur, l'assurance de ma par<< faite considération.

<<< ALFRED DE MUSSET.

Cette lettre était précédée des lignes suivantes : « Nous recevons de M. Alfred de Musset une lettre qui ne nous étonne pas de la

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