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part d'un poëte homme de cœur. Nos lecteurs, qui sont au courant des termes du programme des prix décernés, en 1848, par l'Académie française, apprécieront le sentiment de modestie et de générosité qui a dicté cette lettre, et l'Académie elle-même ne peut manquer d'approuver la destination donnée par M. Alfred de Musset au prix d'encouragement qu'elle lui a décerné. » (National du 21 août 1848.)

DISCOURS

DE

RECEPTION A L'ACADÉMIE FRANÇAISE

PRONONCÉ LE 27 MAI 1852

MESSIEURS,

J'ai à parler devant vous d'un homme qui fut aimé de tout le monde; devoir sans doute bien doux à remplir, et bien facile en apparence, puisque, pour rappeler à votre mémoire ce que l'esprit a de plus aimable et le cœur de plus délicat, je n'aurais presque qu'un mot à dire, et que, pour faire ici son éloge, il suffit de nommer M. Dupaty.

Mais c'est par cette raison même que je ne saurais toucher un pareil sujet sans une bien grande hésitation; non que je recule devant la tâche précieuse que que vos suffrages m'ont imposée : celui qu'honorent de tels suffrages doit avoir autant de courage que vous avez eu d'indulgence, et, si peu digne qu'il se puisse croire de cette bienveillance qui l'accueille, s'efforcer du moins d'y répondre. Non, ce qui m'arrête en ce

moment, ce n'est pas la crainte, messieurs, c'est le respect. Comment pourrai-je, en effet, moi qui ai à peine entrevu M. Dupaty, vous entretenir dignement de cette vie si bien remplie, dont le souvenir vous est présent, de ces qualités brillantes que vous avez aimées, de ces vertus qui vivent dans votre estime?

Comment vous en parler, messieurs, quand votre mémoire est encore toute pleine des simples et touchantes paroles prononcées au bord d'une tombe par l'un des maîtres de l'éloquence française, admirable et pieux tribut que le talent payait à l'amitié?

Il faut pourtant, messieurs, vous obéir; et veuillez me permettre ici un souvenir qui m'est personnel. Lorsque j'exprime le regret d'avoir trop peu connu M. Dupaty, je ne puis me défendre d'une réflexion pénible. Mon aïeul maternel, M. Guyot-Desherbiers, avait l'honneur d'être au nombre des amis de M. le président Dupaty; mon père connaissait celui que vous regrettez; à quoi tient-il que je ne l'aie connu aussi (j'entends d'une façon régulière et suivie)? A la différence d'âge sans doute, à la mort de mon père, qui fut prématurée; mais n'est-ce pas aussi un peu l'étrangeté du temps où nous sommes? Si nous eussions vécu depuis soixante ans dans des circonstances ordinaires, sous quelqu'un de ces grands règnes dont hier encore on trouvait plaisant de médire, aurions-nous vu les rapports sociaux se rompre, quelquefois si vite qu'on ne saurait dire pourquoi? Assurément ces secousses ter

à

ribles, ces déchirements et ces déchaînements qu'on appelle des révolutions, ne brisent ni les liens de famille ni les robustes amitiés; mais que font-elles de ces autres liens moins sérieux et si charmants, précisément parce qu'ils sont fragiles? que font-elles des relations du monde, de cet aimable commerce des esprits, qui, s'il ne remplit pas la vie, sait l'embellir et la faire mieux aimer?

Je viens de nommer le président Dupaty; ce serait, en effet, montrer bien peu de respect envers mon honorable prédécesseur, que de ne pas commencer par rendre un juste hommage au nom de son vertueux père, de ce courageux magistrat, qui est l'une des gloires du parlement de Bordeaux. Courageux, il e fut sans doute, lorsque, l'un des premiers en France, il osa, devant les supplices, faire parler l'humanité, attaquer hautement des coutumes cruelles, et forcer la justice même à revenir sur ses arrêts. N'ayant pu préserver d'une mort ignominieuse trois malheureux qu'il ne jugeait point coupables, il ne prit point de repos qu'il n'eût effacé ce triste et sanglant souvenir: il fit réhabiliter leur mémoire.

Venez, s'écrie à ce sujet M. Emmanuel Dupaty dans son poëme des Délateurs, venez, défenseurs des Calas! et toi surtout, mon père;

J'ai prononcé ton nom : que l'innocence espère !

Puis il ajoute ce vers, qui est si bien de lui :
Un beau trait nous honore encor plus qu'un beau livre.

Quelques années plus tard, Benjamin Constant devait suivre ce noble exemple, et prêter à Wilfrid, menacé à son tour, l'appui de son éloquence passionnée. Toujours est-il que l'initiative prise par le président du parlement de Bordeaux ne fut point perdue pour Louis XVI, et contribua puissamment à l'abolition de la torture.

Vous le savez, messieurs, quand la mort l'a frappé, M. Emmanuel Dupaty se disposait à aller à Bordeaux pour l'inauguration de la statue de son père, et il avait sollicité à cette occasion le titre de directeur de l'Académie, non par un sentiment d'orgueil qui eût été d'ailleurs bien légitime, mais pour apporter un hommage plus grand à une mémoire vénérée. Là, s'il lui eût été donné de réaliser son dernier rêve, une émotion bien douce l'attendait, dont l'homme jouit bien rarement c'eût été de trouver l'honneur de sa vieillesse près des souvenirs de son enfance. En effet, c'est dans cette ville, qui fut plus d'une fois la patrie du talent, que M. Dupaty est né, le 31 juillet 1775. C'est là que s'écoulèrent ses premières années, au sein d'une de ces familles privilégiées, qui sont comme des sanctuaires où ne pénètrent que les nobles pensées. D'autres ont fourni à l'État des savants et des capitaines, celle-ci devait lui donner des magistrats et des artistes. Cependant, tandis que les deux frères aînés, Charles et Emmanuel, l'un dans la statuaire et l'autre dans les lettres, allaient prendre leur place au rang le plus distingué,

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