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passé quelque temps à Morlaix, dans la maison d'un examinateur de la marine qui lui était devenu, comme tous, un ami, il reprit bientôt ses travaux. D'abord ingénieur hydrographe, envoyé en cette qualité pour lever le plan de Saint-Jean de Luz, celui du Passage, en Espagne, et d'une partie des côtes adjacentes, il revint ensuite à Paris vers l'année 1797. Il fit ce voyage, la plupart du temps poétiquement à pied, comme on disait alors, libre et heureux, toujours poursuivi par le refrain de quelque chanson qui se mêlait à ses calculs; car la muse impatiente qui l'accompagnait n'attendait qu'un instant propice pour s'emparer de sa vie entière.

Cette occasion allait se présenter. Il venait de passer, à son retour, dans les cadres du génie militaire; mais il avait, en fait, quitté le service. La révolte de Saint-Domingue, inaugurée par Toussaint-Louverture et couronnée par l'incendie et les massacres de 95, avait apporté un dommage sensible dans la fortune de la famille Dupaty. Vainement Auguste, l'un des quatre frères, s'était condamné à un long exil pour tenter de recueillir les restes de cette fortune; son courage patient, pour toute récompense, ne devait trouver que les coups de poignard de quelques monstres désenchaînés. Il y mourut. Emmanuel, alors âgé de vingt-deux ans, insouciant de l'avenir, à demi dégoûté du sang des batailles par celui qui avait coulé sur les échafauds, presque indifférent, s'il avait pu l'être, et se voyant appauvri sans chagrin, prenait sa part de ce vaste repos où

s'endormait la France fatiguée, au bruit lointain des victoires du consul. Il eût été de ces victoires, et il eût passé le pont d'Arcole à côté du héros, comme Belliard et Vignola, ou devant lui, comme Lannes et Muiron, s'il n'était entré par hasard, ne sachant que faire un soir, à l'Opéra-Comique.

Je demande la permission de dire que je n'invente rien; car la vérité est souvent étrange. Il entra donc dans ce théâtre, où tout était nouveau pour lui. Quelle était la pièce qu'on représentait, j'ai essayé en vain de le savoir; mais que ce fût le vieux Grétry chantant alors avec Marmontel, Méhul avec Hoffman, ou le tendre Monsigny avec l'inimitable Sedaine, l'impression profonde n'en fut pas moins reçue. Après le premier étonnement, au bruit de l'orchestre, aux clartés du lustre, aux feux de la rampe, à cet assemblage de l'esprit et de l'harmonie, entouré de tout ce qu'il y avait d'hommes distingués et de jolies femmes, car le consul allait à Feydeau, le matelot déjà poëte vit qu'il était dans son pays. Qu'ai-je à faire autre chose, se dit-il tout bas, que de confier ma pensée à ces gens qui parlent et chantent si bien, qui savent si bien faire rire ou pleurer? Aussitôt s'effacèrent les rêves lointains, la curiosité de suivre La Pérouse : le murmure de l'Océan, qui troublait encore cette tête ardente, se confondit dans la musique, et un coup d'archet l'emporta.

Alors parurent, presque sans intervalle, ces pièces gracieuses à demi écrites, à demi chantées, qui ont

que

égayé le moment le plus sévère et peut-être le plus grand de notre histoire. Il ne faut pas croire qu'il fût facile d'avoir, dans ce temps-là, tout bonnement de l'esprit. On s'adressait à un public distrait, le lendemain de Marengo; et, de même Molière disait que c'est une entreprise considérable de faire rire les honnêtes gens, ce n'était pas non plus une chose fort aisée de savoir plaire au maître du monde. M. Dupaty eut à la fois et ce bonheur et ce talent se laissant aller sans réserve à son inspiration naturelle, se souciant à peine du succès qui ne lui a jamais manqué, toujours interprété par les meilleurs artistes, toujours heureux et toujours aimé, sa carrière théâtrale a duré environ quinze ans. Elle l'a presque exclusivement occupé de vingtdeux à trente-sept ans, et le consul, devenu empereur, allait écouter entre deux victoires ces opéras ou chantaient Berton, Boïeldieu et Dalayrac.

Ici se présente, pour moi, une difficulté. On ne veut pas qu'ayant appartenu à ce qu'on appelait l'école romantique, j'aie le droit d'aimer ce qui est aimable, et l'on m'en fait une école opposée, décidant, par mes premiers pas, d'une route que je n'ai point suivie. Ce n'est pas que je veuille faire une inutile palinodie, ni renier mes anciens maîtres, qui sont encore mes amis; car je ne me suis jamais brouillé qu'avec moi-même. Mais je proteste de toutes mes forces contre ces condamnations inexorables, contre ces jugements formulés d'avance, qui font expier à l'homme les fautes de l'en

fant, qui vous défendent, au nom du passé, d'avoir jamais le sens commun, et qui profitent des torts que vous n'avez plus pour vous punir de ceux que vous n'avez pas.

Ce n'est point ici, messieurs, ce n'est point dans cette enceinte que je puis redouter ces cruels préjugés; et la meilleure preuve que j'en puisse avoir, c'est que je parle devant vous. Mais je prie en grâce qu'on veuille me croire sincère lorsque je loue, non pas outre mesure, ces faciles compositions. Il est bien vrai que le travail, le soin du style, y manquent parfois, ou sont peut-être perdus pour nous. Mais, sans qu'un détail vous arrête, sans qu'un mot soit jamais douteux, quand on lit les ouvrages de M. Dupaty, il est impossible de les quitter. On ne reste pas sur une phrase; les littérateurs ne faisaient pas tant de fracas alors qu'aujourd'hui. Mais lorsqu'on a fermé le livre, sans savoir et sans pouvoir dire précisément de quoi l'on est charmé, l'honnêteté, la grâce et le bon sens vous restent dans la tête comme le parfum d'une fleur. Heureusement celleslà ne se fanent pas. Casimir Delavigne, fils du même temps, et avec qui M. Dupaty a plus d'un rapport, quand ce ne serait que l'amour de la beauté, de la gloire et de la patrie, laisse à peu près dans l'âme le même sentiment, et, doué de plus de force et d'autant de grâce, il savait que l'estime vaut mieux que le bruit.

L'une des premières pièces du jeune auteur, intitulée l'Opéra-Comique, et représentée en l'an VI, fut com

posée en société avec M. de Ségur, oncle de l'honorable général, de l'écrivain brillant qui siége aujourd'hui parmi vous. M. Dupaty écrivit quelques autres ouvrages, par la suite, avec M. Bouilly, dont il resta constamment l'ami. Une affection non moins tendre le lia également, vers ce temps-là, avec M. de Jouy; et cette affection se montra particulièrement lorsque, bien des années plus tard, M. de Jouy, devenu infirme, se retira à Saint-Germain, chez sa fille. Un souvenir précieux de l'auteur de Sylla a consacré ces derniers soins.

Vous n'attendez sûrement pas de moi, messieurs, que je vous rende compte bien en détail de ces pièces légères et amusantes, par leur légèreté et leur finesse même, elles échappent à l'analyse. Il y a cependant parmi ces opéras, dont quelques-uns sont des comédies, certains titres trop connus de tout le monde pour ne pas devoir être rappelés : qui n'a pas entendu parler du Chapitre Second, de la Leçon de Botanique, de l'Intrigue aux Fenêtres, ou des Voitures versées? Qui ne connaît cette jolie bluette de Ninon chez madame de Sévigné? L'une de ces pièces, d'Auberge en Auberge, a été transportée sur le théâtre anglais. Elle est excessivement plaisante par des changements de décorations

qui arrivent si à propos, que les personnages s'ima

ginent sans cesse qu'ils ont voyagé sans changer de place. Dans le Poëte et le Musicien, il y a des vers qui sont restés célèbres. Ceux, par exemple, où le poëte,

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