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ont écrit sur leur drapeau effarouché : la patrie est en danger! Des omnibus, des chars à bancs, des gondoles, tout se mêle; des officiers, des tambours-majors, des officieux, des cuistres, des petites filles. La patrie est en danger! tel est le cri qui sort de toutes les poitrines comprimées par la frayeur. Mais déjà les fouilleurs de curiosités, les déchiffreurs d'hieroglyphes, les compilateurs de ruines, les polisseurs de momies et les dégustateurs de médailles ont commencé à se ruer sur l'immense proie comme de sagaces renards.

Celui-ci, à cheval sur le nez du dormeur, se cramponne aux sourcils, et, nouveau Christophe Colomb, parvient seul jusqu'à l'univers ignoré de sa nuque. Un badigeonneur empressé écrit sur le passe-poil du pantalon la défense sous peine d'amende... sa montre, tombée de sa poche, est placée sur un tombereau, et emportée par quatre chevaux vigoureux; sa carte de visite soulevée par douze forts de la halle, commence à quitter la terre; dans sa poche s'est établi un missionnaire, qui de là improvise un sermon. — Silence! Pantagruel se réveille.

Il a écrasé douze mille hommes en se retournant; il en a jeté trois cents en l'air; la plupart sont tombés dans la Seine et se sauvent à la nage, avec cinq degrés de froid. « Qu'est-ce donc?» dit-il.

Mais en cet instant, il voit venir à lui une députation revêtue de robes noires, et poudrée d'une pédanterie outrecuidante. Pareille à un troupeau des sau

veurs du Capitole, la brigade en perruque se dirige sur une des montagnes, et de là lui adresse la parole: << Jeune étranger, lui dit l'orateur comme M. Cagnard (car vous me semblez jeune et infiniment étranger), nous sommes en ce moment dans un étrange embarras; nous venons vous proposer d'ètre notre roi et de nous gouverner, et nous craignons que vous n'acceptiez pas. »

>>

Pantagruel les prit dans sa main, les mit dans sa tabatière et leur dit : « Mes petits amis, je serai votre roi; indiquez-moi votre palais de cette tabatière, je ne demande pas mieux que de vous gouverner.

-O puissant Pantagruel! répliqua le plus petit, qui était le plus bavard, nous avons des lois, des institutions, des diners et des pensions, ne changerez-vous rien? »

Pantagruel descendit les Champs-Élysées, porté en triomphe par le peuple, qui se suspendait à ses mollets. « Où est la demeure royale?» demanda-t-il d'abord. On lui montra les Tuileries. Mais son front se heurta contre le cadran de l'horloge. « Ho! ho! dit-il, du temps de mon royal père Gargantua on était mieux logé et plus à l'aise; comment pourrai-je jamais entrer ici, si ce n'est en défonçant le toit, et en m'y couchant comme dans une bière? Donnez-moi une maison plus commode.

Nous n'en avons pas, dirent les architectes; et, dirent les députés, celle-ci est déjà bien grande, et coûte déjà bien cher.

-Je resterai dans le jardin, dit Pantagruel. Or, sus, parlons d'affaires; est-il l'heure de diner ici? je me sens quelque envie de commencer par boire. »

Il prit la halle au blé pour tasse, et la tendit à un petit valet qui y versa d'une petite bouteille une demigoutte d'un vin bien mauvais.

<«< Ho! ho! dit-il, n'y a-t-il pas d'autre boisson? Du temps de mon royal père, il n'en était pas ainsi. Hé quoi! pour ton roi, ô peuple français, une goutte de vin détestable? Et que disent donc aujourd'hui les potentats de ce gouvernement à gosier sec?

Nous n'en avons pas d'autre, dirent les rats de cave; et, dirent les députés, ce vin-là est bien bon, et coûte déjà bien cher.

-Je garderai donc ma soif, dit Pantagruel. Ne parlede guerre? il nous faut ici une armée; allez me

t-on pas

chercher de l'argent. >>

Il ouvrit une poche large comme le cratère d'un volcan; un petit trésorier y jeta une bourse, qui passa par un trou, et tomba dans sa botte.

« Ho! ho! dit-il, ne payez-vous pas plus vos rois? Voici de quoi avoir un demi-boisseau de gendarmes. Comment! serait-ce là le revenu d'un prince constitutionnel? Du temps de mon royal père Gargantua......

Nous n'en avons pas davantage, dirent les contribuables; et, dirent les députés, cette bourse est déjà bien ronde, et coûte bien cher.

Je mettrai done mes mains dans mes poches au

lieu d'argent, dit Pantagruel. Or çà, puisque je vous gouverne, me voici comme saint Louis sous son chêne. Qu'on se plaigne, qu'on rédige, qu'on pétitionne; c'est l'heure de ma justice.

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Sire, dirent les ministres, voici des journalistes qui crient à la république; voici des galériens qui démolissent des églises; voici des carlistes qui font boire les pauvres; voici des bonapartistes qui crient à tuetête; voici des intrigants en congrégation qui ourdissent et trament.

Qu'on m'élève une potence, dit Pantagruel, et qu'on pende.

Sire, nous ne pendons pas sans procès; nous ne jugeons pas sans prison; nous n'emprisonnons pas sans gendarmes, et la garde nationale refuse de tirer l'épée.

Ho! ho! dit le roi, n'y a-t-il pas d'autres lois pour punir les factieux? Voici une presse qui crie bien fort. Eh quoi! le souverain est-il au milieu de son peuple comme le nageur au milieu de la rivière? les flots l'emporteront. Du temps du roi mon père, il en était autrement. Où sont les lois?

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-Nous n'en avons pas davantage, dirent les avocats; et, dirent les députés, celles-là sont déjà bien sévères, et font bien peur aux juges,

- Peste! dit Pantagruel, point de vin! point d'ar gent! point de lois! je dormirai donc.

- Sire, dirent les ministres, nous ne pouvons aller sans vous; la main nous tremble à chaque signature.

Nous ne pouvons faire un sous-préfet sans angoisse; le principe de non-intervention nous rendra hydrophobes. Vous ne pouvez dormir.

-Ho! ho! dit le roi, mon père Gargantua ne faisait autre chose. A quoi servent donc les ministres? Qu'on en nomme quatre fois plus.

-Nous n'en avons pas d'autres, dirent les employés; et, dirent les députés, ceux-là sont déjà bien entêtés, et nous font assez crier.

- Messieurs, dit Pantagruel, je ne saurais être roi; adieu, sortez de ma tabatière, et me laissez en paix. >>

28 mars 1841.

X

REVUE FANTASTIQUE

Une vieille dévote avait jeûné jusqu'à une heure de l'après-midi le jour du très-saint vendredi; elle avait pris son chapelet, et respectueusement entr'ouvert son eucologe.

Un jeune élégant avait amplement satisfait son brutal appétit sur un jambon, qui ne s'attendait guère à être mangé qu'à Pâques; il avait fait mettre quatre chevaux à sa calèche, et son cocher soufflait dans ses doigts.

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