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panier sur la tête, son enfant à la main; et cet enfant aux jambes rougies par le froid de l'eau, aux genoux engorgés, aux cheveux épais, comme il se retourne fièrement en regardant son père! Son père lui montre le chemin, il le suit, certain que son père ne saurait se tromper, et que là où son père lui dit : Marche! il ne peut y avoir de précipice. Et cette vieille mère ! n'est-ce pas une créature vivante transportée sur la toile? Comme l'enfant, elle s'abandonne aussi à la garde de Dieu et du père de famille; ainsi, à l'heure du danger, se ressemblent toujours l'enfance et la vieillesse.

«Que disais-je donc, que disions-nous tous, nous, artistes insensés, qui osons prétendre qu'on ne nous comprend pas? N'est-ce pas nous qui sortons de la route? Et nous nous étonnons qu'on ne nous suive point! Schnetz a-t-il le sentiment de son génie? Je ne le connais point. Mais il est clair qu'il travaille naïvement; sous le soleil ardent de l'Italie, il a puisé des rayons vivifiants qui sont restés dans son cœur. Ces rayons sont purs, sont vrais, et ce qui vient de l'âme y va, soyez-en certain.

« C'est là tout le secret des artistes; travaillez donc, creusez-vous la tête, plongez votre âme dans un marais de systèmes, desséchez vos idées d'enfance, vos fraîches idées pleines de simplicité; dites-vous tous les matins et tous les soirs que vous êtes un homme de génie; faites-vous de votre amour-propre une coquille de limaçon, où vous puissiez vous enfermer; raillez et

exaltez, disputez et intriguez; tout tombera un beau matin devant le faible, l'ignorant regard d'une jeune

fille. »

XV

Lundi, 9 mai 1831,

REVUE FANTASTIQUE

Il y avait, la semaine passée, au Palais-Royal, du côté de la rue Vivienne, une affiche imprimée ainsi

conçue :

« Il a été perdu dimanche dernier, aux Champs-Ély«<sées, une jeune et jolie femme; on ne peut la dési«gner autrement. La personne qui la réclame a des «< choses très-importantes à lui dire, et la prie, si elle « vient à lire cette affiche, d'aller à l'une des représen« tions d'Antony. »

<< Voilà une entreprise bien extravagante, dit quelqu'un, de donner rendez-vous au moyen d'une affiche! Mais, dis-je, si l'on ne savait pas l'adresse?

Eh! interrompit une femme, c'est une belle créature qui se trouve perdue dans une foule des Champs-Élysées, un jour de saint Philippe ! Elle vaut assurément la peine qu'on la ramène, moyennant récompense honnête.

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Eh bien, repris-je, peut-être y vois-je trop loin, et ceci, à tout prendre, n'est-il qu'une plaisanterie de carrefour; mais je me figure que ces premières lignes, qui scandalisent, ont, pour celui qui les a dictées et pour celle qui en est l'objet, un sens particulier, caché. Un mot, un seul mot de cette fine langue française, posé sur l'enclume, se tord de tant de façons! l'esprit en a tant vivifiés que la lettre avait laissés pour

morts!

C'est du romanesque, dit un homme qui portait de la flanelle au mois de mai.

Oui, pensai-je en fronçant le sourcil et en tournant le dos, c'est en effet du romanesque; c'est en effet passé de mode; c'est inconvenant, c'est audacieux, c'est absurde; mais avouez que cela pourrait être à la rigueur singulièrement passionné.

Quant à moi, chevrota un petit homme à carrure rebondie, sorti tout frais des Provençaux, et joyeusement électrisé par le souvenir de quelques bouteilles vides qu'il venait d'y laisser, j'offre de faire un pari. (Tout en parlant, il s'éloignait et reprenait sa route, s'appuyant sur le bras de son ami; j'étais curieux d'entendre sa gageure.) C'est, dit-il, que si la femme en question vient à connaître cette affiche et à ap-. prendre le lieu du rendez-vous qui lui est donné, ce sera son mari qui le lui aura dit; et j'offre, répéta-t-il en riant plus fort, de gager cinquante louis. »

Je me dis en moi-même que je ne les tiendrais pas.

<«< Oui, continua le petit homme, ce sera quelque bourgeois plein de vertu, quelque garde national plein de ferveur. Il aura par hasard dirigé ses lunettes sur le pilier porteur de l'affiche bizarre, et en rentrant le soir chez lui (sa femme sera à jouer au quinze avec madame la lieutenant-colonelle et sa voisine): Parbleu! dira-t-il, en se jetant dans la bergère d'un air malin, j'ai vu ce soir une plaisante affiche!...

<< Et la pauvre femme, pâle comme Sophie entendant le récit du malheur arrivé à Tom Jones, sentira ses membres couverts d'une sueur froide et son cœur battre, ses mains se roidir!... - Prenez garde! dit la voisine, vous avez laissé tomber le valet de carreau.

<«<< Comme il faut revenir aux choses sérieuses, la partie se continue, et les vieilles, armées de besicles, ne cessent de frapper la table verte avec les os pointus de leurs doigts. Mais la jeune femme ne compte plus les cartes qui sont passées; elle attaque dans une couleur où l'on coupe. Cela n'est pas vraiment tolérable, chère petite, vous jouez ce soir en dépit de la raison.

« Et peut-être tout un roman, toute une passion terrible vient de se réveiller dans son cœur et de le remuer jusqu'au fond...

« Mais le lendemain matin, d'un air distrait, rêvant pour la journée: - C'est bien ennuyeux, le quinze.

«< - Oui, dit l'époux; si nous allions au spectacle?

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Mais... où ?... dit la dame; à Antony?

«< Bah? dit l'époux, c'est du romantique; allons aux Variétés.

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- Qu'est-ce que cela fait? dit la femme; nous verrons madame Dorval on dit qu'elle est superbe. Telles étaient les conjectures du petit homme, qui bâtissait un chapitre tout entier. Mais moi :

<< Extravagant! me disais-je; mal choisi! Pourquoi une affiche? mauvais ton! Ne saurait-il, au lieu de tout ce scandale, gagner honorablement une servante? Est-il donc vrai, est-il donc réellement possible qu'en 1851, froide année inondée de pluie, où il n'éclôt que des œufs industriels, ou des parodies verbeuses et des spéculations sèches, un homme (un fou, sans doute, un malheureux écolier qui n'aura jamais vu le grand monde) ait pu concevoir, exécuter une idée romanesque! O ciel! quel oubli total et effrayant des con

venances !

<«< Oui, peut-être, il y a trente, quarante ans, l'amour fut romanesque; c'était le temps où certaine demoiselle, qui est aujourd'hui une fort respectable mère de famille, disait, en voyant que Paris était barricadé et les portes fermées, je ne sais quel jour de terreur : « Ah! mon Dieu! comment fera-t-on donc les enlè<< vements? » C'était le temps où Malvina faisait couler des larmes et répandait l'insomnie dans les pensionnats; c'était lorsque la princesse W*** suivait l'armée française et son royal amant; lorsque nous avions l'Europe pour patrie, et qu'il y avait un commissaire de

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