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police à Rome, comme aujourd'hui M. Cadet-Gassicourt est maire d'Alger; lorsque les Français, en bivac sur toutes les terres du continent, avaient cessé d'être Français. Nos tantes l'ont vu.

<«< Mais nous! nous, grand Dieu! revêtus d'une hypocrisie bien fourrée, comme d'une saine douillette cuirassée de pointes inabordables, le mariage de convenance, semblable à un tartufe de mœurs, s'est établi parmi nous; il vit chez nous comme l'hôte d'Orgon. Le pauvre homme! comme il couvre ce sein que l'on ne saurait voir!

« Si je voulais personnifier dans une statue allégorique le siècle de Louis XV, si décrié pour sa morale, je jetterais une belle femme, décolletée outre mesure, sur un sofa de mauvais goût; sa robe laisserait apercevoir la finesse de son bas de soie; fardée, mouchetée, plâtrée, elle aurait l'air impudent, immoral, mais franc, - franc et généreux. (Voyez ce qu'en dit Jean-Jacques, ou, qui pis est, Saint-Preux.)

« N'est-ce rien que la franchise? même la franchise du vice? Si elle donne l'exemple du mal, du moins en peut-elle donner aussi le dégoût. L'homme romanesque, qui enlève la femme de son ami, dans une nuit d'été, perd sa famille, tue son repos, flétrit le nom de ses enfants; mais que fait celui qui, respectant les convenances, après quelques assiduités gazées, une déclaration modérée et discrète, des mesures certaines et ennemies du scandale, corrompt à voix basse la jeune fille

qui lui donne la main pour danser, et déshonore avec bon goût, sur la pointe du pied.

« L'homme romanesque se casse une jambe en montant à son échelle; il a surtout la fatale habitude d'écrire, et le suisse a laissé tomber une lettre dans la cour; la femme de chambre l'a ramassée, l'oublie et la laisse ouverte dans la chambre de sa maîtresse, où la trouve le mari. L'homme de bon ton serait désolé si le talon de sa botte venait à tourner, et il écrit peu ou point; il n'a oublié chez le suisse que deux ou trois pièces d'or, que la femme de chambre n'a pas trouvées, car le suisse n'a eu garde de les perdre.

« Mais, Dieu merci! il n'y a plus aujourd'hui ni échelle, ni enlèvement, ni scandale; on a trouvé à l'amour romanesque, comme à la petite vérole, une vaccine qui en préserve, sans l'inoculer; et j'aime à croire que l'affiche du Palais-Royal était une bonne, très-bonne plaisanteric.

XVI

Lundi, 16 mai 1831.

REVUE FANTASTIQUE

Des maux que causent les révolutions dans toutes les classes de la société; tel était le titre d'un ouvrage déjà

commencé par un pauvre petit commerçant de mes amis, qui se trouve ruiné par les événements de juillet. <«< Eh! mon cher, lui disais-je hier au soir en arrivant de Pithiviers, pour faire un pareil livre il vous faudra dix ans de travail; le public ne lit plus les in-quarto, et les ouvrages in-octavo restent dans la poussière des magasins, si les volumes passent le nombre de deux; d'ailleurs, mon cher, votre libraire vous payera en billets; la révolution l'a frappé, dira-t-il, comme les autres, et ses effets iront chez l'huissier, le seul être qui s'engraisse des plaies de la société, comme le corbeau des corps d'un champ de bataille. >>

Ce dernier argument découragea complétement le malheureux auteur. Il posa sa plume, ferma son canif à coulisse, et me demanda d'un air piteux ce qu'il pouvait faire pour gagner sa vie. « S'il ne me faut. toucher, ajouta-t-il, ni à la politique, ni à la littérature, ni au commerce, s'il ne me faut pas louer une boutique, de peur de ne pouvoir en payer le second terme, il ne me reste qu'à peindre des paravents ou à dessiner des festons pour les marchandes de modes. Faites plutôt cela, lui dis-je, que de vous embarrasser d'entreprises nouvelles. Vivez au jour le jour, sans souci. Vous êtes garçon; un homme ne meurt jamais de faim; j'ai donné cet hiver à un honnête mendiant une pièce de quarante sous avec laquelle il a vécu dixsept jours. Hélas! mon cher ouvrage! répéta plusieurs fois l'auteur, en jetant un coup d'œil paternel

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sur ses paperasses. sir de voir son œuvre imprimée, il n'est rien de plus doux, dit-on, pour un auteur, que d'en faire la lecture. Eh bien! j'aurai la patience de vous écouter lisezmoi quelques passages de votre effrayant manuscrit, et contez-moi ce que vous aviez encore le projet d'y ajouter. » Le pauvre auteur me regarda avec attendrissement, il rapprocha sa chaise de la mienne, et, après avoir posé son doigt sur sa manche, il me parla ainsi :

Écoutez, mon ami, après le plai

<< Dans mon ouvrage, je commençais par démontrer la sottise des hommes, qui, depuis trois mille ans (et peut-être bien plus) ont toujours été gouvernés, et qui cependant n'ont pas encore pu trouver un mode de gouvernement qui les contente. Ils ont commencé par choisir entre eux un homme et lui donner tout pouvoir, même sur leur propre vie; ensuite ils ont voulu être conduits par plusieurs hommes. Ils se sont aussi lassés d'obéir aux caprices de plusieurs, et ont formé des institutions; après des essais de toute espèce, ils ont renversé le trône et ont mis à sa place la pierre de la constitution, puis ils ont demandé à grands cris un homme. Enfin il y a, dit-on, trois mille ans que cette comédie se joue. Ce qu'il y a de cruel ou de risible, c'est que jamais un de ces tours de roue ne peut s'effectuer sans que la terre s'engraisse de sang et de larmes. Après ces considérations générales, j'en venais aux effets de la révolution sur ces trois classes principales

de la société dans la capitale, la noblesse, la finance et la petite bourgeoisie.

<«<< Chez la noblesse, les fêtes et la dépense ont cessé tout à coup. La marquise qui donnait des bals ne fait plus danser, parce que son fils n'est plus capitaine dans la garde royale, et que son mari, qui a perdu pour soixante mille francs de sinécures, ne possède plus que cinquante mille livres de rente.

<< Le banquier cache son or; il ne prête plus, même avec usure; il compte avec désappointement ses écus qui végètent sans intérêts dans sa caisse. Il est désœuvré; il se promène, engraisse et soupire douloureusement; sa face blêmie par l'air du cabinet reprend quelque apparence de vie; ses cheveux ne tombent plus; il accoste ses amis et passe volontiers, en leur parlant, une minute qui valait de l'or avant la révolution; il perd son temps et ennuie son monde.

<«<Le petit marchand était jadis le plus heureux homme de la terre; il allait dîner tous les dimanches à Romainville, tenant d'un bras sa femme et de l'autre un pâté de Lesage; il avait un débit assuré de gants, de pommade et d'eau de Cologne; son banquier lui escomptait ses billets; mais, hélas! depuis la révolution personne ne veut plus de son papier. Le banquier qui l'écorchait autrefois ne voudrait plus prendre la chair de sa chair.

<< Et pourtant il n'y a pas un seul de ces maux qui ne pût être évité, si les hommes voulaient se donner la

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