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suivant l'ordre de parenté et jusqu'au dernier degré, comme s'ils étaient enfants naturels et légitimes.

Une quinzaine d'années plus tard, en Navarre, Charles le Mauvais, pour venir à bout de la résistance des clercs, qui refusaient de payer un subside, prescrivait de saisir leurs amies. Les deux documents donnent une idée attristante des mœurs du clergé dans la région pyrénéenne au xiv° siècle.

Il faut croire, d'ailleurs, que les laïcs de l'Aran ne le cédaient en rien aux ecclésiastiques, si l'on en juge par un autre article de la même charte de 1352 on sait en quelle défaveur les bâtards étaient tenus dans le droit du Moyen Age; or, d'après cette charte, lorsqu'il n'y avait pas d'enfants légitimes, les enfants illégitimes avaient pleine capacité successorale.

III

Mais ce qui se dégage le plus vigoureusement de ces textes, ce que l'on remarque surtout quand on les parcourt, c'est la lutte engagée par le pouvoir souverain contre l'autonomie, contre l'esprit d'indépendance et presque d'anarchie. Rien de plus naturel, si on tient compte des conditions géographiques et de la difficulté qu'on éprouvait pour communiquer de Barcelone à Viela, qui est sur le versant français. Il y a quelques années, un personnage d'Urgel ayant eu à se rendre, l'hiver, dans le val d'Aran, dut passer par Perpignan et Toulouse. La féodalité aidant, des conflits surgissaient jadis entre la Couronne et ses sujets en matière de domaine, de justice et même de politique étrangère.

Les différends d'ordre domanial furent résolus' en faveur des habitants. En 1298, le lieutenant du roi leur reconnut la faculté d'exploiter et de posséder les pacages et les eaux librement et sans charge, de pêcher et de construire des moulins, d'user des forêts et d'y chasser, d'ouvrir des mines de fer. Soixante ans plus tard, le problème fut de nouveau posé un commissaire du roi admettait que les habitants avaient sur les herbes un droit de jouissance « ad sufficientiam eorum et animalium dumtaxat », le reste devant revenir au souverain le roi concéda qu'ils pouvaient non seulement jouir personnellement des pacages, mais les affermer.

SAVANTS.

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22

Les autorités municipales revendiquaient le droit de conclure des paix et trêves avec le comte de Comminges et Arnaud d'Espagne; le roi transigea et confirma l'usage établi, à condition que, s'il l'ordonnait, les relations fussent rompues dans les dix jours.

Reste la justice. Ici trois parties sont en cause : le prince, le juge et les justiciables. Il arrivait que le châtelain saisissait à son profit un animal qui avait tué ou blessé un homme ou un autre animal; il fut convenu que la saisie profiterait à qui avait souffert le dommage. C'est le magistrat qui, dans cette circonstance, perd du terrain: en général, les justiciables sont directement aux prises avec le pouvoir central.

Les particuliers faisaient effort pour écarter la justice publique de leurs affaires toute une série d'actes ne laissent aux juges royaux la possibilité de juger que les crimes les plus graves; quant aux violences qui ne comportent pas peine de mort ou de mutilation, il était interdit aux magistrats d'en connaître, à moins qu'il ne fussent saisis d'une plainte. Et même, en cas de meurtre, le coupable se tirait d'affaire en payant aux parents et amis de la victime l' « homicide » fixé par un tarif et au souverain un droit de justice.

L'accord n'était pas obtenu cependant et il fallut préciser qui devait porter plainte et que le plaignant était tenu de poursuivre. l'affaire, sans doute comme partie civile. A défaut des particuliers, le ministère public assurait la répression.

Quant aux officiers municipaux, qui intervenaient volontiers dans ces démêlés, les ordonnances réduisaient leur activité au rôle d'arbitres, d'amiables compositeurs.

IV

On remarque dans toutes ces contrées que les populations, de tempérament vif et d'humeur impatiente, donnaient volontiers le pas aux mesures d'exécution sur la procédure régulière. Il est un mot qui revient fréquemment dans les transcriptions de M. Valls Taberner, c'est pignorare, saisir on ne voit pas bien si la saisie a pour objet les biens ou la personne. De simples De simples particuliers saisissaient leur débiteur chez lui, comme ils l'auraient saisi sur la place publique. Ils pouvaient saisir de jour et de nuit, sur et hors les chemins royaux,

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quiconque leur causait du dommage dans leurs défens. Ils émettaient la prétention de saisir pour une dette constante et d'assigner ensuite le débiteur, s'il refusait de s'acquitter le roi prescrivit que le châtelain serait chargé de cette saisie. De même, en cas d'empiétement sur un immeuble commun, ils soutenaient que les consuls avaient qualité pour convoquer le peuple et nettoyer ledit immeuble des maisons, vignes, arbres : l'autorité souveraine transféra cette attribution au châtelain.

Dans ces pays de montagne, où l'industrie pastorale tient une si large place, il importe de se protéger contre les maraudeurs qui coupent l'herbe, contre le bétail étranger qui pénétre dans les pacages; les intéressés pouvaient saisir les maraudeurs, saisir le bétail surpris chez eux, tuer même les béliers, brebis et chèvres. Tuer, « decollare », c'est le droit de degolla, qui est si souvent mentionné dans les documents des Pyrénées catalanes.

Par ces exemples, on peut juger des notions précises qu'un tel recueil apporte à l'histoire juridique. Les volumes suivants seront plus intéressants encore, quand ils permettront de rapprocher la législation des diverses vallées.

Législation, ai-je dit, car on se rend compte, sans qu'il soit besoin d'y insister, que dans ces pays, si bien défendus par leurs montagnes contre l'action du pouvoir royal, l'écart est très accusé entre la loi et la pratique. Dans une autre vallée, à laquelle M. Valls Taberner doit consacrer un volume prochain, il existe un petit nombre de dispositions écrites elles sont couramment transgressées, par les juges mêmes qui tiennent leur pouvoir des princes législateurs; deux décrets seulement sont respectés : l'un a été abrogé; quant à l'autre, les juges ne l'ont jamais vu, il m'a été impossible d'en retrouver le texte et j'ai la conviction qu'il n'a jamais été promulgué.

On ne saurait apporter trop de prudence dans la recherche du droit médiéval. Il convient, du moins, de remercier M. Valls Taberner, qui fournit un contingent appréciable de documents authentiques, et la Députation provinciale de Barcelone, qui accorde son patronage puissant à cette louable entreprise.

J.-A. BRUTAILS.

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Aussitôt revenu en France, Beulé passa son doctorat ès lettres avec deux thèses, l'une sur les Arts et la Poésie à Sparte, l'autre, en latin, sur la langue vulgaire chez les anciens, An vulgaris lingua apud veteres Graecos exstiterit? (1853). Puis, s'occupant de ses fouilles d'Athènes, il se hâtait de mettre au jour (1854) le résultat de ses recherches, sous ce titre : l'Acropole d'Athènes, en deux volumes in-8, avec planches à l'appui, que le monde savant accueillit avec sympathie et qui, dix ans plus tard, furent réunis en un seul volume, plus serré sinon plus pressant. Enfin, en 1855, Beulé publiait également ses Études sur le Péloponèse, l'un des derniers fruits de son séjour en Grèce. Mais déjà il enseignait l'archéologie à la Bibliothèque, alors impériale, ayant été appelé, quelques mois auparavant, à y suppléer Raoul-Rochette, au moment où la Légion d'honneur venait, par surcroît, le récompenser. C'était un homme presque arrivé, en bonne voie, du moins, de gravir vite un brillant cursus honorum et l'on commençait à parler de la fortune de celui que Sainte-Beuve allait nommer l'heureux Beulé. Cette chance naturelle, Beulé ne la laissait pas s'égarer, n'ignorant pas que la fortune, pour rester fidèle, doit être surveillée et retenue. C'est pour cela, qu'en outre de ses propres ouvrages, son activité intellectuelle se réser vait en partie, à côté de ses livres et de ses cours, à une collaboration soutenue aux grands périodiques français. Le 1er juin 1855, il débutait à la Revue des Deux Mondes par un article sur Athènes et les Grecs Modernes, d'après l'ouvrage du marquis de Laborde, Athènes aux XV, XVI et XVII* siècles, nouant ainsi un lien qui devait durer jusqu'à sa mort. Et, peu après, il essayait de pénétrer dans le cercle, alors très restreint, du Journal des Savants. C'est sur Victor Cousin que Beulé avait compté pour l'introduire chez cette élite, et on va voir à quelle occasion :

Mon cher maître, j'étais venu vous communiquer un sujet qui me semble tout à fait digne d'être traité dans le Journal des Savants. M. Brünn, directeur

(1) Voir le premier article dans le cahier de février, p. 71.

de l'Institut archéologique de Rome, a publié, en 1853 et 1856, deux volumes sur l'histoire des artistes grecs, Geschichte der Griechischen Künstler. C'est un travail considérable, neuf dans certaines parties, qui éveille la critique dans d'autres. En même temps je pourrais jeter quelques traits de comparaison avec les ouvrages qui traitent de l'histoire de l'Art et qui ont été publiés en Allemagne dans ces derniers temps. Ayez la bonté de soumettre ma proposition aux formalités préalables. Dès que j'aurai reçu de vous un mot d'encouragement, je me mettrai à l'œuvre. Les vacances de Pâques me laisseront les loisirs nécessaires.

Je saisis cette occasion pour vous renouveler les marques de ma reconnaissance affectueuse et de mon sincère dévouement.

E. BEULÉ.

La lettre n'est pas datée, mais elle est très vraisemblablement de 1857, c'est-à-dire placée entre l'achèvement de l'ouvrage en question et la publication du premier article de Beulé. Cette fois-ci son offre ne fut pas agréée et il semble que le Journal ne consacra rien au recueil de Brünn. Mais, en juin 1858, Beulé y insérait un article sur le premier fascicule du Dictionnaire de l'Académie des Beaux-Arts, article qui indiquait nettement les velléités académiques de l'auteur, titulaire, depuis un an, de la chaire d'archéologie, dont il avait été tout d'abord le suppléant.

Ce ne fut qu'un prélude, bientôt suivi d'une communication plus importante. Un nouveau champ d'investigation venait de se révéler à l'activité intellectuelle de Beulé, et il y était entré avec la fougue qu'il mettait à ses entreprises. C'est Carthage qui attirait son ambition, comme elle allait exciter la curiosité de Gustave Flaubert, dont la Salammbó devait mettre pour un temps à la mode les antiquités puniques.

Il ne déplaisait pas à Beulé de s'attaquer aux énigmes qui intéressaient l'attention publique, et s'il ne les résolvait pas, du moins se contentait-il qu'on sût qu'il y travaillait. Beulé partit donc pour Tunis, en 1858, faire une campagne de fouilles, à ses frais, et chercher l'emplacement de quelque monument de l'antique Carthage. Il ne s'était pas mis en peine de demander au sol des objets de musée : ce qu'il voulait lui surprendre, c'était, autant que possible, la topographie toujours secrète d'une cité trop souvent détruite. Mais la terre d'Afrique garda mieux son mystère que celle de la Grèce et se laissa arracher seulement quelques constatations, dont plusieurs furent discutées et dont l'ensemble ne souleva pas l'adhésion quasi unanime provoquée par les fouilles de l'Acropole.

Quoi qu'il en soit de ces résultats, Beulé s'adressa au Journal des Savants pour les mettre à la portée du monde érudit. Précisément, son travail sur les Monnaies d'Athènes faisait l'objet, dans ce recueil, d'une longue

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