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vérifications fastidieuses en se bornant à casser pour l'exemple quelques élections fortement contestées. Le nombre des annulations prononcées au milieu de janvier ne dépassait guère d'ailleurs une vingtaine. On pouvait néanmoins adresser à la Chambre un grave reproche: celui de n'avoir point à cet égard une jurisprudence invariable. Il avait semblé tacitement admis que l'investiture officielle et l'emploi des affiches blanches ne constituaient pas un motif suffisant d'invalidation et qu'à moins de faits de pression d'une gravité exceptionnelle, on n'invaliderait pas les candidats officiels ayant obtenu une forte majorité, plus de mille voix par exemple. Pourtant la Chambre dérogeait parfois capricieusement à ces principes; et M. de La RochefoucauldBisaccia, entre autres, s'était vu renvoyé devant les électeurs sans qu'aucun grief sérieux pût justifier une telle sévérité. Cette décision avait profondément irrité la droite et elle chercha un moyen de protester. Après avoir agité la question d'une démission ou d'une retraite en masse, elle s'en tint à une proposition de modification du règlement tendant à ce qu'une invalidation ne pût être prononcée que par une majorité des deux tiers des voix. Ce fut M. l'amiral Touchard qui déposa ce projet1, en l'accompagnant d'un exposé des motifs dont la violence permettait de croire que le but visé était moins de faire adopter la modification règlementaire que de porter à la tribune une bruyante protestation.

Nous sommes, dit l'amiral Touchard, en présence d'invalidations qui réveillent le souvenir des assemblées révolutionnaires.

Ces mesures, que précèdent des atermoiements sans fin provoquant des protestations sans limites, se multiplient incessamment; tantôt elles se produisent avec l'appui des

1. Séance du 20 janvier.

délibérations des bureaux, tantôt c'est contrairement aux conclusions du rapport que surgissent des propositions. improvisées et inattendues.

Elles ont frappé ici d'anciens députés en possession depuis longues années de la confiance de leurs compatriotes, contre lesquels il ne s'élevait aucune protestation sérieuse et qui semblaient devoir être protégés par un nombre imposant de suffrages; là, de nouveaux venus que leur influence et leur caractère recommandaient aux électeurs, à l'encontre des candidats abandonnés par le suffrage universel qui, ne pouvant se résoudre à accepter une défaite, viennent, jusque dans les couloirs de l'Assemblée, poursuivre les députés de leurs sollicitations.

La majorité de la Chambre a trouvé bon de valider tous les siens en trois séances, alors même qu'ils n'avaient sur leurs concurrents qu'un avantage de peu de voix et que le temps matériel avait manqué pour contester utilement leur élection. Elle n'a invalidé que ses adversaires politiques; elle a décimé et plus que décimé la droite.

A ses paroles qui soulevèrent de vives récriminations sur les bancs de la majorité et attirèrent à plusieurs reprises à l'orateur les remontrances du président, M. Gambetta vint répondre en demandant à la Chambre, dans une improvisation fort habile, de voter la question préalable :

C'est trop, s'écria M. Gambetta, qu'on ait pu apporter à cette tribune l'expression des rancunes et du dépit d'une minorité qui ose se réclamer de l'opinion publique, alors qu'elle n'a été que la créature d'un ministère d'arbitraire et de complot contre la volonté nationale.

Quelle est la minorité qui se plaint d'être décimée ? C'est celle qui siège sur ces bancs, et qui, à l'heure actuelle, a perdu dix-sept de ses membres.

Je dis, messieurs, que c'est le renversement de la vérité et de la justice que d'oser venir dire que la majorité n'a été impartiale jusqu'à l'indulgence.

Oui, messieurs, car si la minorité a pu pénétrer en force

dans cette enceinte, c'est parce qu'on a fait violence à la volonté du pays. C'est parce qu'on a pu, pendant une période de cinq mois, faire contre le parti républicain un emploi de la justice tel qu'on a intenté 2,598 procès de tendance politique. Pour quoi faire? Pour vous donner des électeurs et vous permettre de franchir les portes de cette enceinte.

L'honorable M. Baragnon, qui est parmi vous,

quand il est présent, un des organes les plus autorisés de vos doctrines et de vos vœux, a, dans l'Assemblée nationale de 1871, fait casser, avec son bonheur habituel, l'élection d'un de nos amis, parce qu'il y avait eu une recommandation, je crois, de l'honorable M. Barthélemy Saint-Hilaire, et la signature, sur une affiche, d'un maire qui recommandait sa candidature. La question est de savoir combien d'entre vous, parmi les cent députés de la minorité qui ont été validés, siégeraient sur ces bancs si on avait fait preuve, à leur égard, d'un pareil rigorisme.

La Chambre actuelle s'est souvent contentée, lorsque, dans une élection, elle rencontrait des faits de la plus haute gravité, des faits même délictueux, de les renvoyer à sa commission d'enquête; et cependant, simultanément, elle validait l'élection dans laquelle on rencontrait ces faits délictueux.

Quant aux retards apportés à la vérification, est-il ici quelqu'un qui ignore qu'il y a un certain nombre de ses - collègues de la minorité de ceux peut-être dont le dossier ne paraît pas le plus net, qui ont sollicité et obtenu de cette majorité farouche des délais, des congés même?

Après une courte philippique de M. P. de Cassagnac, qui répliqua à M. Gambetta en lui reprochant le 4 septembre, la question préalable fut adoptée par la Chambre par 126 voix de majorité.

La vérification des pouvoirs donna lieu encore à une scène des plus fâcheuses. Ce fut au cours d'une de ces séances du soir1 que l'on tenait pour accélérer le travail

1. Séance du 31 janvier.

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et qui sont souvent plus nuisibles qu'utiles, parce que la fatigue et l'irritation nerveuse y exaspèrent toutes les passions et toutes les rancunes. A la suite d'une discussion tumultueuse, la droite était sortie en masse de la salle, puis y était rentrée, lorsque M. Gambetta avait réclamé l'application du règlement contre les manœuvres collectives. M. Rouher monta à la tribune pour demander à la Chambre de « renoncer à son système d'hécatombes au nom de la concorde et du patriotisme et en considération des circonstances extérieures si graves et des grands problèmes qui s'agitaient au delà de nos frontières. » M. Gambetta lui répondit que ces orages accumulés qui menaçaient l'Europe étaient le résultat des candidatures officielles de l'Empire. Dès lors le débat. dégénéra, malgré les objurgations du président et au milieu du plus violent tumulte, en un duel entre M. Rouher et M. Gambetta, entre la République et l'Empire. M. Rouher essaya de justifier et lui-même et l'Empire. Il répudia toute part de responsabilité personnelle dans la déclaration de guerre de 1870; il nia son action dans la conduite des événements militaires et accusa le gouvernement de la Défense nationale d'avoir, en continuant la lutte, entraîné la France aux abîmes.

Oui, s'écria-t-il, l'empire a eu un moment désastreux, où la victoire l'a déserté. A ce moment la résignation était un devoir patriotique; et, comme la Russie après Sébastopol, comme l'Autriche après Solférino, il fallait faire la paix et se recueillir.

Vous, qu'avez-vous fait? Sans armes, sans armée, vous avez épuisé le sang et l'or de la France dans des combats inégaux qui lui ont coûté deux provinces et cinq milliards. Les nations n'ont pas, comme les hommes, le droit de pousser le duel jusqu'à la mort, car elles ont devant elles l'avenir et l'espoir de la revanche. Si nobles que soient les

passions, dès que la lutte épuise le pays, elles doivent céder au devoir.

Ces questions ont un caractère absolument rétrospectif; l'histoire jugera M. Gambetta, et elle jugera les hommes qui l'ont précédé au pouvoir.

M. Gambetta répondit à cette apologie par une improvisation enflammée dans laquelle il jeta à la face de M. Rouher les paroles que celui-ci avait prononcées en juillet 1870.

L'histoire est faite, s'écria l'orateur. L'histoire a siégé à Versailles sous la forme de l'Assemblée nationale et vous a déclaré responsables.

Je comprends que M. Rouher, sentant qu'il faut qu'il explique les capitulations de Sedan et de Metz, vienne plaider la lâcheté universelle du pays.

Vous avez dit que vous aviez été opposé à la guerre, eh bien écoutez le langage que tenait le jour de la déclaration de la guerre l'homme qui descend de cette tribune. Vous saurez alors, ce que pèse la dénégation de ce coupable aux abois.

« Sire, disait M. Rouher, n'avions-nous pas le droit de demander des garanties contre le retour possible de pareilles tentatives? » Et il oubliait, lui, qui parlait d'importation de princes étrangers, qu'il avait importé Maximilien au Mexique. Il oubliait que si le premier empire a le fossé de Vincennes, le second a celui de Queretaro... J'entends encore la grande voix de Berryer disant à la tribune du. Corps législatif: « Eh quoi! vous menez un archiduc d'Autriche au Mexique, quel sort réservez-vous à cet enfant de vos victoires? La banqueroute ou la mort. » Cette parole prophétique s'est doublement réalisée. C'était la banqueroute et la mort! C'est, d'ailleurs, là le cortège habituel des Bonaparte...

Je continue ma citation. M. Rouher disait au misérable vieillard, dont la volonté fatiguée obéissait aux funestes conseillers qui l'entouraient et voulaient que l'Espagnole

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