Je me tiens déja mort au monde. Mais sur le point d'être jeté Au fond de la nuit éternelle, Comme tant d'autres l'ont été, Tout ce que je vois me rappelle A ce monde que j'ai quitté.
Si vers le soir un triste orage Vient ternir l'éclat d'un beau jour, Je me souviens qu'à votre cour Le temps change encor davantage.
Si mes paons de leur beau plumage Me font admirer les couleurs, Je crois voir nos jeunes seigneurs Avec leur brillant étalage; Et mes coqs d'Inde sont l'image De leurs pesants imitateurs. De vos courtisans hypocrites Mes chats me rappellent les tours; Les renards, autres chatemites, Se glissant dans mes basses-cours, Me font penser à des jésuites. Puis-je voir mes troupeaux bêlants Qu'un loup impunément dévore, Sans songer à des conquérants Qui sont beaucoup plus loups encore? Lorsque les chantres du printemps Réjouissent de leurs accents
Mes jardins et mon toit rustique,
Lorsque mes sens en sont ravis, On me soutient que leur musique Céde aux bémols des Monsignis, Qu'on chante à l'Opéra-Comique.
Quel bruit chez le peuple helvétique! Brionne arrive; on est surpris, On croit voir Pallas ou Cypris, Ou la reine des immortelles: Mais chacun m'apprend qu'à Paris Il en est cent presque aussi belles. Je lis cet éloge éloquent Que Thomas a fait savamment Des dames de Rome et d'Athène. On me dit: Partez promptement; Venez sur les bords de la Seine, Et vous en direz tout autant, Avec moins d'esprit et de peine. Ainsi, du monde détrompé, Tout m'en parle, tout m'y ramene; Serais-je un esclave échappé
Que tient encore un bout de chaîne? Non, je ne suis point faible assez Pour regretter des jours stériles, Perdus bien plutôt que passés Parmi tant d'erreurs inutiles.
Adieu, faites de jolis riens, Vous encor dans l'âge de plaire, Vous que les Amours et leur mère
Tiennent toujours dans leurs liens.
Nos solides historiens
Sont des auteurs bien respectables; Mais à vos chers concitoyens Que faut-il, mon ami? des fables.
QUI AVAIT ADRESsé a l'auteur son voyage littéraire de la grèce.
Le bon vieillard très inutile Que vous nommez Anacréon, Mais qui n'eut jamais de Batile, Et qui ne fit point de chanson, Loin de Marseille et d'Hélicon Achève sa pénible vie
Auprès d'un poêle et d'un glaçon Sur les montagnes d'Helvétie. Il ne connaissait que le De cette Grèce si polie. La bigote Inquisition S'opposait à sa passion De faire un tour en Italie.
Il disait aux treize cantons:
Hélas! il faut donc que je meure Sans avoir connu la demeure Des Virgiles et des Platons! Enfin il se croit au rivage Consacré par ces demi-dieux : Il les reconnaît beaucoup mieux Que s'il avait fait le voyage, Car il les a vus par vos yeux.
Philosophe indulgent, ministre citoyen, Qui ne cherchas le vrai que pour faire le bien, Qui d'un peuple léger, et trop ingrat peut-être, Préparais le bonheur et celui de son maître, Ce qu'on nomme disgrace a payé tes bienfaits. Le vrai prix du travail n'est que de vivre en paix. Ainsi que Lamoignon2, délivré des orages, A toi-même rendu, tu n'instruis que les sages; Tu n'as plus à répondre aux discours de Paris. Je crois voir à-la-fois Athène et Sibaris
Transportés dans les murs embellis par la Seine: Un peuple aimable et vain, que son plaisir entraîne,
Impétueux, léger, et sur-tout inconstant,
Qui vole au moindre bruit et qui tourne à tout vent, Y juge les guerriers, les ministres, les princes, Rit des calamités dont pleurent les provinces, Clabaude le matin contre un édit du roi, Le soir s'en va siffler quelque moderne, ou moi, Et regrette à souper, dans ses turlupinades, Les divertissements du jour des barricades.
Voilà donc ce Paris! voilà ces connaisseurs Dont on veut captiver les suffrages trompeurs! Hélas! au bord de l'Inde autrefois Alexandre Disait sur les débris de cent villes en cendre: Ah! qu'il m'en a coûté quand j'étais si jaloux, Railleurs athéniens, d'être loué par vous!
Ton esprit, je le sais, ta profonde sagesse, Ta mâle probité n'a point cette faiblesse. A d'éternels travaux tu t'étais dévoué
Pour servir ton pays, non pour
Caton, dans tous les temps gardant son caractère,
Mourut pour les Romains sans prétendre à leur plaire. La sublime vertu n'a point de vanité.
C'est dans l'art dangereux par
Dans le grand art des vers et dans celui d'Orphée, Que du desir de plaire une Muse échauffée
Du vent de la louange excite son ardeur.
Le plus plat écrivain croit plaire à son lecteur. L'amour-propre a dicté sermons et comédies. L'éloquent Montazet3, gourmandant les impies,
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