Il a l'air de s'extasier
En admirant notre hémisphère;
Vous aimez à vous égayer
Pour le moins sur la race entière Que Dieu s'avisa d'y créer.
Le cou penché, clignant les yeux, Il rit aux anges d'un sot rire; Vous avez de l'esprit comme eux: Je le crois, et je l'entends dire.
Peut-être, en vous parlant ainsi, C'est vous donner trop de louanges: Mais il se pourrait bien aussi Que je fais trop d'honneur aux anges.
Je fus autrefois le Chiron
Qui guidait cet aimable Achille.
Mon pauvre neveu Sanadon, Connu de vous dans votre enfance, N'a pour ressource que mon nom, Vos bontés, et son espérance.
A vos pieds je voudrais bien fort L'amener pour vous rendre hommage; Mais j'ai le malheur d'être mort, Ce qui s'oppose à mon voyage.
Votre cœur n'est point endurci, Et sur vous mon espoir se fonde: Je ne peux rien dans l'autre monde, Vous pouvez tout dans celui-ci.
Je pourrais me faire un mérite D'avoir pour vous bien prié Dieu: Mais jeune prince aime fort peu Les oremus d'un vieux jésuite.
Je ne sais d'où dater ma lettre. Si par vous mes vœux sont reçus, En paradis vous m'allez mettre, Mais en enfer par un refus.
Non, mon neveu seul misérable Est seul à souffrir condamné; Car qui n'a rien se donne au diable: Empêchez qu'il ne soit damné.
1 Le P. Sanadon est supposé parler lui-même de l'autre monde.
A Cirey, ce 20 septembre 1735.
Que devient donc mon Cideville? Et pourquoi ne m'écrit-il plus? Est-ce Thémis, est-ce Vénus Qui l'a rendu si difficile?
Soit que d'un vieux papier timbré Il débrouille le long grimoire, Soit qu'un tendre objet adoré Lui cède une douce victoire,
Il faut que loin de m'oublier Il m'écrive avec alégresse,
Ou sur le dos de son greffier, Ou sur le sein de sa maîtresse.
Ah! datez du sein de Manon; C'est de là qu'il me faut écrire: C'est le vrai trépied d'Apollon, Plein du beau feu qui vous inspire.
Écrivez donc des vers badins; Mais, en commençant votre épître, La plume échappe de vos mains, Et vous baisez votre pupitre.
A M. LE COMTE DE TRESSAN.
Tandis qu'aux fanges du Parnasse, D'une main criminelle et basse, Rufus va cherchant des poisons, Ta main délicate et légère Cueille aux campagnes de Cythère Des fleurs dignes de tes chansons.
Les Graces accordent ta lyre;
Le Plaisir mollement t'inspire, Et tu l'inspires à ton tour. Que ta Muse tendre et badine Se sent bien de son origine!
Elle est la fille de l'Amour.
Loin ce rimeur atrabilaire, Ce cynique, ce plagiaire, Qui, dans ses efforts odieux, Fait servir à la calomnie, A la rage, à l'ignominie, Le langage sacré des dieux.
Sans doute les premiers poëtes, Inspirés, ainsi que vous l'êtes, Étaient des dieux ou des amants. Tout a changé, tout dégénère, Et dans l'art d'écrire et de plaire: Mais vous êtes des premiers temps.
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