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X.

AU MÊME.

A La Haye, le 25 octobre 1740.

Ombre aimable, charmant espoir,

Des plaisirs image légère,

Quoi! vous me flattez de revoir
Ce roi qui sait régner et plaire!

Nous lisons dans certain auteur,
Cet auteur est, je crois, la Bible,
Que Moïse le voyageur

Vit Jéhova, quoique invisible.

Certain verset dit hardiment
Qu'il vit sa face de lumière:
Un autre nous dit bonnement
Qu'il ne parla qu'à son derrière.

On dit que la Bible souvent
Se contredit de la manière;
Mais qu'importe dans ce mystère
Ou le derrière ou le devant?

Il vit son Dieu, c'est chose claire;
Il reçut ses commandements:

Les vôtres seront plus charmants,
Et votre présence plus chère.

Je pourrai dire quelque jour:
J'ai vu deux fois ce prince aimable,
Né pour la guerre
guerre et pour l'amour,
pour l'étude et pour la table.

Et

Il sait tout, hors être en repos:
Il sait agir, parler, écrire;
Il tient le sceptre de Minos,
Et des Muses il tient la lyre.

Mais, dieux! aujourd'hui qu'il s'écarte
De la droite raison qu'il a!

Il esquive le quinquina

Pour conserver sa fièvre quarte.

XI.

AU MÊME,

Pour en obtenir la grace d'un Français détenu depuis long-temps dans les prisons de Spandau.

1743'.

Génie universel, ame sensible et ferme,

Grand homme, il est sous vous de malheureux mortels2;

Mais quand à ses vertus on n'a point mis de terme, On en met aux tourments des plus grands criminels.

Depuis vingt ans entiers faut-il qu'on abandonne
Un étranger mourant au poids affreux des fers?
Pluton punit toujours, mais Jupiter pardonne:
N'imiterez-vous plus que le dieu des enfers?

Voyez autour de vous les Prières tremblantes,
Filles du Repentir, maîtresses des grands cœurs,
S'étonner d'arroser de larmes impuissantes
La généreuse main qui sécha tant de pleurs 3.

Ah! pourquoi m'étaler avec magnificence
Ce spectacle brillant où triomphe Titus?
Pour embellir la fête 4 égalez sa clémence,
Et l'imitez en tout; ou ne le vantez plus.

NOTE ET VARIANTES.

1 Ces vers furent présentés au roi après une représentation de l'opéra de Metastasio, intitulé la Clémence de Titus. (Édit. de Kehl.)

2

Quoi! lorsque vous régnez il est des malheureux?

Aux tourments d'un coupable il vous faut mettre un terme,

Et n'en mettre jamais à vos soins généreux.

Voyez autour de vous, etc.

3 Les mains qui de la terre ont dû sécher les pleurs.

4 Pour achever la féte.

XII.

AU MÊME.

A Berlin, ce 2 décembre 1740.

Adieu, grand homme; adieu, coquette,

Esprit sublime et séducteur,

Fait pour l'éclat, pour la grandeur,

Pour les Muses, pour la retraite.

Adieu, vainqueur ou protecteur
Du reste de la Germanie,
De moi très chétif raisonneur,
Et de la noble poésie.

Adieu, trente ames dans un corps
Que les dieux comblèrent de grace,
Qui réunissez les trésors

Qu'on voit divisés au Parnasse.

Adieu, vous dont l'auguste main,

Toujours au travail occupée,

Tient, pour l'honneur du genre humain,

La plume, la lyre, et l'épée.

Vous qui prenez tous les chemins

De la gloire la plus durable,

Avec nous autres si traitable,
Si grand avec les souverains!

Vous qui n'avez point de faiblesse,
Pas même celle de blâmer

Ceux qu'on voit un peu trop aimer
Ou leurs erreurs ou leur maîtresse!

Adieu; puis-je me consoler

Par votre amitié noble et pure?
Le roi me fait un peu trembler;
Mais le grand homme me rassure.

XIII.

AU MÊME.

31 décembre 1740.

Vous en souviendrez-vous, grand homme que vous êtes,
De ce fils d'Apollon qui vint au mont Rémus,
Amateur malheureux de vos belles retraites,
Mais heureux courtisan de vos seules vertus?

Vous en souviendrez-vous aux champs de Silésie,
Tant de projets en tête et la foudre à la main,

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