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Est-on maître de son secret?

Les égards que le rang impose
N'étouffent point le sentiment;
Ils font qu'on l'exprime autrement,
Et ne changent rien à la chose.

XXXIII.

LES TORTS'.

1757.

Non, je n'ai point tort d'oser dire
Ce que pensent les gens de bien;
Et le sage qui ne craint rien

A le beau droit de tout écrire.

J'ai, quarante ans,

bravé l'empire

Des lâches tyrans des esprits;

Et, dans votre petit pays,

J'aurais grand tort de me dédire.

Je sais que souvent le Malin
A caché sa queue et sa griffe
Sous la tiare d'un pontife,

Et sous le manteau d'un Calvin.

Je n'ai point tort quand je déteste
Ces assassins religieux,
Employant le fer et les feux

Pour servir le Père céleste.

Oui, jusqu'au dernier de mes jours,
Mon ame sera fière et tendre;
J'oserai gémir sur la cendre
Et des Servets et des Dubourgs.

De cette horrible frénésie
A la fin le temps est passé:
Le Fanatisme est terrassé;
Mais il reste l'Hypocrisie.

Farceurs à manteaux étriqués,

Mauvaise musique d'église,

Mauvais vers, et sermons croqués,
Ai-je tort si je vous méprise?

NOTE.

1 Dans l'édition faite à Genève, en 1756, de l'Essai sur l'histoire générale (aujourd'hui Essai sur les mœurs et l'esprit des nations), Voltaire, à l'occasion du meurtre de Servet, avait dit que Calvin avait une ame atroce. Il signala même cette phrase dans une lettre à Thiriot du 26 mars 1757, et qui fut imprimée dans le Mercure du mois de mai de la même année. Cela fit scandale à Genève, et

occasiona des tracasseries à Voltaire. Un Gènevois, nommé Rival, lui adressa des vers, où il lui disait :

Quant à vous, célèbre Voltaire,

Vous eûtes tort, c'est mon avis.

Vous vous plaisez dans ce pays;

Fêtez le saint qu'on y révère. etc., etc.

C'est en réponse à la pièce de Rival que Voltaire publia ces stances, intitulées Les torts. B.

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XXXIV.

A MADAME DU BOCAGE.

Aux Délices, 2 février 1759.

Qui les a faits ces vers doux et coulants,
Qui, comme vous, ont le talent de plaire?
Pour moi j'ai dit, en voyant ces enfants:
A leurs attraits je reconnais leur mère.

Quoi! vous louez ma retraite, mes goûts,
Les agréments de mon séjour champêtre!
Vous prétendez que, même loin de vous,
Je suis heureux, et sage aussi peut-être.

Il est bien vrai que la félicité
Devrait loger sous l'humble toit du sage:
Je la cherchai dans mon doux ermitage;
Elle y passa, mais vous l'avez quitté.

XXXV.

A M. LE MARQUIS

ALBERGATI CAPACELLI,

SÉNATEUR DE BOLOGNE.

Aux Délices, 19 juin 1760.

En tout pays on se pique
De molester les talents;
Goldoni voit maint critique
Combattre ses partisans.

On ne savait à quel titre
On doit juger ses écrits;
Dans ce procès on a pris
La Nature pour arbitre.

Aux critiques, aux rivaux,
La Nature a dit sans feinte :
Tout auteur a ses défauts,
Mais ce Goldoni m'a peinte.

XXXVI.

A M. LE CHEVALIER DE BOUFFLERS,

QUI LUI AVAIT ENVOYÉ UNE PIÈCE de vers intitulée : le coeur.

Certaine dame honnête, et savante, et profonde,
Ayant lu le traité du cœur,

Disait en se pâmant, Que j'aime cet auteur!
Ah! je vois bien qu'il a le plus grand cœur du monde !

De mon heureux printemps j'ai vu passer la fleur;
Le cœur pourtant me parle encore:

Du nom de Petit-coeur quand mon amant m'honore,
Je sens qu'il me fait trop d'honneur.

Hélas! faibles humains, quels destins sont les nôtres!
Qu'on a mal placé les grandeurs!

Qu'on serait heureux si les cœurs
Étaient faits les uns pour les autres!

Illustre chevalier, vous chantez vos combats,
Vos victoires, et votre empire;

Et dans vos vers heureux, comme vous pleins d'appas,
C'est votre cœur qui vous inspire.

Quand Lisette vous dit, Rodrigue, as-tu du cœur?

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