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Nous n'ajouterons rien à une lettre aussi authentique et aussi décisive. Nous nous contenterons de féliciter notre auteur philosophe d'avoir pour ennemis de tels misérables. (Édit. de 1771.)

9 Vainement de Dijon l'impudent écolier.

Un nommé Clément, jeune homme, fils d'un procureur de Dijon, et ci-devant maître de quartier dans une pension, a fait un livre entier contre M. de Saint-Lambert, M. Delille, M. Dorat, M. Watelet, et M. Le Mierre. Ce jeune homme s'est avisé de dicter des arrêts du haut d'un tribunal qu'il s'est érigé. Il commence par prononcer qu'il ne faut point traduire Virgile en vers; et ensuite il décide que M. Delille a fort mal traduit les Géorgiques. Sa traduction est pourtant, de l'aveu de tous les connaisseurs, la meilleure qui ait été faite dans aucune langue, et il y en a eu quatre éditions en deux ans. Ce Clément, sans respect pour le public, décide, d'un ton de maître, que tel vers est ridicule, tel autre plat, tel autre grossier, sans alléguer la plus faible raison. Il ressemble à ces juges qui ne motivent jamais leurs arrêts.

Nous ne connaissons point ce critique, nous ne connaissons point M. Delille; mais nous remercions M. Delille du plaisir qu'il nous a fait. Nous avouons qu'il a égalé Virgile en plusieurs endroits, et qu'il a vaincu les plus grandes difficultés. Nous osons dire qu'il a rendu un signalé service à la langue française, et Clément n'en a rendu qu'à l'envie.

Il attaque avec plus d'orgueil encore l'estimable poëme des Saisons, de M. de Saint-Lambert. Mais quel chef-d'œuvre avait fait ce Clément pour être en droit de condamner si fièrement? à quels bons ouvrages avait-il donné la vie pour être en droit de porter ainsi des arrêts de mort? Il avait lu une tragédie de sa façon aux comédiens de Paris, qui ne purent en écouter que deux actes. Le pauvre diable mourant de honte et de faim se fit satirique pour avoir du pain. Vous trouverez dans l'histoire du Pauvre Diable la véritable histoire de tous ces petits écoliers qui, ne pouvant rien faire, se mettent à juger ce que les autres font. (Ibid.)

ÉPITRE CXCIX.

A L'AUTEUR

DU LIVRE DES TROIS IMPOSTEURS'.

1771.

Insipide écrivain, qui crois à tes lecteurs
Crayonner les portraits de tes Trois Imposteurs,
D'où vient que, sans esprit, tu fais le quatrième?
Pourquoi, pauvre ennemi de l'essence suprême,
Confonds-tu Mahomet avec le Créateur,

Et les œuvres de l'homme avec Dieu, son auteur?...
Corrige le valet, mais respecte le maître.
Dieu ne doit point pâtir des sottises du prêtre :
Reconnaissons ce Dieu, quoique très mal servi.
De lézards et de rats mon logis est rempli;
Mais l'architecte existe, et quiconque le nie
Sous le manteau du sage est atteint de manie.
Consulte Zoroastre, et Minos, et Solon,
Et le martyr Socrate, et le grand Cicéron:
Ils ont adoré tous un maître, un juge, un père.
Ce système sublime à l'homme est nécessaire.
C'est le sacré lien de la société,

Le premier fondement de la sainte équité,
Le frein du scélérat, l'espérance du juste.

Si les cieux, dépouillés de son empreinte auguste,

Pouvaient cesser jamais de le manifester,

Si Dieu n'existait pas,

il faudrait l'inventer.

Que le sage l'annonce, et que les rois le craignent.
Rois, si vous m'opprimez, si vos grandeurs dédaignent
Les pleurs de l'innocent que vous faites couler,
Mon vengeur est au ciel: apprenez à trembler.
Tel est au moins le fruit d'une utile croyance.

Mais toi, raisonneur faux, dont la triste imprudence
Dans le chemin du crime ose les rassurer,
De tes beaux arguments quel fruit peux-tu tirer?
Tes enfants à ta voix seront-ils plus dociles?
Tes amis, au besoin, plus sûrs et plus utiles?
Ta femme plus honnête? et ton nouveau fermier,
Pour ne pas croire en Dieu, va-t-il mieux te payer?...
Ah! laissons aux humains la crainte et l'espérance.
Tu m'objectes en vain l'hypocrite insolence
De ces fiers charlatans aux honneurs élevés,
Nourris de nos travaux, de nos pleurs abreuvés;
Des Césars avilis la grandeur usurpée;
Un prêtre au Capitole où triompha Pompée;
Des faquins en sandale, excrément des humains,
Trempant dans notre sang leurs détestables mains ;
Cent villes à leur voix couvertes de ruines,
Et de Paris sanglant les horribles matines;
Je connais mieux que toi ces affreux monuments;
Je les ai sous ma plume exposés cinquante ans.
Mais, de ce fanatisme ennemi formidable,
J'ai fait adorer Dieu quand j'ai vaincu le diable.

Je distinguai toujours de la religion

Les malheurs qu'apporta la superstition.

L'Europe m'en sut gré; vingt têtes couronnées
Daignèrent applaudir mes veilles fortunées,

Tandis

que Patouillet m'injuriait en vain.

J'ai fait plus en mon temps que Luther et Calvin.
On les vit opposer, par une erreur fatale,
Les abus aux abus, le scandale au scandale.
Parmi les factions ardents à se jeter,

Ils condamnaient le pape, et voulaient l'imiter.
L'Europe par eux tous fut long-temps désolée;
Ils ont troublé la terre, et je l'ai consolée.
J'ai dit aux disputants l'un sur l'autre acharnés:
Cessez, impertinents; cessez, infortunés;

Très sots enfants de Dieu, chérissez-vous en frères,
Et ne vous mordez plus pour d'absurdes chimères.
Les gens
de bien m'ont cru: les fripons écrasés
En ont poussé des cris du sage méprisés;
Et dans l'Europe enfin l'heureux tolérantisme
De tout esprit bien fait devient le catéchisme.

Je vois venir de loin ces temps, ces jours sereins, Où la philosophie, éclairant les humains,

Doit les conduire en paix aux pieds du commun maître;
Le Fanatisme affreux tremblera d'y paraître:
On aura moins de dogme avec plus de vertu.
Si quelqu'un d'un emploi veut être revêtu,

Il n'amènera plus deux témoins à sa suite 2
Jurer quelle est sa foi, mais quelle est sa conduite.

A l'attrayante sœur d'un

gros bénéficier Un amant huguenot pourra se marier;

Des trésors de Lorette, amassés pour Marie,
On verra l'indigence habillée et nourrie;

Les enfants de Sara, que nous traitons de chiens,
Mangeront du jambon fumé par des chrétiens.
Le Turc, sans s'informer si l'iman lui pardonne,
Chez l'abbé Tamponet ira boire en Sorbonne 3.
Mes neveux souperont sans rancune et gaiement
Avec les héritiers des frères Pompignan;
Ils pourront pardonner au pincé La Blétrie 4
D'avoir coupé trop tôt la trame de ma vie.
Entre les beaux esprits on verra l'union:
Mais qui pourra jamais souper avec Fréron?

NOTES DE L'ÉPITRE CXCIX.

1 Ce livre des Trois Imposteurs est un très mauvais ouvrage, plein d'un athéisme grossier, sans esprit, et sans philosophie. (Édition de 1771.)

2 En France, pour être reçu procureur, notaire, greffier, il faut deux témoins qui déposent de la catholicité du récipiendaire. (Ib.)

3 Tamponet était en effet docteur de Sorbonne. (Ibid.)

4 La Bletterie, à ce qu'on m'a rapporté, a imprimé que j'avais oublié de me faire enterrer. (Ibid.)

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