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4 Quand Auguste buvait, la Pologne était ivre.

Ce vers cité est du roi de Prusse : il est dans une épître à son frère.

Lorsque Auguste buvait, la Pologne était ivre;
Lorsque le grand Louis brûlait d'un tendre amour,
Paris devint Cythère, et tout suivit la cour:
Quand il se fit dévot, ardent à la prière,

Le lâche courtisan marmotta son bréviaire. (Ibid.)

5 Colchos où Mithridate expira sous Pompée.

Pompée défit Mithridate sur la route de l'Ibérie à la Colchide; mais Mithridate se donna la mort à Panticapée. (Ibid.)

ÉPITRE CCI.

AU ROI DE SUÈDE,

GUSTAVE III.

1771.

Gustave, jeune roi, digne de ton grand nom;
Je n'ai donc pu goûter le plaisir et la gloire
De voir dans mes déserts, en mon humble maison,
Le fils de ce héros que célébra l'histoire!

J'aurais cru ressembler à ce vieux Philémon,
Qui recevait les dieux dans son pauvre ermitage.
Je les aurais connus à leur noble langage,

A leurs mœurs, à leurs traits, sur-tout à leur bonté 1;
Ils n'auraient point rougi de ma simplicité;

Et Gustave sur-tout, pour le prix de mon zèle,
N'aurait jamais changé mon logis en chapelle.
Je serais peu content que le pouvoir divin
En un dortoir béni transformât mon jardin,
De ma salle à manger fît une sacristie:

La grand'messe pour moi n'a que peu

d'harmonie ;

En vain mes chers vassaux me croiraient honoré
Si le seigneur du lieu devenait leur curé.

J'ai le cœur très profane, et je sais me connaître;
Je ne me flatte pas de me voir jamais prêtre ;
Si Philémon le fut pour un mauvais souper,
L'éclat de ce haut rang ne saurait me frapper.

Le grand roi des Bretons, qu'à Saint-Pierre on condamne, Est le premier prélat de l'Église anglicane.

Sur les bords du Volga Catherine tient lieu
D'un grave patriarche, ou, si l'on veut, de Dieu.
De cette ambition je n'ai point l'ame éprise,
Et je suis tout au plus serviteur de l'Église.
J'aurais mis mon bonheur à te faire ma cour,
A contempler de près tout l'esprit de ta mère,
Qui forma tes beaux ans dans le grand art de plaire,
A revoir Sans-Souci, ce fortuné séjour,

Où regnent la Victoire et la Philosophie,
Où l'on voit le Pouvoir avec la Modestie.
Jeune héros du nord, entouré de héros,
A ces nobles plaisirs je ne puis plus prétendre;
Il ne m'est pas permis de te voir, de t'entendre.
Je reste en ma chaumière, attendant qu'Atropos

Tranche le fil usé de ma vie inutile;

Et je crie aux Destins, du fond de mon asile :

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Destins, qui faites tout, et qui trompez nos vœux,

« Ne trompez pas les miens, rendez Gustave heureux. »

NOTE DE L'ÉPITRE CCI.

1 Le prince son frère était avec lui. (Édit. de 1771.)

ÉPITRE CCII.

AU ROI DE LA CHINE'.

sur son recueil de vers qu'il a fait IMPRIMER.

1771.

Reçois mes compliments, charmant roi de la Chine 2.
Ton trône est donc placé sur la double colline!
On sait dans l'Occident que, malgré mes travers,
J'ai toujours fort aimé les rois qui font des vers.
David même me plut, quoiqu'à parler sans feinte
Il prône trop souvent sa triste cité sainte,

Et

que d'un même ton sa Muse à tout propos Fasse danser les monts et reculer les flots.

Frédéric a plus d'art, et connaît mieux son monde; Il est plus varié, sa veine est plus féconde;

Il a lu son Horace, il l'imite; et vraiment

Ta majesté chinoise en devrait faire autant.

Je vois avec plaisir que sur notre hémisphère 3
L'art de la poésie à l'homme est nécessaire.
Qui n'aime point les vers a l'esprit sec et lourd;
Je ne veux point chanter aux oreilles d'un sourd:
Les vers sont en effet la musique de l'ame.

O toi que sur le trône un feu céleste enflamme,
Dis-moi si ce grand art dont nous sommes épris
Est aussi difficile à Pékin qu'à Paris.
Ton peuple est-il soumis à cette loi si dure
Qui veut qu'avec six pieds d'une égale mesure,
De deux alexandrins côte à côte marchants,
L'un serve pour la rime et l'autre pour le sens?
Si bien que sans rien perdre, en bravant cet usage,
On pourrait retrancher la moitié d'un ouvrage.

Je me flatte, grand roi, que tes sujets heureux Ne sont point opprimés sous ce joug onéreux, Plus importun cent fois que les aides, gabelles, Contrôle, édits nouveaux, remontrances nouvelles, Bulle Unigenitus, billets aux confessés 4, Et le refus d'un gîte aux chrétiens trépassés. Parmi nous le sentier qui mène aux deux collines Ainsi que tout le reste est parsemé d'épines. A la Chine sans doute il n'en est pas ainsi. Les biens sont loin de nous, et les maux sont ici: C'est de l'esprit français la devise éternelle.

Je veux m'y conformer, et, d'un

crayon fidéle,

6

Peindre notre Parnasse à tes regards chinois.
Écoute mon partage est d'ennuyer les rois.
Tu sais (car l'univers est plein de nos querelles)
Quels débats inhumains, quelles guerres cruelles,
Occupent tous les mois l'infatigable main
Des sales héritiers d'Étienne et de Plantin 5.
Cent rames de journaux, des rats fatale proie,
Sont le champ de bataille où le sort se déploie.
C'est là qu'on vit briller ce grave magistrat
Qui vint de Montauban pour gouverner l'état.
Il donna des leçons à notre académie,
Et fut très mal payé de tant de prud'homie.
Du jansénisme obscur le fougueux gazetier?
Aux beaux esprits du temps ne fait aucun quartier;
Hayer poursuit de loin les encyclopédistes 8;
Linguet fond en courroux sur les économistes 9;
A brûler les païens Ribalier se morfond 10;

Beaumont pousse à Jean-Jacque, et Jean-Jacque à Beaumont
Palissot contre eux tous puissamment s'évertue 12:
Que de fiel s'évapore, et que d'encre est perdue!
Parmi les combattants vient un rimeur gascon 13,
Prédicant petit-maître, ami d'Aliboron 14,
Qui, pour se signaler, refait la Henriade;
Et tandis qu'en secret chacun se persuade
De voler en vainqueur au baut du mont sacré,
On vit dans l'amertume, et l'on meurt ignoré.
La Discorde est par-tout, et le public s'en raille.
On se hait au Parnasse encor plus qu'à Versaille.

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