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De rendre à son pays cette gloire passée
Que la Discorde obscure a long-temps éclipsée ;
De ne plus distinguer ni bonnets ni chapeaux,
Dans un trouble éternel infortunés rivaux;
De couvrir de lauriers ces têtes égarées
Qu'à leurs dissensions la haine avait livrées,
Et de les réunir sous un roi généreux :
Un état divisé fut toujours malheureux.
De sa liberté vaine il vante le prestige;
Dans son illusion sa misère l'afflige:

Sans force, sans projets pour la gloire entrepris,
De l'Europe étonnée il devient le mépris.

Qu'un roi ferme et prudent prenne en ses mains les rênes,
Le peuple avec plaisir reçoit ses douces chaînes;
Tout change, tout renaît, tout s'anime à sa voix:
On marche alors sans crainte aux pénibles exploits.
On soutient les travaux, on prend un nouvel être,
Et les sujets enfin sont dignes de leur maître.

NOTE DE L'ÉPITRE CCV.

1 La question ne se réduit pas à savoir si le peuple suédois était réellement opprimé par le sénat : dans ce cas on peut, sans doute, excuser la révolution, mais elle n'en devient pas plus juste. L'abus qu'un autre fait d'un pouvoir même usurpé ne me donne pas le droit de m'en emparer. (Édit. de Kehl. )

ÉPITRE CCVI.

A MADAME DE SAINT-JULIEN,

NÉE COMTESSE

DE LA TOUR-DU-PIN.

Fille de ces dauphins de qui l'extravagance
S'ennuya de régner pour obéir en France,
Femme aimable, honnête homme, esprit libre et hardi,
Qui, n'aimant que le vrai, ne suis que la nature,
Qui méprisas toujours le vulgaire engourdi
Sous l'empire de l'imposture,
Qui ne conçus jamais la moindre vanité

Ni de l'éclat de la naissance,
Ni de celui de la beauté,

Ni du faste de l'opulence;

Tu quittes le fracas des villes et des cours,

Les spectacles, les jeux, tous les riens du grand monde, Pour consoler mes derniers jours

Dans ma solitude profonde.

En habit d'amazone, au fond de mes déserts,

Je te vois arriver plus belle et plus brillante
Que la divinité qui naquit sur les mers.

D'un flambeau dans tes mains la flamme étincelante
Apporte un jour nouveau dans mon obscurité;

Ce n'est point de l'Amour le flambeau redoutable,

C'est celui de la Vérité:

C'est elle qui t'instruit, et tu la rends aimable.

C'est ainsi qu'auprès de Platon,
Auprès du vieux Anacréon,
Les belles nymphes de la Grèce
Accouraient pour donner leçon
Et de plaisir et de sagesse.

La légende nous a conté

Que l'on vit sainte Técle, au public exposée,
Suivant par-tout saint Paul, en homme déguisée,
Braver tous les brocards de la malignité.

Cet exemple de piété
En tout pays fut imité
Chez la révérende prêtrise:
Chacun des pères de l'Église
Eut une femme à son côté.

Il n'est point de François de Sale
Sans une dame de Chantal:
Un dévot peut penser à mal,
Mais ne donne point de scandale.

Bravez donc les discours malins,
Demeurez dans mon ermitage,
Et craignez plus les jeunes saints
Que les fleurettes d'un vieux sage.

ÉPITRE CCVII.

A.M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.

A Ferney, le 21 décembre 1772.

Quoi! toujours la cruelle Envie

Poursuit ma réputation!

On dit qu'une nymphe jolie

Dans ma dernière maladie

M'a donné l'extrême-onction,
Et que j'emporte en l'autre vie
de consolation.

Ce peu

Voyez l'horrible calomnie!

Seigneur, il n'appartient qu'à vous,
A votre jeunesse immortelle,
De faire encor de si beaux coups,
Et d'être entre les deux genoux
D'une coquine fraîche et belle.
Je sens que je suis au tombeau:
Cet état me fait de la peine;
Mais il ne faut pas qu'un roseau
Vive aussi long-temps que le chêne.

ÉPITRE CCVIII.

AU ROI DE PRUSSE.

AU NOM DE THIRIOT QUI VENAIT DE MOURIR.

22 décembre 1772.

C'en est fait, mon rôle est rempli,

Je n'écrirai plus de nouvelles';

Le pays du fleuve d'oubli

N'est pas pays de bagatelles.

Les morts ne me fournissent rien,
Soit pour les vers, soit pour la prose;
Ils sont d'un fort sec entretien,
Et font toujours la même chose.
Cependant ils savent fort bien
De Fédéric toute l'histoire,
Et que ce héros prussien
A dans le temple de Mémoire
Toutes les espèces de gloire,
Excepté celle de chrétien.
De sa très éclatante vie

Ils savent tous les plus beaux traits,
Et sur-tout ceux de son génie;
Mais ils ne m'en parlent jamais.
Salomon eut raison de dire

Que Dieu fait en vain ses efforts

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