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SCENE 11.

D. ELVIRE, D. ALPHONSE crû D. Sylve,
ELISE.

Ah!

D. ELVIRE.

Seigneur,
, par quel fort vous vois-je maince-
nant?

D. ALPHONSE.

Je fçais que mon abord, Madame, eft furprenant,
Et, qu'être fans éclat entré dans cette ville
Dont l'ordre d'un rival rend l'accès difficile,
Qu'avoir pû me fouftraire aux yeux de fes foldats,
C'est un événement que vous n'attendiez pas.
Mais fi j'ai dans ces lieux franchi quelques obftacles,
L'ardeur de vous revoir peut bien d'autres miracles;
Tout mon cœur a fenti par de trop rudes coups
Le rigoureux deftin d'être éloigné de vous,
Et je n'ai pû nier au tourment qui le tue
Quelques momens fecrets d'une fi chere vûe.
Je viens vous dire donc que je rends grace aux Cieux
De vous voir hors des mains d'un tyran odieux;
Mais parmi les douceurs d'une telle avanture,
Ce qui m'eft un fujet d'éternelle torture
C'eft de voir, qu'à mon bras les rigueurs de mon fort
Ont envié l'honneur de cet illuftre effort,
Et fait à mon rival, avec trop d'injustice,
Offrir les doux périls d'un fi fameux fervice.
Oui, Madame, j'avois pour rompre vos liens
Des fentimens fans doute auffi beaux que les fiens;
Et je pouvois pour vous gagner cette victoire,
Si le Ciel n'eût voulu m'en dérober la gloire.
D. ELVIRE.

Je fçais, Seigneur, je fçais que vous avez un cœur
Qui des plus grands périls vous peut rendre vainqueur;
Et je ne doute point que ce généreux zéle

Dont la chaleur vous pouffe à venger ma querelle,
N'eût contre les efforts d'un indigne projet
Pû faire en ma faveur tout ce qu'un autre a fait.
Mais, fans cette action dont vous étiez capable,
Mon fort à la Caftille eft affez redevable,

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On fçait ce qu'en ami plein d'ardeur & de foi,
Le Comte votre pere a fait pour le feu Roi;
Après l'avoir aidé jufqu'à l'heure derniere,
Il donne en fes Etats un azyle à mon frere.
Quatre luftres entiers il y cache fon fort
Aux barbares fureurs de quelque lâche effort,
Et, pour rendre à fon front l'éclat d'une couronne,
Contre nos raviffeurs vous marchez en perfonne.
N'êtes-vous pas content, & ces foins généreux
Ne m'attachent-ils point par d'affez puiffans noeuds ?
Quoi! votre ame, Seigneur, feroit-elle obstinée
A vouloir affervir toute ma destinée?

Et faut-il que jamais il ne tombe fur nous
L'ombre d'un feul bienfait, qu'il ne vienne de vous?
Ah! fouffrez, dans les maux où mon deftin m'expofe,
Qu'au foin d'un autre auffi je doive quelque chofe;
Et ne vous plaignez point de voir un autre bras
Acquérir de la gloire, où le vôtre n'eft pas.

D. ALPHONSE.

Oui, Madame, mon cœur doit ceffer de s'en plaindre.
Avec trop de raison vous voulez m'y contraindre,
Et c'eft injuftement qu'on fe plaint d'un malheur.
Quand un autre plus grand s'offre à notre douleur.
Ce fecours d'un rival m'eft un cruel martyre;
Mais, hélas! de mes maux, ce n'eft pas-là le pire,
Le coup, le rude coup dont je fuis atterré,
C'eft de me voir par vous ce rival préféré.
Oui, je ne vois que trop que fes feux pleins de gloire
Sur les miens dans votre ame emportent la victoire;
Et cette occafion de fervir vos appas,

Cet avantage offert de fignaler fon bras,
Cet éclatant exploit qui vous fut falutaire,
N'eft que le pur effet du bonheur de vous plaire,
Que le fecret pouvoir d'un aftre merveilleux
Qui fait tomber la gloire où s'attachent vos vœux.
Ainfi tous mes efforts ne feront que fumée.
Contre vos fiers tyrans je conduis une armée;
Mais je marche en tremblant à cet illuftre emploi,
Affûré que vos vœux ne feront pas pour moi;
Et que, s'ils font fuivis, la fortune prépare
L'heur des plus beaux fuccès aux foins de la Navarre.
Ah! Madame, faut-il me voir précipité
De l'efpoir glorieux dont je m'étois Aaté;

Et ne puis-je fçavoir quels crimes on m'impute,
Pour avoir mérité cette effroyable chûte?

D. EL VIR E.

Ne me demandez rien, avant que regarder
Ce qu'à mes fentimens vous devez demander;
Et, fur cette froideur qui femble vous confondre,
Répondez-vous, Seigneur, ce que je puis répondre:
Car enfin tous vos foins ne fçauroient ignorer
Quels fecrets de votre ame on m'a fçû déclarer,
Et je la crois, cette ame, & trop noble & trop haute,
Pour vouloir m'obliger à commettre une faute.
Vous-même, dites-vous s'il eft de l'équité
De me voir couronner une infidélité;

Si vous pouvez m'offrir, fans beaucoup d'injuftice,
Un cœur à d'autres yeux offert en facrifice;
Vous plaindre avec raifon, & blâmer mes refus
Lorfqu'ils veulent d'un crine affranchir vos vertus.
Oui, Seigneur, c'est un crime, & les premieres flâ-

mes

Ont des droits fi facrés fur les illuftres âmes,

Qu'il faut perdre grandeurs, & renoncer au jour,
Plutôt que de pancher vers un fecond amour.
J'ai pour vous cette ardeur, que peut prendre l'eftime
Pour un courage haut, pour un cœur magnanime;
Mais n'exigez de moi que ce que je vous dois,
Et foûtenez l'honneur de votre premier choix.
Malgré vos feux nouveaux, voyez quelle tendreffe
Vous conferve le cœur de l'aimable Comteffe
Ce que pour un ingrat, (car vous l'êtes, Seigneur,)
Elle a d'un choix conftant refufé le bonheur,
Quel mépris généreux, dans fon ardeur extrême,
Elle a fait de l'éclat que donne un diadême;
Voyez combien d'efforts pour vous elle a bravés,
Et rendez à fon cœur ce que vous lui devez.

D. ALPHONSE.

Ah! Madame, à mes yeux n'offrez point fon mérite,
Il n'eft que trop préfent à l'ingrat qui la quitte;
Et fi mon coeur vous dit ce que pour elle il fent,
J'ai peur qu'il ne foit pas envers vous innocent.
Oui, ce ca ur l'ofe plaindre, & ne fuit pas fans peine
L'impérieux effort de l'amour qui l'entraîne,

Aucun espoir pour vous n'a flaté mes désirs,
Qui ne m'ait arraché pour elle des foupirs.
Qui n'ait dans fes douceurs fait jetter à mon âme
Quelques triftes regards vers fa premiere flâme:
Se reprocher l'effet de vos divins attraits,
Et mêler des remords à mes plus chers fouhaits.
J'ai fait plus que cela, puifqu'il vous faut tout dire,
Oui, j'ai voulu fur moi vous ôter votre empire,
Sortir de votre chaîne, & rejetter mon cœur
Sous le joug innocent de fon premier vainqueur.
Mais, après mes efforts, ma conftance abbattue
Voit un cours néceffaire à ce mal qui me tue;
Et, dût être mon fort à jamais malheureux,
Je ne puis renoncer à l'efpoir de mes vœux.
Je ne fçaurois fouffrir l'épouvantable idée
De vous voir par un autre à mes yeux poffédée;
Et le flambeau du jour, qui m'offre vos appas,
Doit avant cet hymen éclairer mon trépas.
Je fçais que je trahis une Princeffe aimable;
Mais, Madame, après tout, mon cœur eft-il coupable?
Et le fort afcendant que prend votre beauté,
Laiffe-t-il aux efprits aucune liberté?

Hélas! je fuis ici bien plus à plaindre qu'elle,
Son cœur, en me perdant, ne perd qu'un infidéle,
D'un pareil déplaifir on fe peut confoler,
Mais moi, par un malheur qui ne peut s'égaler,
J'ai celui de quitter une aimable perfonne,
Et tous les maux encor que mon amour me donne.
D. EL VIR E.

Vous n'avez que les maux que vous voulez avoir,
Et toujours notre cœur eft en notre pouvoir;
Il peut bien quelquefois montrer quelque foibleffe:
Mais enfin fur nos fens la raifon eft maîtreffe...

SCENE III.

D. GARCIE, D. ELVIRE, D. ALPHONSE cri Dom Sylve.

D. GARCIE.

Madame, mon abord, comme je connois bien
Affez mal-à-propos trouble votre entretien,
Et mes pas en ce lieu, s'il faut que je le die,
Ne croyoient pas trouver fi bonne compagnie.
D. ELVIRE.

Cette vûe, en effet, furprend au dernier point,
Et, de même que vous, je ne l'attendois point.
D. GARCIE.

Oui, Madame; je crois que de cette vifite, Comme vous l'affûrez, vous n'étiez point inftruite. [à Dom Sylve.]

Mais, Seigneur, vous deviez nous faire au moins l'honneur.

De nous donner avis de ce rare bonheur;

Et nous mettre en état, fans nous vouloir furprendre, De vous rendre en ces lieux ce qu'on voudroit vous rendre.

D. ALPHONSE.

Les héroïques foins vous occupent fi fort,
Que de vous en tirer, Seigneur, j'aurois eu tort;
Et des grands conquérans les fublimes pensées,
Sont aux civilités avec peine abaiffées.

D. GARCIE.

Mais les grands conquérans, dont on vante les foins
Loin d'aimer le fecret, affectent les témoins:
Leur ame, dès l'enfance à la gloire élevée,
Les fait dans leurs projets aller tête levée;
Et, s'appuyant toujours fur de hauts fentimens,
Ne s'abaiffe jamais à des déguisemens.

Ne commettez-vous point vos vertus héroïques
En paffant dans ces lieux par de fourdes pratiques?
Et ne craignez-vous point qu'on puiffe aux yeux

de tous

Trouver cette action trop indigne de vous?

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