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ce pour foi-même. A l'égard de l'ac tion de David, qui dansa & fauta de vant l'Arche d'Alliance , un peu plus que la bienséance ordinaire ne le demandoit, il ne prétendit pas faire le foui non mais il s'abandonna fimplement & fans aucun artifice à l'inftinct & à l'impétuofité de fa joie, dont l'efprit de Dieu rempliffoit fon cœur. Il eft vrai, que quand fon Epoufe Michol lui en fit reproche comme d'une folie, il n'en fut nullement touché, & que même par une fuite de l'impreffion de cette joie fpirituelle fur fon ame, il témoigna qu'il recevoit ce mépris avec plaifir pour l'honneur de fon Dieu.. Ainfi lorfque pour des actions qui porterant quelques manieres naïves d'une vraye dévotion,. le monde vous regarde. ra.comme une perfonne vile & abjecte ou extravagante: l'humilité vous fera trouver de la joie dans ce précieux opprobre, dont le principe ne fera pas en vous, qui le fouffrirez, mais en ceux d'où il viendra.

CHAPITRE VI.

Que l'humilité nous fait aimer notre propre abjection.

E paffe plus avant, Philothée, & je

par-tout votre propre abjection: Mais

vous me mandez peut-être ce que c'eft qu'aimer fa propre abjection : je vais vous en inftruire.

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Ces deux termes abjection & humilité, n'ont qu'une même & feule fignifi cation dans la Langue latine : Ainfi quand la fainte Vierge nous dit en fon divin Cantique, que toutes les générations publieront fon bonheur parce que le Seigneur a regardé fon humilité elle veut nous faire entendre que Dieu a daigné jetter les yeux fur fa baffeffe & fur fon abjection pour la combler de graces & de gloire. Il y a néanmoins une grande différence entre la vertu d'humilité & l'abjection: car l'abjection n'eft autre chofe que la baffeffe, la petiteffe, & la foibleffe qui eft réellement en nous , & indépendamment de nos réflexions; mais l'humilité est une véritable connoiffance, que nous avons de notre abjection & qui nous porte à la reconnoître volon tairement en nous. Or la perfection de l'humilité confifte non-feulement à reconnoître notre abjection; mais à l'aimer, & à nous y complaire: Non pas Par aucune baffeffe d'efprit, ni lâcheté de cœur, mais en vûe de la gloire que nous devons rendre à Dieu & de la

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préférence d'eftime , que nous devons donner à notre prochain fur nous-mêmes. C'est auffi ce que je vous recom

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mande de tout mon cœur, & pour en concevoir mieux la pratique, confidérez qu'entre les maux que nous avons à souffrir, les uns font abjects & humilians & les autres font honorables, que beaucoup de perfonnes s'accommodent affez de ceux qui leur font honneur, & que peu de gens font à ceux qui les deshonorent. Voyez un bon & dévot Hermite tout déchiré & pénétré de froid; chacun honore fon habit & plaint fa peine. Mais un pauvre Artifan, un pauvre Gentilhomme, une pauvre Demoifelle, paroif fent en cet état on les méprife, on fe moque d'eux, & la même pauvreté eft abjecte en leurs perfonnes. Un Religieux reçoit en filence une correction fort vive de fon Supérieur, ou bien un enfant de fon Pere; l'on appelle cela mortifi cation, obéiffance, & fägeffe: Mais un Cavalier ou une Dame en fouffrira autant de quelqu'un pour l'amour de Dieu > & l'on appellera cela baffeffe d'efprit & lâcheté; voilà encore un mal qui porte de l'abjection. Une perfonnea un cancer au bras", & l'autre la au vifage; celle-là n'a que le mal, mais celce-ci le mépris & l'abjection avec le mal. Je dis donc qu'il ne faut pas feulement aimer le mal, ce qui eft un exercice de patience; mais qu'il faut encore chèrir l'abjection, & c'eft le parfait exercice de l'humilité.!

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De plus il y a des vertus abjectes, & des vertus honorables: La patience, la douceur la fimplicité & l'humilité font des vertus qui paffent pour viles & abjectes aux yeux du monde, au lieu qu'il eftime beaucoup la prudence, la générofité & la liberté. Il fe trouve encore dans la pratique d'une même vertu des actions , dont les unes font méprifées, les autres honorées : Donner l'aumône, & pardonner à fes ennemis font deux actions de charité › & il n'eft perfonne qui ne loue la premiere, au lieu que la feconde eft prefque univerfellement méprifée. Un jeune Gentilhomme, ou une jeune Dame, qui fuira la fociété des perfonnes déclarées pour le jeu, pour le luxe des habits , pour le mauvais enjouement des converfations, & pour l'intempé rance, s'attirera leut critique, leur mépris, leurs raillerie, & fa modeftie paffera pour hypocrifie, & pour petiteffe d'ef prit Aimer cela, c'eft aimer fon abjection. En voici un autre exemple : Nous allons vifiter les malades, fi on m'envoie au plus miférable, ce me fera une abjection felon l'efprit du monde, c'eft pourquoi je l'aimerai fi on m'envoie à quelque malade de qualité, ce me fera une a bjection felon l'efprit de Dieu, parce qu'il n'y a pas tant de vertu ni de mérite ; & j'aimerai encore cette

abjection. L'on tombe dans la rue, & outre le mal qu'on fe fait, on en reçoit de la confufion. Il faut aimer cette abjection.

Il y a même des fautes qui ne portent aucun mal, que la feule abjection, l'humilité n'exige pas qu'on les faffe de deffein; mais elle demande que l'on ne s'en inquiéte point quand on les a commifes Telles font certaines incivilités, inadvertances & autres défauts. Certainement la prudence ou la civilité veut que nous les évitions autant que nous pouvons Mais quand elles nous ont échappé, la fainte humilité veut que nous en acceptions toute l'abjection. J'en dis bien davantage : fi je me fuis laiffe aller par colere › ou par quelque liberté fenfuelle à dire des paroles picquantes ou indécentes audi-tôt je me le reprocherai vivement, j'en concevrai un vrai repentir, & je réparerai la faute de tout mon mieux : Mais en même-temps j'accepterai l'abjection qui m'en peut revenir: Et fi l'on pouvoit féparer l'un de l'autre, je rejetterois le péché avec indignation, & je conferverois l'abjection dans mon cœur avec une humble patience.

Mais quoique nous aimions l'abjection que le mal porte avec foi, nous devons toujours remédier au mal qui l'a caufée › par les moyens naturels & légitimes que nous en avons fur-tout.

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