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& en l'autre vie, & en celle-ci; puifqu'il n'y a rien qui faffe plus profpérer le temporel que l'aumône: Mais en attendant que Dieu vous le rende, vous participerez toûjours au mérite de la pauvreté. O le faint & le riche appauvriffement, que l'aumône chrétienne!

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Aimez les pauvres & la pauvreté, & cet amour vous rendra véritablement pauvre : puifque comme dit l'Ecriture nous devenons femblables aux chofes que nous aimons. L'amour met de l'égalité entre les perfonnes qui s'aiment: Qui eft infirme, difoit S. Paul, avec lequel je ne fois pas infirme? Il pouvoit dire: Qui eft pauvre, avec lequel je ne fois pas pauvre L'amour le rendoit semblable à ceux qu'il aimoit : Si donc vous aimez les pauvres, vous participerez à leur pauvreté & vous leur ferez femblables.

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Or fi vous aimez les pauvres, prenez plaifir à vous trouver avec eux, à les voir chez vous, à les vifiter chez eux, à traiter volontiers avec eux, à les laiffer approcher de vous, dans les Eglifes, dans les rues & ailleurs. Soyez pauvre de la langue avec eux, leur parlant comme d'égal à égal. Mais foyez riche des mains, en leur faifant part de ce que Dieu vous a donné de plus qu'à eux.

Voulez-vous faire encore davantage, Philothée? Ne vous contentez pas d'être pauvre, comme les pauvres, mais

foyez plus pauvre qu'eux-mêmes : Et comment cela, dites-vous: Je m'explique Le ferviteur eft inférieur à fon maî tre, vous n'en doutez pas : Attachezvous donc au fervice des pauvres: Allez les fervir quand ils font malades dans leur lit; & de vos propres mains, apprêtez-leur à manger, & à vos dépens: Occupez-vous humblement de quelque travail pour leurs ufages. O Philothée ! fervir ainfi les pauvres, c'eft régner plus triomphainment que les Rois. Sur cela je ne puis affez admirer l'ardeur de faint Louis, l'un des plus grands Rois que le Soleil ait jamais vû; mais je dis grand Roi en toute forte de grandeur: Il fervoit très- fréquemment à la table des pauvres qu'il nourriffoit; il en faifoit venir prefque tous les jours trois à la fienne; & fouvent il mangeoit les reftes de leur potage, avec une affection incroyable pour eux & pour leur état ; il vifitoit fouvent les Hôpitaux, & il s'attachoit ordinairement à fervir les malades, qui avoient les maux les plus hor-ribles, comme les lépreux, les ulcérés & ceux qui étoient rongés d'un chancre, il leur rendoit ce fervice nue tête

genoux, refpectant en eux le Sauveur du monde, & les chériffant d'un amour auffi tendre, que celui d'une mere pour fon enfant. Sainte Elifabeth, fille du Roi de Hongrie, fe mêloit ordinaire

ment parmi les pauvres, & pour fe divertir avec les Dames de fa maison, s'habilloit quelquefois en pauvre Femme, leur difant: Si j'étois pauvre, je m'habil lerois ainfi. O mon Dieu ! ô Philothée, que ce Prince & cette Princeffe étoient pauvres dans leurs richeffles, & qu'ils étoient riches en leur pauvreté : Bienheureux ceux qui font ainfi pauvres, car le Royaume des Cieux leur appartient; J'ai eu faim, vous m'avez nourri, leur dira le Roi des pauvres & des Rois au jour de fon grand Jugement: J'ai éténud,

vous m'avez vêtu: Poffedez le Royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde.

Il n'y a perfonne à qui les commodités de la vie ne manquent quelquefois en de certaines occafions: On n'aura pas à la campagne ce qu'il faudroit pour bien recevoir fes amis, dont la vifite eft imprévue; les habits néceffaires felon les regles de la bienféance pour paroître avec honneur dans une affemblée, ne fe trouveront pas où l'on fera: les meilleures provifions de vin & de bled font gâtées, & il n'en refte que ce qu'il y avoit de méchant, fans qu'on y puiffe fuppléer tout manquera dans un voyage, la chambre, le lit, la nourriture, le fervice. En un mot, pour riche que l'on foit, il eft aifé d'avoir fouvent befoin de quelque chofe ; & c'est être vérita

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blement pauvre en ces temps-là: Philothée, acceptez donc l'occafion de bon cœur, & en fouffrez la peine avec joie.

Quand vous ferez quelque perte, grande ou petite, par quelqu'un de ces accidens, dont la vie eft fort mêlée; comme une tempête, le feu, une inondation, la fterilité, un larcin, un procès : C'eft alors le véritable temps de pratiquer la pauvreté, en recevant avec douceur d'efprit cette diminution de vos biens, & vous accommodant avec toute la fermeté de la patience chrétienne. Efau fe préfenta à fon pere avec fes mains couvertes de poil, & Jacob en fit autant Mais parce que le poil qui couvroit les mains de Jacob ne tenoit pas à fa peau, mais feulement à fes gants, on pouvoit le lui arracher fans l'écorcher, ni le bleffer: Au contraire, parce que le poil des mains d'Efau tenoit à fa peau, qui étoit naturellement toute velue › on ne lui auroit pas arraché, ni fans une grande douleur, ni fans une grande réfiftance. C'eft juftement une double figure de l'attachement des uns aux richeffes, & du détachement des autres : Quand nos biens nous tiennent au cœur, fila tempête, file larron, fi le chicaneur, nous en enleve quelque partie, que de plaintes, que de trouble, que d'impatience! Mais quand nous ne tenons à nos biens que par le foin que Dieu veut que

nous en ayons, & non pas par le cœur ; fi nous les perdons, nous ne perdrons pas pour cela, ni la raifon, ni la tranquillité. Les fideles ferviteurs de Dieu ne tiennent pas plus à leurs biens qu'à leurs habits, qu'ils peuvent prendre & laiffer, comme il leur plaît: Mais les mauvais Chrétiens y tiennent autant que les bêtes à leurpeau.

CHAPITRE XV I.

Des richefes de l'efprit dans l'état de la pauvreté.

Mais fi effectivement vous êtes, pau

vre, Philothée : O Dieu ! Tâchez de l'être encore d'efprit : faites de néceffité vertu, & employez cette pierre précieufe de la fainte pauvreté pour ce qu'elle vaut Elle paroît fort obfcure au monde, & il n'en fçait pas la valeur ; cependant l'éclat en eft admirable, & elle eft d'un grand prix.

Ayez un peu de patience, vous êtes avec votre pauvreté en bonne compagnie Notre-Seigneur, la fainte Vierge fa Mere, les Apôtres, tant de Saints & de Saintes ont été pauvres ; & ayant pû avoir les richeffes du monde, ils les ont méprifées. Combien y a-t'il eu de Grands du monde, qui malgré toutes les contradictions du monde font allez

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