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froy lui repiiqua: Si je vous ai dit que jamais de ma vie je n'aurois de joie ; je vous affure maintenant que jamais de ma vie je n'aurai de trifteffe.

Voilà quel fut le fujet de cette tentation. Mais, Philothée, faifons fur cela quelques réflexions bien néceffaires. 1. Dieu fait goûter ordinairement les délices du ciel à ceux qui entrent dans fon fervice pour les dégager des plaifirs du fiecle, & pour foutenir leur cœur dans les voies de fon amour; comme une mere fe fert du miel pour accoûtumer fon petit enfant à la mammelle. 2. Cependant Dieu leur ôte quelquefois le lait & le miel après un certain temps, felon les fages difpofitions de fa miféricorde, afin de les faire à une nourriture plus folide: C'est-à dire, afin de fortifier leur dévotion par l'épreuve des dégoûts & des tentations. 3. Il s'éleve quelquefois de gran des tentations parmi les féchereffes_ou ftérilités d'efprit, & il faut les bien distinguer. Car l'on doit combattre conftamment les tentations, puifqu'elles ne font pas de Dieu; mais il faut fouffrir patiemmend les féchereffes, puifque Dieu prétend qu'elles nous fervent d'exercice. 4. . Nous ne devons pas nous laiffer abattre par les dégoûts intérieurs, ni dire comme le bon Geoffroy, jamais je n'aurai de joie, puifque durant la nuit nous devons attendre la lumiere. Et réciproquement

i ne faut pas dire durant les beaux jours de la vie fpirituelle, je n'aurai jamais de trifteffe; puifque le Sage nous donne cet avis: En jouiffant des biens que nous fournit le jour heureux où vous vous trouverez précautionnez-vous contre le jour malheureux qui le fuivra. L'on doit donc bien efpérer dans les peines, & craindre dans les profpérités: Et en l'un & l'autre état, il fe faut toujours humilier. 5. C'est un fouverain remede de découvrir fon nial à quelque ami fage & fpirituel, qui nous puiffe foulager.

Enfin pour conclure cet avertiffement fi néceffaire, j'obferve qu'en ceci, comme en toutes chofes, notre bon Dieu, & notre Ennemi, ont des prétentions bien contraires. Car Dieu nous veut conduire par ces peines à une grande pureté de cœur, à un parfait defintéreffement fur tout ce qui eft de fon fervice, & un dépouillement univerfel de nous-mêmes. Mais le malin esprit tâche de nous faire perdre cœur, de nous attirer aux plaifirs fenfuels, & de nous rendre ennuyeux à nous-mêmes & aux autres, afin de décrier & de deshonorer la fainte dévotion. Mais fi vous obfervez les enfeignemens que je vous ai donnés, vous vous perfectionnerez beaucoup en l'exercice des afflic tions intérieures, dont il faut que je vous dife encore ce petit mot avant que de finir. Elles proviennent quelquefois de

l'indifpofition du corps, que l'excès des veilles, des travaux & des jeûnes a accablé de laffitude, d'affoupiffement, de pefanteur, & d'autres femblables infirmités, qui ne laiffent pas d'incommoder. fort l'efprit par la raifon de fon étroite liaifon avec le corps. Or il faut toujours en ces occafions fe fervir le plus que l'on peut de la pointe de l'efprit, & dela force de la volonté, pour faire beaucoup d'Actes de vertus. Car bien que toute l'ame femble d'être accablée d'affoupiffement & de laffitude: néanmoins ce qu'elle peut encore faire, ne laiffe pas d'être fort agréable à Dieu,.8 nous pouvons dire en ce temps-là, comme fon Epoufe Sacrée : Je dors, mais mon coeur veille; & s'il y a moins de goût, comme j'ai dit, à travailler de la forte, il y a plus de mérite & de vertu. Mais le remede falutaire, c'eft de foulager lecorps, & de réparer fes forces par une honnête récréation. Ainfi S. François ordonnoit à fes Religieux de modérer fi bien leurs travaux, que la ferveur de l'efprit n'en fût pas accablée. Ce glorieux Pere fut une fois lui-même attaqué, & agité d'une fi profonde mélancolie, qu'il ne pouvoit s'empêcher de la faire paroître à l'extérieur. S'il vouloit converfer avec fes Religieux il ne le pouvoit ; & s'il s'en féparoit, il s'en trouvoit plus mal. L'abstinence & la macé,

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ration de la chair l'accabloient, & l'Oraifon ne le foulageoit nullement. Il fut deux ans en un état fi fâcheux, qu'il lui sembloit que Dieu l'avoit abandonné. Mais après Gette rude tempête, qu'il foutint humblement, le Sauveur lui rendit en un moment une heureufe tranquillité. Apprenons de-là que les plus grands Serviteurs de Dieu font fujets à ces épreuves; & que les autres ne doivent pas s'étonner fi quelquefois il leur en vient de pareilles.

S

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INTRODUCTION

A LA

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VIE DEVOTE.

CINQUIEME PARTIE. Les avis & les exercices nécessaires pour renouveller & confirmer l'ame dans la dévotion.

CHAPITRE PREMIER. De la néceffité de renouveller tous les ans fes bons propos

E premier point de cet exercice, eft d'en bien comprendre l'importance. La fragilité & les mauvaises difpofitions de notre chair, qui appefantit l'ame,. l'entraine toujours vers les chofes de la terre & nous font aisément décheoir de nos bonnes réfolutions, à moins qu'à for.. ce de les foutenir, nous tâchions de nous élever fouvent vers les biens cé

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