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CHAPITRE XIII.

Etat de la colonie de St.-Domingue.

Αν
Au milieu de l'alégresse publique, on rece-

vait des nouvelles moins désolantes des colo-
nies françaises dans les Antilles. J'ai observé
précédemment qu'au départ de Sonthonax
de S.t-Domingue, le commandement de cette
île était partagé : le général Lavaux, avec le
titre de commandant général, était spéciale-
ment chargé de la partie du Nord; le général
Rigaud commandait le département du Sud,
et le colonel Beauvais celui de l'Ouest.

J'ai observé encore que, la communication entre les trois départemens étant interceptée, par mer, par les escadres britanniques, et par terre, par les districts dont les Anglais étaient les maîtres, chaque commandant, abandonné à lui-même, était forcé d'agir suivant les circonstances, sans pouvoir mettre dans les opérations militaires le concert nécessaire pour expulser les Anglais de l'île. Les Français avaient à leur disposition plus de forces qu'il ne fallait pour opérer cette expulsion. Mais, d'un côté, la haine atroce, inextinguible, qui subsistait dans la colonie, entre les colons blancs, les mulâtres libres et les nègres ap

AN 6.

1797.

pelés à la liberté, s'opposait invinciblement. au développement des forces coloniales contre l'ennemi étranger; de l'autre, les rivalités, excitées par Sonthonax, avaient produit une défiance prononcée entre le commandant du Nord et ceux du Sud et de l'Ouest.

Les Anglais qui, dans tout le cours de la révolution française, ont employé avec tant d'avantage l'art de diviser leurs ennemis par des manœuvres perfides, augmentaient ces dispositions par mille moyens : ils renouvelaient exactement la fable de l'aigle, de la laie et de la chatte. Les divisions entre les nègres, les blancs et les mulâtres, présentaient tant de caractères d'une guerre civile, que les commandans du Nord et du Sud, obligés souvent de changer leurs dispositions administratives d'après les rapports qui subsistaient entre les trois partis, paraissant quelquefois en opposition de conduite, se regardaient presque comme ennemis.

Malgré ce désavantage, Rigaud et Beauvais avaient chassé les Anglais du Saletrou, en fructidor l'an deux ; de Léogane, en vendémiaire an trois; et de Tiburon, en nivose suivant. Ayant réuni en germinal environ deux mille hommes, ils attaquaient la ville du Port-auPrince, et se voyaient sur le point d'expulser les Anglais de cette importante place, lorsque le commandant général Lavaux, auquel ils

demandaient des munitions de guerre, leur ordonna de lever le siège, et de se porter sur Ax 6. Léogane avec leur petite armée.

CHAPITRE XIV.

Les Anglais assiègent Léogane. Divisions entre les commandans français à SaintDomingue.

LES

ES Anglais, ayant reçu des renforts d'Europe, s'étaient présentés en janvier devant cette place, avec des forces imposantes. Quatre mille Anglais, sous les ordres du général Bowyer, et deux mille émigrés commandés par Montalembert et Dessources, exécutaient leur débarquement, protégés par quatre vaisseaux de ligne', six frégates, et un grand nombre de plus petits bâtimens commandés par l'amiral Parker. L'escadre fut s'embosser sous le fort Ça-Ira, bâti au bord de la mer, près de Léogane, et le canonna vivement durant vingt-quatre heures. La défense fut si vigoureuse, que les Anglais se virent contraints à couper leurs cables, et de s'éloigner du fort dont ils n'osèrent plus s'approcher.

Les troupes de terre pressaient leurs travaux avec activité. L'arrivée de Rigaud et de Beauvais les obligea de se rembarquer, après avoir

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été complétement défaits. Ils abandonnèrent 1797. des provisions de toute espèce et quelques pièces d'artillerie.

Mais le département du Nord n'était pas aussi florissant. Le général Lavaux résidait au port de la Paix ; il avait sous ses ordres le général nègre Toussaint Louverture dont le quartier était aux Gonaïves, et le général Villate qui commandait au Cap français. Ce dernier avait su contenir des hommes égarés par la licence, et cependant s'en faire aimer. Jouissant en même tems de la confiance des troupes et de celle de ses concitoyens de toutes les couleurs, il parvenait, en donnant luimême l'exemple du travail, à maintenir la paix entre les blancs, les noirs et les jaunes. Dans le reste du département, tout était en proie à la terreur, au brigandage, à l'anarchie.

Dans ces circonstances, arriva la corvette la Vénus; elle portait sans doute au général Lavaux des instructions qui lui indiquaient une marche nouvelle à suivre. Il part sur-lechamp du port de la Paix, pour se rendre au Cap, improuve et annulle toutes les opérations administratives de Villate, et veut introduire un papier-monnaie de sa création.

A cette époque, la montagne du port de la Paix, qui jusqu'alors avait été tranquille, éprouvait les plus horribles commotions. Soixante propriétaires blancs ou mulâtres furent

massacrés, au milieu de leurs habitations par les nègres révoltés, sous prétexte qu'on assurait que Sonthonax, avait été ou devait être guillotiné à Paris. Les nègres parcouraient les campagnes le fer et la flamme à la main, publiant que, si Sonthonax ne leur était pas rendu, ils détruiraient toutes les propriétés de la colonie. L'insurrection était conduite par un nègre nommé Etienne, qui fut fusillé après le retour de Sonthonax dans Saint-Domingue. On disait assez hautement que cette rigueur n'avait été exercée que pour étouffer la connaissance de ceux qui avaient engagé ce nègre à conduire les révoltés.

AN 6.

CHAPITRE XV.

Le général Lavaux est arrété au Cap. Arrivée dans la colonie des commissaires du gouvernement français.

LE despotisme de la conduite du général

Lavaux, le secret qu'il gardait sur les ordres apportés de France par la frégate la Vénus, dans un pays avide de la jouissance de ses droits politiques, et où la seule constitution de 1793 était connue, échauffèrent tellement les esprits, qu'un soulévement se manifesta

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