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1797.

dans la ville du Cap. Le commandant-général Lavaux, et le commissaire-ordonnateur Perroud furent arrêtés le 30 nivose an quatre. On accusa le général Villate d'avoir ménagé cette insurrection.

A la nouvelle de la captivité de Lavaux, le général Toussaint Louverture s'était mis en marche avec un corps nombreux de troupes; mais déjà le commandant général et le commissaire-ordonnateur étaient rendus à la liberté par les soins de la municipalité du Cap. Ils se retirèrent au camp de la Martellière avec un grand nombre de citoyens de toutes les couleurs, effrayés par l'approche de Toussaint Louverture.

Dans cette situation des choses, parut à San Domingo, dans le courant de floréal, Roume, commissaire du gouvernement français dans la partie espagnole de l'île. Témoin de l'extrême préjudice que portait aux intérêts de la république la mésintelligence qui subsistait entre les chefs de la colonie, il invita les généraux Lavaux, Villate, Rigaud et Beauvais d'envoyer à San-Domingo des personnages sages et éclairés, pour le mettre au fait des causes qui avaient amené l'insurrection du 30 nivose et les événemens qui l'avaient suivie.

A la suite de cette discussion, le commissaire Roume écrivait aux généraux de tous les départemens de la partie française de Saint

Domingue (1), qu'après avoir examiné les accusations portées de tous les côtés, il s'était AN 6. convaincu que chacun d'eux avait été le jouet des Anglais, ennemis éternels. de la France; qu'il était tems que la confiance et la paix reprissent, chez les républicains des trois couleurs, la place trop long-tems usurpée par le soupçon et le trouble; et qu'étant certain que les accusations réciproques étaient chimériques, il déporterait de la colonie tous les chefs qui renouvelleraient des dissentions, que l'esprit de justice comme le bien de la colonie condamnaient également à un éternel oubli. Le caractère modéré du commissaire Roume, et les sermens prononcés par les envoyés

(1) La fausseté et l'absurdité de toutes les accusations portées des deux côtés, furent toujours repoussées de la manière la plus victorieuse, si ce n'est relativement à quelques faits dont il convient de bonne foi qu'ils ne sont que les conséquences d'une défiance réciproque. Il devient impossible de nier plus long-temps que vous ne fussiez dupe de vos implacables ennemis. Vos commissaires en ont rougi de honte pour eux et pour vous; ils ont juré d'effacer de leurs cœurs jusqu'aux souvenirs de votre apparente inimitié. Nous avons tous promis que la confiance reprendrait la place du soupçon, que celui qui s'y refuserait, serait considéré par vous et par nous comme un homme qu'il faudrait chasser de la colonie, etc. Lettre de Roume, du 22 floréal an 4, аих généraux Lavaux, Villate, Toussaint - Louverture et autres chefs républicains.

et

de tous les généraux, d'oublier entiérement le 1797. passé, et de combiner de bonne foi tous leurs efforts contre les Anglais, présageaient le retour d'une tranquillité après laquelle les colons laborieux soupiraient en vain. Cet espoir fut bientôt banni par les événemens qui suivirent l'arrivée des nouveaux commissaires du pouvoir exécutif, qu'on attendait impatiemment.

CHAPITRE XVI.

Conduite des commissaires du pouvoir exécutif dans la colonie.

CES commissaires étaient au nombre de ciuq,

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Sonthonax Giraud, Leblanc le mulâtre Raimond, un des premiers auteurs des troubles de Saint-Domingue, et Roume, chargé particuliérement de la partie espagnole, réunie à la France par le traité de Bâle. Ces commissaires avaient ordre de concilier les esprits, et de cicatriser les plaies que l'esprit révolutionnaire avait faites à Saint-Domingue.

On devait s'attendre que Sonthonax jouirait, sur la commission dont il était membre, d'une influence principale, fondée sur la

connaissance des localités et des caractères, acquises dans sa précédente mission.

Arbitre de tous les partis, il lui était facile de les diriger vers un but commun; mais circonvenu par Lavaux, qui avait eu une longue et secrète conférence avec lui sur le vaisseau le Watigni, avant son débarquement dans la colonie, ses actes portèrent le caractère de la partialité, de la récrimination, de la vengeance. J'ai déjà observé que les envoyés de Lavaux et de Villate avaient promis avec serment d'oublier le passé, et spécialement les événemens du 30 nivose; mais ce serment était un faux serment.

Que ne peut la soif de la vengeance? Sonthonax envoie à Villate l'ordre de venir dans la ville du Cap, rendre compte de sa conduite devant la commission. Villate obéit sur-le-champ. A son entrée dans cette ville, qu'il avait su conserver à la liberté par son courage et son désintéressement, une multitude de citoyens de toutes les couleurs, hommes, femmes, enfans se pressent sur son passage; ils l'accompagnent jusqu'au gouvernement avec des branches de palmier, aux cris mille fois répétés: Vive la republique, vivent les commissaires du gouvernement français, vive Villate, le sauvéur du Cap! A ces cris, Lavaux et des hommes qui lui étaient attachés, se jettent le sabre à la main sur cette multitude et la dispersent,

AN 6.

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non sans avoir tué ou blessé un grand nombre de personnes des deux sexes.

La commission, après avoir entendu Villate, le renvoya à son camp, pour y attendre les ordres qui lui seraient adressés; et quelques jours après, une proclamation fut publiée, qui le mettait hors la loi, et ordonnait de le conduire au Cap français, mort ou vif. Villate fut obligé de se bannir de la colonie.

Le parti nègre accusait ce général de favoriser les blancs et les mulâtres; le parti des blancs et des mulâtres assurait au contraire que Villate avait tenu une juste balance, tandis que le but de Lavaux et de Sonthonax, en protégeant spécialement les nègres, était de propager leur soulévement dans les districts qui étaient encore tranquilles, de chasser de la colonie tous les anciens propriétaires, et de régner, au milieu des débris, sur une peuplade barbare et ignorante, dont ils avaient capté la confiance.

On assure que, pour parvenir à ce résultat, Sonthonax, auquel le gouvernement avait confié trente mille fusils, en fit distribuer secrétement plus de la moitié aux nègres révoltés dans les montagnes de l'est; qu'il créa un grand nombre de généraux, mais qu'il déporta ou laissa sans activité les généraux blancs envoyés d'Europe; enfin qu'ayant rencontré dans un grand nombre de propriétaires

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