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répondait qu'ils étaient des aristocrates et des 1797. royalistes, qui, sous le voile du bien colonial, cachaient leur volonté de conserver la domination et d'immenses richesses incompatibles avec l'égalité qui devait subsister parmi des républicains. Je serais trop long, si je voulais entrer dans les détails de la conduite tenue, dans les départemens de l'Ouest et du Sud par les délégués de la commission séante au Cap. Leurs fausses démarches et leurs abus d'autorité produisirent un soulévement général. Les délégués, pour en arrêter les effets investirent, par un arrêté du 14 fruetidor an 4, le général Rigaud des pouvoirs nécessaires pour rétablir le bon ordre et sauver la chose publique.

Ce général, voulant soustraire les délégués à la fureur des mécontens qui demandaient hautement leurs têtes, crut devoir les faire arrêter; il rendit compte en même tems à Sonthonax et à Raimond des motifs qui avaient rendu cette mesure nécessaire.

On jouit alors de quelque tranquillité dans les départemens de l'Ouest et du Sud. Rigaud, ne pouvant suffire aux fonctions administratives et militaires, invita les commissaires du pouvoir législatif à choisir de nouveaux délégués qui, réunissant une moralité irréprochable à l'amour pour le régime républicain, maintinssent la bonne harmonie entre les

hommes de toutes les couleurs. Les généraux de brigade Chanlatte et Martial Besse furent AN 6. chargés de cette mission importante. On rappela au Cap tous les officiers civils et militaires qui avaient accompagné les précédens délégués.

Martial Besse et Chanlatte, de concert avec les généraux Rigaud et Beauvais, témoins de la disposition des esprits, avaient disposé Sonthonax et Raymond à prendre les moyens conciliatoires qui pouvaient rendre les noirs aux travaux de la culture. Une proclamation conforme à ces vues allait être publiée, lorsqu'une corvette arriva de France avec des instructions qui changeaient entiérement ces dispositions pacifiques. Sonthonax et Raimond suspendirent leurs relations avec les contrées où commandaient Rigaud et Beauvais; ils publièrent, le 28 frimaire an V, une proclamation qui pouvait rallumer la guerre civile.

Les propriétaires du Sud et de l'Ouest, effrayés des suites de cette incendiaire proclamation, se rassemblent dans les chefs-lieux de leurs cantons, et prennent des arrêtés qui mettent le pays sous la sauve-garde immédiate du général Rigaud; ils le requièrent nonseulement de rester à la tête des affaires jusqu'à la décision du corps législatif et du gouvernement français, mais ils le rendent per

sonnellement responsable des malheurs qui 1797. pourraient arriver en cas de refus de sa part. Enfin, ils le chargent de faire parvenir en France, aux pouvoirs législatif et exécutif, les pièces relatives aux événemens qui avaient donné lieu à la fatale proclamation du vingthuit frimaire.

Depuis cet instant, Rigaud et Beauvais ont gouverné les départemens du Sud et de l'Ouest, sans avoir presque aucune communication avec celui du Nord; mais il paraît qu'ils n'ont pas cessé de correspondre avec ceux de Samana et del Inganno.

CHAPITRE XVI I.

Le général Toussaint Louverture force Sonthonax à quitter l'Amérique, pour revenir en France.

LE

Le département du Nord était gouverné

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immédiatement par Sonthonax et Raimond; les noirs le dévastaient presqu'entièrement. On y rencontrait à peine quelques sucreries affermées à des prix si modiques, que leur revenu ne suffisait pas aux dépenses du gouvernement. Des nègres révoltés en occupaient les montagnes depuis 1792; ils ne vivaient que de pillage. Le général Lavaux qui com

mandait toutes les troupes depuis l'évasion

du général Villate, ayant été nommé membre An 6. du corps législatif, s'était embarqué pour l'Europe.

L'autorité militaire resta dans les mains du général Toussaint Louverture, dont j'ai déjà parlé. Cet homme, faisant mouvoir à son gré tous les nègres, jouissait d'une autorité personnelle très-supérieure à celle des commissaires du pouvoir exécutif. Son armée ordinaire n'était que de sept à huit mille hommes; mais au moindre signe de sa part, tous les noirs se réunissaient sous ses drapeaux.

Il n'existait d'autre force publique, dans la partie du Nord et dans quelques cantons de l'Ouest attenant au Nord, que celle des noirs. Les blancs et les mulâtres, qui n'avaient pas trouvé l'occasion de s'expatrier, s'attendaient chaque jour à être égorgés. Dans cet état de choses, Sonthonax, s'il faut en croire les procès-verbaux envoyés au gouvernement français par Toussaint Louverture et le commissaire Raimond, croyant l'instant arrivé de fonder sa domination dans Saint-Domingue, proposa à Toussaint Louverture d'égorger généralement tous les blancs et tous les mulâtres libres; de déclarer que les noirs formaient seuls le peuple de Saint - Domingue, et de prononcer l'indépendance absolue de la colonie.

A cette proposition, soit que Toussaint 1797. Louverture fût indigné de la scélératesse de Sonthonax, ou qu'il ne voulût partager avec personne le fruit des manœuvres qui s'étaient succédées depuis 1792 pour bouleverser l'île il signifia à Sonthonax et à quelques individus qui lui étaient dévoués, l'ordre de sortir sur-le-champ du Cap-Français et de Saint-Domingue. Cet administrateur, après de vains efforts pour soulever quelques chefs, fut contraint de s'embarquer sans recevoir la moindre marque d'intérêt de la part des hommes des trois couleurs qu'il avait trompés tour-à-tour. 11 prit terre au Férol en brumaire an VI, et vint bientôt à Paris pour siéger au conseil des cinq cents, où l'avait porté l'assemblée coloniale du Cap tenue en l'an IV.

Depuis cette époque, la colonie de SaintDomingue prit une face nouvelle. Un grand nombre de sucreries détruites ont été rétablies. Les noirs, réunis sur les habitations respectives, y travaillaient avec assez d'activité, sans y être contraints par d'autres motifs, que par le bénéfice qu'ils tirent de leurs travaux. Les Anglais ont été chassés de l'île. Le bonheur et la paix auraient enfin souri à cette terre depuis si long-tems désolée, si de nouvelles dissentions, fomentées entre Toussaint-Louverture, commandant du Nord, et Rigaud, commandant du Sud, et dont les

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