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ne pouvait jamais lui donner aucun ombrage; de l'autre, les empereurs de la maison d'Au- AN 6. triche, auquel l'usage donnait le titre d'empereurs romains, et qui se flattaient d'établir tôt ou tard leur domination sur les bords du Tibre, regardaient le pouvoir du pape dans Rome, comme un dépôt qui devait leur être remis un jour.

En conséquence, ceux qui étaient parvenus à soulever les Romains contre le pape et à mêler les Français dans cette querelle, savaient bien qu'une innovation aussi majeure, en contrariant tous les projets de la cour de Vienne, acheverait de changer ses dispositions envers la France, et romprait les négociations de Rastadt. Ces rapprochemens frappaient les esprits accoutumés aux grandes affaires, mais ils échappaient aux yeux fascinés de la multitude.

Cependant, le pontife enfermé au fond du Vatican, tremblait pour sa liberté et même pour sa vie. En vain une députation solemnelle lui avait déclaré que non-seulement il ne serait donné aucune atteinte à son autorité

spirituelle, mais que le nouveau gouvernement lui assurerait un traitement convenable à sa dignité, et même une garde d'honneur de cent vingt hommes. L'émigration dont il était témoin, laissait autour de lui une solitude alarmante; les cardinaux, les grands de Rome et

les citoyens les plus aisés de cette capitale, 1798. prenaient successivement la fuite, emportant leurs effets les plus précieux.

La ressemblance entre les symptômes de la révolution de France et ceux de la révolution de Rome, lui laissait redouter les mêmes résultats. Perpétuellement frappé du sort tragique de Louis XVI, il résolut de quitter furtivement un empire qui n'était plus le sien. Berthier, consulté sur ce projet, chargea plusieurs militaires de lui servir d'escorte. Il sortit de Rome pour n'y plus rentrer, le 20 février, se retira avec une suite peu nombreuse en Toscane, et fixa sa résidence dans la Chartreuse de Pise, qu'il quitta l'année suivante, lorsque le gouvernement de France, ayant déclaré la guerre au Grand-Duc, fit prisonnier le pontife et le conduisit en France.

On établit bientôt dans Rome un nouveau gouvernement, sur le modèle de ceux de Paris, de la Haye, de Milan et de Gênes. Cependant, pour conserver le nom des anciennes magistratures romaines, cinq magistrats suprêmes, investis du pouvoir exécutif, eurent le nom de consuls, tandis que le corps législatif se formait de deux collèges de sénateurs et de tribuns, l'un composé de soixante-douze, et l'autre de trente-six membres.

CHAPITRE XXIV.

Révolution de Suisse.

ETTE révolution, jettant en Italie de nouveaux brandons de discorde, étonnait d'autant plus l'Europe, que les plénipotentiaires français continuaient d'assurer, dans Rastadt, que le but auquel tendait le gouvernement de Paris, était de cimenter solidement une paix générale. La surprise augmenta, lorsqu'on apprit qu'une nouvelle combinaison de circonstances conduisait les armées françaises dans les montagnes de l'Helvétie.

On a observé, dans les premiers livres de cette histoire, avec quel art affreux les ennemis de la France avaient réuni leurs intrigues, en 1792 et 1793, pour entraîner les Helvétiens, et le zèle qu'avait déployé le colonel de Weiss pour écarter de sa patrie le redoutable fléau de la guerre. Jamais la bonne harmonie entre le gouvernement français et celui des Suisses n'eût été troublée, si les Suisses avaient été régis par une constitution uniforme.

Personne n'ignore que l'Helvétie formait moins une république, que l'association fédédérale de plusieurs Etats indépendans les uns

AN 6.

des autres. La forme du gouvernement diffé1798. rait essentiellement dans les treize cantons;

six étaient purement démocratiques, l'aristocratie dominait dans les sept autres. La différence de ce régime chez des hommes idolâtres de leur liberté, fut le résultat de la situation politique dans laquelle chacune de ces républiques se trouvait avant son association à la ligue helvétique.

Celles dont le gouvernement fut aristocratique, ne consistèrent d'abord que dans une ville principale dont quelques bourgs et quelques villages dépendaient. Le gouvernement se resserra insensiblement parmi les bourgeois de la ville plus à portée de suivre les assemblées générales, tandis que ceux des bourgs et des villages négligeaient de s'y trouver pour éviter la dépense du déplacement. Le tems ayant à la longue consolidé ce mode de gouvernement, il subsista malgré les accroissemens successifs du territoire de ces cités. L'usage tient lieu de droit public. C'était par l'effet de ce même usage, que les sénateurs de Venise, d'abord représentans amovibles du peuple, en étaient devenus peu-à-peu les souverains.

Mais les cantons démocratiques n'ayant au contraire, dans leurs arrondissemens, aucune ville assez considérable pour prétendre à quelque prééminence sur les autres, chaque pays

fut divisé en communautés qui conservèrent un droit égal à la souveraineté, et chez les- AN 6. quels les assemblées générales se tenaient alternativement. La pure démocratie s'y conserva. La république des Grisons est démocratique ; le pays est partagé en trois cantons nommés ligues, la ligue haute ou grise, la ligue de la Cadée, et la ligue des dix communautés. Le conseil souverain est composé des députés de toutes les communes. Il s'assemble réguliérement chaque année à la fin d'août, alternativement, dans le chef-lieu de chacune des ligues. Le premier magistrat du lieu où se tient l'assemblée, la préside.

Cette disparité, dans l'organisation politique, devait influer sur la manière dont la révolution française était envisagée par les Suisses des divers cantons. Depuis long-tems celui de Berne n'avait d'autres intérêts que ceux d'An. gleterre. Les dépenses de ce canton étant ordinairement moindres que ses revenus, les richesses de l'Etat et celles des magnifiques n'avaient pour débouchés que les fonds anglais, où elles s'engloutissaient. Le sénat de Berne tenait au cabinet de Saint-James sous le double rapport de son intérêt qui l'attachait à la prospérité de la banque de Londres, et sous celui de la religion dont les liens avec la politique sont plus étroits qu'on ne le pense généralement en France depuis la révolution.

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