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prète à son gré après l'événement. Les deux partis étaient animés par les passions les plus AN 5. actives, celles de l'intérêt et de l'ambition. Des deux côtés on prend les armes ; la ville de Venise, malgré sa situation dans la mer, est le champ de bataille choisi pour vider ce mémorable différend; l'armée des nobles et celle du peuple se rendent sur la place de Rialto, devant le palais de Saint-Marc. D'un côté, la prise, de l'autre, la défense de ce château qui recélait le trésor public et les archives de l'Etat, sont l'objet des efforts des combattans. Le parti de Gradenigo triomphe; ceux qui attendaient pour se décider de quel côté tournerait la victoire, et qui sont toujours en grand nombre dans une ville riche et populeuse, se rangent en foule sous les drapeaux du grand conseil. En peu d'heures, la mer fut le tombeau des malheureux Guelphes, à l'exception du petit nombre qui eut le tems de sortir des lagunes de Venise.

Ce fut le dernier effort de la liberté populaire ; il donna naissance au redoutable tribunal des dix et aux non moins redoutables inquisiteurs d'Etat, qui firent trembler dans la suite les nobles comme les citadins. Gradenigo érigea ces deux tribunaux pour la recherche de ceux qui avaient trempé dans la conspiration. Ils furent noyés dans les canaux de Venise. Cependant, malgré la sévérité de

ce magistrat, qui allait jusqu'à la barbarie, 1797 la crainte que l'insurrection dont il venait de triompher, ne se renouvelât un jour, le détermina à faire inscrire parmi les familles qui devaient composer le grand conseil de la république, dans le livre appelé dès lors le livre d'or, toutes celles dont le patriciat remontait à l'élection du premier doge de Venise.

Il y avait moins de liberté à Venise que dans la plupart des monarchies. En vain disait-on, les magistratures s'y tempéraient les unes par les autres ; la législation était confiée au grand conseil, le pouvoir exécutif au sénat, et celui de juger aux quaranties; ces tribunaux différens étaient formés par des magistrats tirés du même corps et animés du même esprit. Les nobles, après avoir créé les lois dans le grand conseil, les faisaient exécuter dans le pregadi et dans les quaranties. Il n'existait à Venise aucun contre - poids à la puissance patricienne; point d'encouragemens pour les plébéiens courbés sous le joug de fer: il leur fallait, pour le secouer, une occasion extraordinaire; l'expédition de Bonaparte présentait cette occasion.

On proposa de lever une armée pour protéger le gouvernement vénitien; la futilité de cette mesure se faisant bientôt sentir, on eut recours à un systême de duplicité dont s'ac

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commodaient la faiblesse et le génie du sénat, mais qui entraînait les plus grands dangers. An 5, La seigneurie, adoptant une feinte neutralité, accablait les Français des témoignages de son affection, tandis que, sous prétexte d'obéir à des traités formels, en vertu desquels la république devait aux troupes autrichiennes le passage sur son territoire, non-seulement elle leur laissait occuper les forteresses qui leur convenaient et en particulier celle de Peschiera voisine de Mantoue; mais tous les secours secrets, toutes les facilités qu'on pouvait leur procurer, sans rompre ouvertement avec Bonaparte, leur étaient donnés; ou, si les circonstances s'y opposaient, on les leur laissait prendre.

CHAPITRE VIII.

Assassinats d'un grand nombre de Français.
Mesures de Bonaparte pour punir ces at-

tentats.

Le gouvernement de Venise entrevit peut

être les succès des Français dans ses Etats, comme un événement heureux qui pouvait le délivrer à-la-fois de deux ennemis. Bonaparte n'ignorait ni le cauteleux manège du sénat de

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Venise, ni les motifs de sa conduite; il pa1797. raissait y faire d'autant moins d'attention, que, comme je l'ai dit plus haut, la marche des Autrichiens dans les provinces vénitiennes, lui donnait l'exemple de ne pas respecter le territoire de cette république. Tous les Etats vénitiens à l'exception des lagunes, se trouvèrent insensiblement envahis par les Autrichiens ou par les Français. La république n'usa pas même de ces protestations d'usage auxquelles elle avait eu recours dans des occasions pareilles; barrières élevées par les faibles, méprisées par les forts, aussi inutiles au présent qu'à l'avenir. Mais elle réunit autour de ses lagunes quinze mille Esclavons destinés en apparence à protéger la capitale contre un coup de main.

Lorsque Bonaparte s'enfonçait dans les défilés des Alpes Noriques, il était instruit qu'il circulait dans les campagnes du Bergamasque, du Bressan, du Val-Sabbia, des proclamations qui excitaient les paysans à se lever en masse contre les Français, traités d'athées, de brigands, d'incendiaires. Augereau, de retour de sa mission à Paris, commandait alors en Lombardié. Ses talens et son activité rassuraient le vainqueur de l'Italie contre les suites de ces insinuations auxquelles le gouvernement vénitien semblait ne prendre aucune part. Augereau fit marcher quelques

troupes à Brescia; cette première insurrection. fut aisément arrêtée.

Mais bientôt le bruit circulait dans toute la Lombardie, que les Français avaient été battus complettement, et que leur perte était iné, vitable, pour peu que les Italiens voulussent seconder la bravoure des Allemands. Cette nouvelle fut accréditée par la marche du général Laudohn, qui avait eu en effet quelques légers avantages sur les Français dans les montagnes du Tyrol. On savait aussi que le général Alvinzi s'avançait vers le Frioul vénitien par la Carniole inférieure, et on ne doutait pas que les Français, entourés de toutes parts, ne fus sent obligés de mettre bas les armes.

le

Les nobles vénitiens crurent le moment venu d'assouvir impunément leur vengeance dans sang français. Cependant le gouvernement ne se déclarait pas d'une manière directe; imitant la conduite qu'avait tenue, en 1746, le sénat de Gênes, lorsque les Autrichiens avaient envahi son territoire, il se contentait d'exciter secrétement le peuple à la révolte. Ses émissaires, répandus dans les villes et dans les campagnes, disaient au peuple : Jusqu'à quand attendrez-vous que les Français, destructeurs de la religion chrétienne dans leur patrie, viennent démolir vos églises, et égorger les prêtres sur les autels embrâsés ? Leurs troupes sont dispersées par les Alle

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AN 5.

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