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721. Ici se présente une question: Pierre est possesseur de bonne foi d'une chose qui ne lui appartient pas; il la possède comme sienne tout le temps requis pour prescrire. Paul, son fils et son héritier présomptif, connaissant parfaitement que cette chose n'ap partient point à Pierre, ne l'a point averti, de crainte d'interrompre une prescription dont il espérait profiter un jour. Pierre meurt, et Paul, en sa qualité d'héritier universel, recueille avec la succession le fonds que le père avait prescrit. Peut-il le conserver sans injustice? Nul doute, à notre avis, qu'il ne puisse le conserver, non en vertu de la prescription, car ce n'est pas lui qui a prescrit; mais en vertu de son titre d'héritier, qui lui donne un droit réel sur tous les biens de son père légitimement acquis. Il a péché contre la charité en n'avertissant ni son père ni celui contre qui courait la prescription; mais il n'a point péché contre la justice. Et le père, étant devenu maître et propriétaire du fonds qu'il a prescrit, a pu le transmettre à son fils, comme il aurait pu le transmettre à un étranger, soit à titre lucratif, soit à titre onéreux. Qu'on n'objecte point la mauvaise foi du fils; elle n'a pu vicier la possession du père, qui était de bonne foi; elle n'a pu par conséquent empêcher la prescription.

722. Une autre question: Un enfant mineur peut-il prescrire par une possession de bonne foi? Il le peut, car la prescription court au profit de tous ceux qui, de bonne foi, possèdent civilement, avec un titre translatif de propriété, réel ou présumé. Mais pourra-t-il, étant devenu majeur, conserver les biens qu'il a prescrits de bonne foi, dans le cas où le tuteur eût été de mauvaise foi? Nous pensons qu'il peut les conserver, puisqu'il a pour lui le titre d'une prescription légitime: la mauvaise foi du tuteur ne peut nuire aux droits que le mineur tient de la loi. Si, durant son administration, le tuteur a fait tort à un tiers, lui seul doit en être responsable.

723. La prescription peut être interrompue ou suspendue. Quand elle est interrompue, les années de possession écoulées avant l'interruption ne se comptent pas; il faut recommencer à prescrire de nouveau. L'interruption se fait naturellement ou civilement. Il y a interruption naturelle, lorsque le possesseur est privé, pendant plus d'un an, de la jouissance de la chose, soit par l'ancien propriétaire, soit même par un tiers. Une citation en justice, un commandement, une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, forment l'interruption civile. La prescription est encore

interrompue par la reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait (1).

Lorsque la prescription est suspendue, les années de possession antérieures à sa suspension se comptent; et, la suspension une fois levée, elles servent, conjointement avec les années qui suivent, à compléter le temps requis pour prescrire.

La prescription court contre toutes sortes de personnes, à moins qu'elles ne soient dans quelque exception établie par la loi. Généralement, elle ne court pas contre les mineurs et les interdits; elle ne court pas non plus entre les époux (2). Quant aux calamités publiques, elles ne suspendent pas la prescription. Ni la guerre ni la peste, ni toute autre calamité, ne peuvent, en France, suspendre la prescription; car elles ne sont point mises par la loi au nombre des causes qui en suspendent le cours (3).

Comme c'est aux lois civiles à régler et à déterminer les conditions requises pour la prescription; comme c'est d'elles que ce moyen d'acquérir ou de se libérer tire principalement sa force et son énergie, nous admettons comme règle générale que, toutes les fois qu'on peut prescrire au for extérieur, on peut également prescrire au for intérieur, pourvu qu'il y ait bonne foi pendant tout le temps requis pour la prescription.

CHAPITRE VII.

Des Successions.

724. On entend par succession, le droit de recueillir les biens qu'une personne laisse en mourant; et on donne le nom d'héritier à celui auquel ce droit est dévolu. On distingue deux sortes de successions, la succession légitime et la succession testamentáire: la première est déférée par la loi; et la seconde, par la volonté de l'homme et par la loi. Nous parlerons de la succession testamentaire au chapitre des donations.

Les successions s'ouvrent par la mort naturelle ou civile. La

(1) Cod. civ. art. 2242, etc. (2) Ibid. art. 2251, etc. — (3) Voyez Dunod, Merlin, etc,

place du défunt ne peut rester vacante, ni le sort de ses biens incertain : l'héritier, ne lui eût-il survécu qu'un instant, est censé avoir recueilli la succession, et l'avoir transmise, avec la sienne, à ses propres héritiers (1).

Les successions sont régulières ou irrégulières: les premières sont celles qui sont dévolues aux héritiers légitimes; les secondes, celles qui, à défaut d'héritiers légitimes, passent aux enfants naturels, ou à l'époux survivant, ou à l'État (2).

725. Pour succéder, il faut nécessairement exister à l'instant de l'ouverture de la succession; ainsi, sont incapables de succéder: 1o Celui qui n'est pas encore conçu. 2o L'enfant qui n'est pas né viable. Un enfant peut être né vivant sans être né viable; il ne doit pas être regardé comme viable, s'il est né avant le cent quatrevingtième jour de la conception. 3° Celui qui est mort civilement.

On peut être indigne, sans être incapable de succéder. Sont indignes de succéder, et, comme tels, exclus d'une succession: 1o celui qui serait condamné pour avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt; 2o celui qui a porté contre le défunt une accusation capitale jugée calomnieuse; 3° l'héritier majeur qui, instruit du meurtre du défunt, ne l'aura pas dénoncé à la justice. Mais le défaut de dénonciation ne peut être opposé aux ascendants et aux descendants du meurtrier, ni à ses alliés au même degré, ni à son époux ou à son épouse, ni à ses frères et sœurs, ni à ses oncles et tantes, ni à ses neveux et nièces (3).

726. Les successions régulières sont déférées aux enfants et descendants du défunt, à ses ascendants et à ses parents collatéraux, dans l'ordre établi par la loi (4). Quant aux successions irrégulières, il est bon de rapporter ici les dispositions du Code civil, concernant les droits des enfants naturels sur les biens de leurs père et mère. Ces enfants ne sont point héritiers; la loi ne leur accorde de droit sur les biens de leurs père et mère que lorsqu'ils ont été légalement reconnus. Ce droit est réglé ainsi qu'il suit : si le père ou la mère a laissé des descendants légitimes, le droit de l'enfant naturel est d'un tiers de la portion héréditaire qu'il aurait eue, s'il eût été légitime; il est de la moitié, lorsque le père ou la mère ne laisse pas de descendants, mais bien des ascendants ou des frères ou sœurs; il est des trois quarts, si le père ou la mère ne laisse ni descendants, ni ascendants, ni frères ni sœurs; il comprend la

(1) Cod. civ. art. 718, etc. —(2) lbid. art. 723, etc. —(3) Ibid. art. 725, etc. 4) Ibid. art. 757, etc.

M.

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totalité des biens, lorsque le père ou la mère ne laisse pas des parents au degré successible (1).

La loi est moins favorable aux enfants adultérins ou incestueux : elle ne leur accorde que des aliments; encore faut-il, pour ce qui regarde le for extérieur, qu'ils soient reconnus. Ces aliments sont réglés, eu égard aux facultés du père ou de la mère, au nombre et à la qualité des héritiers légitimes. Lorsque le père ou la mère de l'enfant adultérin ou incestueux lui auront fait apprendre un art mécanique, ou lorsque l'un d'eux lui aura assuré des aliments de son vivant, l'enfant ne pourra élever aucune réclamation contre leur succession. Ici, on ne doit regarder comme incestueux que les enfants dont le père et la mère sont parents ou alliés à un degré prohibé par la loi civile, laquelle a moins d'étendue que la loi canonique.

727. Les dispositions du Code concernant les enfants naturels, adultérins ou incestueux, étant fondées sur les bonnes mœurs, ne sont pas moins obligatoires au for de la conscience qu'au for extérieur. Ce serait autoriser le libertinage que de mettre sur le même rang l'enfant légitime et celui qui est né d'un commerce honteux et criminel. Toute disposition frauduleuse en faveur d'un enfant illégitime serait donc nulle au for intérieur. Quoique le père soit maître de ses biens, il ne peut en disposer d'une manière contraire aux lois. Qu'il pèche contre la justice ou non, en disposant ainsi de ses biens, cette disposition étant, comme immorale, frappée de nullité, ne peut être un titre pour le donataire, et doit être regardée comme non avenue. Par conséquent, les biens compris dans cette disposition continuent toujours d'appartenir au père; et, à moins qu'il n'en dispose autrement avant sa mort, ces biens feront partie de la succession qui appartient aux héritiers légitimes.

Cependant, comme on se fait facilement illusion, surtout parmi les gens du monde, sur les questions de la nature de celle dont il s'agit, nous pensons qu'on ne doit point inquiéter, au tribunal de la pénitence, l'enfant illégitime qui croit pouvoir retenir, sans injustice, ce qu'il a reçu de son père ou de sa mère, lorsque, d'ailleurs, on n'a pas lieu d'espérer qu'il renonce à la donation qui a été faite illégalement et frauduleusement en sa faveur.

Nous ferons remarquer qu'on ne doit point regarder comme frauduleuse la disposition par laquelle un père ou une mère ont recours, par un contrat simulé, à l'intervention d'un tiers,

(1) Cod. civ. art. 763, etc.

pour subvenir à l'entretien d'un enfant naturel, à l'éducation duquel ils sont naturellement obligés, lors même qu'ils ne l'auraient pas reconnu légalement. Ceci s'applique aux enfants incestueux et adultérins.

728. Une succession régulière peut être acceptée avec la faculté de n'en acquitter les dettes et charges que jusqu'à la concurrence des biens de la succession; mais alors il est nécessaire, pour ce qui regarde le for extérieur, de ne l'accepter que sous bénéfice d'inventaire. Nous disons, pour ce qui regarde le for extérieur; car celui qui accepte, sans bénéfice d'inventaire, une succession dont la valeur ne suffit pas pour payer intégralement les dettes du défunt, n'est point obligé, en conscience, avant la sentence du juge, d'y mettre du sien pour acquitter toutes ces dettes; il suffit, aux yeux de l'équité, qu'il les paye jusqu'à la concurrence des biens qu'il a recueillis.

Personne n'est tenu d'accepter la succession qui lui est échue, mais on ne peut, sans injustice, divertir ou recéler aucun effet de la succession à laquelle on a renoncé : on n'a droit aux avantages d'une succession qu'en supportant les charges dont elle est grevée. Cependant, l'héritier qui renonce à la succession peut retenir le don entre-vifs, ou réclamer le legs qui lui a été fait, jusqu'à la concurrence de la portion disponible (1).

729. Lors du partage d'une succession, tout héritier, même bénéficiaire, doit rapporter à ses cohéritiers, c'est-à-dire remettre ou laisser à la masse des biens à partager, tout ce qu'il a reçu du défunt par donation entre-vifs, directement ou indirectement. Il ne peut retenir les dons ni réclamer les legs à lui faits par le défunt, à moins que les dons et legs ne lui aient été faits expressément par préciput, ou avec dispense du rapport (2). Dans le cas même où les dons et legs auraient été faits par préciput et avec dispense du rapport, l'héritier venant à partage ne peut les retenir que jusqu'à concurrence de la quotité disponible: l'excédant est sujet à rapport (3).

Les frais de nourriture, d'entretien, d'éducation, d'apprentissage, les frais ordinaires d'équipement, ceux de noces et présents d'usage, ne doivent pas être rapportés (4). Mais un héritier est-il obligé de rapporter ce qu'il a reçu de son père pour se faire remplacer au tirage de la conscription militaire? Il y est obli

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(1) Cod. civ. art. 845. (2) Ibid. art. 843. (3) Ibid. art. 844. — (4) Ibid. art. 852.

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