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XCIX. JOUR.

Les souffrances de Jérémie.

TELLES étoient les dures vérités, que Dieu mettoit en la bouche du prophète Jérémie; et ce qu'il souffrit à ce sujet pendant quarante-cinq ans que dura son ministère, est inoui. Il avoit à souffrir mille indignités, qui lui faisoient dire : J'ai été en dérision à tout mon peuple, le sujet de leurs chansons tout du long du jour, et l'objet de leur moquerie. Il m'a rempli d'amertume; il m'a enivré d'absynthe. Je ne connois plus le repos : j'ai oublié tous les biens. On en venoit jusqu'aux coups: et il disoit : Le solitaire s'asseyra, et se taira: il baisera la terre, et mettra sa bouche dans la poudre ; pour voir s'il lui restera quelque espérance d'être écouté dans ses prières. Il livrera sa joue aux coups: il sera rassasié d'opprobres. On voit dans ce dernier trait une image expresse du Fils de Dieu. Et un peu après: O Seigneur, vous m'avez mis au milieu du peuple comme un arbre déraciné, comme le mépris de tous les hommes: Tous mes ennemis ont ouvert impunément la bouche contre moi (1). Ce fut dans sa patrie, dans la ville d'Anathoth, ville sainte et sacerdotale, qu'il eut le plus à souffrir de ses citoyens, et des sacrificateurs ses compagnons. On y conspira contre sa vie. Et j'étois, dit-il, comme un agneau innocent et doux qu'on porte au sacrifice : (1) Lament. 111. 14, 15, 17, 28, 29, 30, 45, 46.

et je ne savois pas ce qu'ils machinoient contre moi, en disant: Mettons dans son pain un bois empoisonné: effaçons-le du nombre des vivans, et qu'on ne parle plus de lui sur la terre. Et ils lui disoient : Ne prophétisez plus au nom du Seigneur, si vous ne voulez mourir entre nos mains. Mais il fallut obéir à Dieu et il prophétisa contre Anathoth, d'une manière terrible: Je visiterai les habitans d'Anathoth leurs jeunes gens mourront de l'épée, dit le Seigneur des armées : leurs jeunes enfans et leurs filles mourront de faim et de peste ; et il ne restera rien de cette ville; j'amenerai tout le mal sur Anathoth, et l'an de sa visite sera plein d'effroi (1).

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Ainsi en arriva-t-il à notre Sauveur dans Nazareth. Il ne pouvoit y faire beaucoup de miracles, à cause de leur incrédulité : car ils se disoient l'un à l'autre : N'est-ce pas là ce charpentier fils de Marie, frère de Jacques et de Jean? Et n'avons-nous pas ses sœurs parmi nous? Et ils le méprisèrent (2). Il éprouva, comme Jérémie, la vérité de ce proverbe : Le prophète n'est point reçu dans sa patrie. Il s'en plaignit. Et ses citoyens remplis de colère le traínèrent hors de leur ville, au plus haut de la montagne où leur ville étoit batie, pour le précipiter du haut en bas (3).

Ce n'étoit pas seulement ses concitoyens qui machinoient contre lui, à cause de ses prophéties: tous les peuples s'encourageoient à le perdre, et ils se disoient les uns aux autres: Venez, entreprenons contre

(1) Jerem. xxI. 19, 21, 22, 23.— (2) Marc. vi. 3, 4, 5. — (3) Luc. IV. 24, 28, 29.

Jérémie: il n'est pas le seul prophète, ni le seul sacrificateur, ni le seul sage: venez, frappons-le avec la langue, et ne prenons pas garde à tous ses discours. Vous savez, Seigneur, tout ce qu'ils ont entrepris contre ma vie : ils creusoient des abîmes sous mes pieds; purtout ils me tendoient des piéges (1). Ses meilleurs amis, qui sembloient le garder, entroient dans ces pernicieux conseils : tous ne songeoient qu'à le tromper, et à se venger de lui (2), parce qu'il leur prophétisoit des malheurs. Ainsi à chaque pas du Sauveur, il trouvoit des entreprises contre sa personne. On l'appeloit démoniaque, imposteur : on le chargeoit de toute sorte d'injures, pour animer contre lui la haine publique : et par deux fois en très-peu de jours, on leva des pierres pour le lapider: ses frères mêmes ne croyoient pas en lui (3): et il fut livré par un de ses disciples.

C. JOUR.

Jérémie persécuté par ses disciples. Autorité publique.

VENONS à ce que souffrit Jérémie, non plus seule ment par de secrets complots; mais par l'autorité publique. Phassur, sacrificateur, fils d'Emmer, qui étoit prince dans la maison du Seigneur, entendit les discours de Jérémie : et il frappa ce prophète, comme le prince des prêtres fit frapper le visage de saint (2) Ibid. xx. 10. - (3) Joan VIII.

(1) Jerem. XVIII. 18, 22, 23. 59. x. 31.

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Paul et il mit Jérémie dans les entraves: et il l'en tira le matin (1): et le prophète, qu'il avoit injustement maltraité, lui annonça sa destinée, et celle de tout le peuple. Une autre fois, comme Jérémie venoit de prophétiser la ruine du temple devant le temple même, les sacrificateurs et les prophètes, et tout le peuple se saisirent de lui: et ils disoient tous ensemble: Il faut qu'il meure: et ils le déférèrent aux princes de la maison de Juda, en disant: Cet homme doit être condamné à mort, parce qu'il a prophétisé contre cette ville, et contre le temple, et qu'il a dit que le Seigneur en feroit comme de Silo (2). Jésus fut accusé du même crime (3): on lui imputoit d'être le destructeur du temple : les sacrificateurs étoient à la tête de ses ennemis; et comme un autre Phassur, Anne et Caïphe les souverains sacrificateurs le persécutoient, et prophétisèrent contre lui: Vous ne savez rien, dit Caïphe; et vous ne pensez pas qu'il faut qu'un homme meure pour tout le peuple, et que la nation ne périsse pas (4): et les sacrificateurs et les docteurs de la loi prononcèrent l'un après l'autre comme ils avoient fait autrefois contre Jérémie: Cet homme est coupable de mort (5). Mais Dieu ne vouloit pas que Jérémie mourût selon leurs désirs; et la sentence des pontifes contre Jésus-Christ fut exécutée.

Jérémie fut fait prisonnier du temps du roi Joachim, à cause de ses prophéties: Mais, comme dit saint Paul, la parole de Dieu n'est point liée. L'ordre

(1) Jerem. xx. 1, 2, 3. (2) Ibid. xxvI. 2, 6, 7, 8, 9, 11.(3) Matth. xxvi. 57, 59, 61.—(4) Joan. x1. 47, 49, 50. (5) Ibid. XVIII. 13, 14. Matth. xxvi. 66.

de

de Dieu vint à ce prophète d'écrire au roi Joachim, ce qu'il avoit prophétisé de vive voix : il manda Baruc, fils de Nérias : et il lui dicta ce qui devoit arriver au roi et au peuple; puis il lui dit: Je suis prisonnier, et je ne puis entrer dans la maison du Seigneur. Allez-y donc, et lisez au peuple, au jour de jeúne solemnel, les paroles de Dieu que vous venez d'ouïr de ma bouche: et le discours fut porté au roi, et un secrétaire le mit en pièces, et le roi le fit brûler : et Jérémie dicta de nouveau tout ce qui étoit contenu dedans, et ajouta beaucoup d'autres choses encore plus terribles (1). Jérémie fut fidèle à Dieu, et continua à annoncer constamment sa parole.

CI. JOUR.

Jérémie dans le cachot ténébreux.

APRÈS que le saint prophète eut été mis en liberté, il alloit dans la terre de Benjamin pour quelques affaires, comme Dieu le lui avoit ordonné: et comme il avoit

prophétisé, qu'il n'y avoit de salut que de se rendre au roi de Babylone qui assiégeoit Jérusalem; on le soupçonna de s'y aller rendre lui-même, et il répondit: Il n'est pas vrai : je ne vais pas me livrer aux Chaldéens : car il falloit que cela se fît par autorité publique, et que le roi lui-même en donnât l'ordre. On ne voulut pas croire le saint prophète et les princes, après l'avoir fait battre de verges, le je

(1) Jerem. XXXVI. 2, 4, 5, 6, 8, 15, 21, 23, 28, 32.

BOSSUET. IX.

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