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rantie que la charte donne aux citoyens de l'inviolabilité de leurs droits, l'opiniant prouve l'inutilité des moyens par lesquels on prétend y suppléer; il observe que l'observation religieuse des dispositions de la charte peut seule assurer le repos de la France; et il vote pour le rejet de la résolution.

Un autre membre (M. le duc de Brissac) se déclare, au contraire, en faveur de la censure; il observe d'abord que tout a été dit sur la liberté de la presse; il avoue que plusieurs articles du projet, notainment ceux qui traitent de la censure, celui relatif aux journaux, doivent blesser les par tisans outrés de la liberté, ces hommes qui s'y attachent d'autant plus qu'elle se rapproche da vantage de la licence. Il croit que, dans les circons tances actuelles, la loi ne peut pas être moins sévère. Il reconnaît que les écrits qui paraissent dans ce moment ne sont pas dangereux, mais il affirme que les agitateurs ne gardent le silence que parce que tout les repousse. Aujourd'hui, dit-il, tout semble tranquille, mais ils ne le sont pas. Gardez-vous, d'en douter, Messieurs; ils écrivent, ils travaillent dans l'ombre. Pas un mot, dans un instant si critique, ne trahira le calme trompeur qu'ils affectent. Voyez comme la modération semble diriger toutes les plumes, depuis que s'agite cette importante question. de la liberté de la presse! après vingt-cinq ans de révolution, les hommes formés à cette dangereuse,1 mais prudente école, ne parlent et n'agissent que lorsque les temps sont arrivés. Tant qu'on discutera!

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dans les deux chambres, la liberté de la presse paraîtra sans danger. Mais rejetez le projet de loi, et vous me direz, partisans de la liberté de la presse, qui de vous ou de moi s'est trompé. (1),

Ayant ainsi établi les dangers de la liberté de la presse par la modération des écrivains, M. le duc de Brissac regrette que le projet de loi ait fait une exception en faveur des membres en la chambre des députés et de la chambre des pairs; cette exception lui paraît une futilité au-dessous des deux chambres ; il aurait été de leur dignité, dit-il, de ne pas s'en occuper (2).

L'opinant ajoute que l'article 5 du projet de loi aurait dû autoriser le sursis pour les ouvrages qui blessent la religion, comme pour ceux qui blessent les bonnes mœurs. L'article 5, ajoute-t-il, n'échapperait pas davantage à ma critique : cette commission de trois pairs, de trois députés et de trois commis

(1) Si la crainte de perdre la liberté de la presse suffit pour commander la modération aux écrivains, il faut rendre cette crainte perpétuelle et la substituer à la censure; il faut que la chambre des pairs retienne le projet de loi jusqu'au moment où les faits prouveront la nécessité de l'adopter.

(2) Puisque M. le duc a un attachement si fort pour le censure, il aurait dû y soumettre son discours avant de le prononcer ; je suis persuadé que parmi les censeurs, il aurait trouvé des hommes assez sensés pour l'inviter à supprimer cette dernière phrase,

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saires du Roi, me semble généralement condamnée. L'article 22 est mal rédigé. Je ne conçois pas des dispositions qui sortiront leur effet lorsqu'une loi les aura modifiées. La modification les dénature, les anéantit; elles n'existent plus, puisqu'elles existent sous une forme nouvelle. Le langage des lois ne saurait être trop clair et trop précis.

On ne m'accusera pas, je pensé, d'avoir dissimulé les inconvéniens du projet; et néanmoins, Messieurs, malgré le désir que j'avais de les voir disparaître et de proposer des amendemens, j'aime mieux y renoncer que de retarder l'adoption d'un projet dont le besoin se fait vivement sentir (1).

M. Le comte de Malleville se déclare franchement pour la liberté de la presse; il observe que si la loi proposée avait eu pour objet de suspendre momentanément l'exercice de cette liberté, chacun se serait sans doute empressé de donner au Gouvernement cette marque de déférence, d'accueillir son projet pour dissiper ses craintes; mais que ce n'est pas ainsi que la loi a été présentée; que le ministre a voulu la faire considérer comme un complément de la charte constitutionnelle, et concilier la liberté de la presse avec une censure préalable et arbitraire qui l'anéantit.

(1) Quoi! tout le monde écrit avec modération, tout paraît calme, et le besoin d'une censure préalable et aritraire se fait vivement sentir!

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La liberté de la presse, dit-il, est le criterium; le caractère distinctif de tout Gouvernement libre, et si bien que notre honorable collègue, le duc de Lévis,agitant, dans son excellent ouvrage sur l'Angleterre, la question de savoir si, depuis quelques temps, le pouvoir royal n'y emporte pas la balance, M. le duc de Lévis se décide pour la négative, par la raison: que la presse y est toujours aussi libre qu'elle l'ait jamais été, et il le prouve par des exemples.

Dans toutes les constitutions qui ont été faites pour la France, la Nation a toujours réclamé au premier rang la liberté de la presse. Il n'y a qu'elle en effet qui puisse garantir la liberté politique et civile, contenir dans la ligne de leurs devoirs les ministres et les magistrats, les forcer à être justes, et prévenir les insurrections, seul langage qui reste à un peuple esclave. Aussi un autre de mes honorables collègues, M. le comte Pastoret, dans son rapport sur la calomnie, débute-t-il par cette phrase éloquente: « Que les amis de la liberté se rassurent ; ; je ne viens point ici, répétant des blasphêmes usés, » vous proposer de rétablir l'esclavage de la pensée.»

Il n'est pas étonnant que notre dernier despote, après avoir de fait supprimé depuis long-temps la liberté de la presse, ait enfin rétabli authentiquement la censure, par son décret de février 1810. C'est le propre de tous les tyrans, dit Montesquieu, de comprimer la communication de la pensée, pour empêcher la circulation de tout le mal que l'on doit

dire d'eux.

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Aussi, par opposition, Tacite, après avoir peint les horreurs de Tibère, de Claude, de Néron, et se proposant, pour consoler l'humanité, d'écrire encore l'histoire de Nerva et de Trajan, Tacite s'écrie: Rara tempora felicitas, ubi sentire quæ vis et que sen tias dicere. Rare temps de bonheur, où vous pouvez penser à votre aise, et publier librement ce que vous pensez!

Délivré de la tyrannie de Bonaparte, et rendu à son légitime souverain, le peuple Français ne douta point de jouir enfin de cette communication de la pensée que les Trajan et les Marc-Aurèle ne redoutèrent jamais; il pouvait d'autant mieux le croire, qu'il ne devait avoir désormais qu'à célébrer les vertus de l'émule de ces princes, ou à faire entendre éventuellement quelques plaintes sur les maux échappés à la vigilance de ses ministres, et que son cœur paternel s'empresserait de réparer. Le peuple Français en fut sur-tout convaincu, lorsqu'il vít le sénat proposer cette liberté de la presse comme garantie d'une nouvelle constitution réclamée par les lumières du siècle, notre auguste monarque l'assurer par sa déclaration du 2 mai, et la stipuler enfin par l'art. 8 de la charte constitutionnelle.

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Le peuple Français ne fut point surpris d'y voir mettre la réserve de la punition des abus de cette liberté. En quel temps, en effet, et dans quel pays a-t-il été permis de calomnier impunément les citoyens et les magistrats, d'insulter aux bonnes mœurs, ou de chercher à exciter des troubles ?

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