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CHAPITRE XV

DES CAUSES DE LA PROSTITUTION.

SOMMAIRE. Définition de la prostitution.

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l'action de la police.

L'homme.

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Cas où elle appelle Causes générales de la prostitution.

La prolongation du célibat. La belle-mère. concubine du veuf. Le concubinaire de la veuve.

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- L'atelier. La rue.

L'abandon de la domesticité.

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La

La pro

La coquetterie.

L'envahissement par les hommes des professions de femmes. La fabrication des photograFormules générales. Inaccomplissement de promesses de

phies obscènes. - Remèdes. vation de la loi pénale.

M. le procureur général Dupin.

mariage.
des femmes. >>

--

Aggra

« Le luxe effréné

La prostitution, envisagée d'une manière générale, est vieille comme le monde; elle a, dès lors, des causes traditionnelles, sur lesquelles plane, il faut bien l'avouer, l'entraînement des sens qui défie souvent la morale et la raison et que, sous sa forme énergique, le proverbe espagnol suivant exprime mieux qu'une périphrase :

« L'hombre è di stopa, la moglia di fuego, el « demonios y sopla (1). »

Considérée à un point de vue, relativement restreint, qui laisse en dehors de l'examen toutes les espèces où la vénalité de la débauche est plus ou moins

(1) L'homme est d'étoupe, la femme de feu, le diable souffle sur

eux.

LECOUR.

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masquée, la prostitution n'appelle sur elle l'action de la police qu'autant qu'elle constitue une sorte d'abject métier où la prostituée, sous quelque forme que ce soit, provoque et racole les hommes dans le but de se livrer à eux à prix d'argent.

La distinction établie sur ce point par la loi romaine et qui résidait dans une réserve exprimée par ces mots sine delectu, c'est-à-dire sans choix, existe, en fait, de nos jours. C'est elle qui protége contre les mesures répressives et sanitaires la galanterie payée, mais néanmoins maîtresse d'elle-même.

Dans le cours de ce travail et notamment dans les parties spécialement consacrées aux insoumises, au proxénétisme et à la physionomie du personnel de la débauche publique, j'ai exposé, pour un grand nombre de cas, l'enchaînement des faits qui, de déchéances en déchéances, conduisent une femme à demander ou à subir son inscription sur les contrôles de la prostitution.

Il me paraît utile de compléter ces indications de détail par quelques renseignements généraux qui ressortent de la pratique avec un caractère de certitude absolue et qui, à ce titre, peuvent présenter de l'intérêt à quiconque s'occupe de la débauche publique pour la réprimer ou pour la restreindre.

Je ne voudrais pas être accusé d'aborder témérairement des considérations d'un ordre supérieur dans un travail dont la portée est simplement pra

tique et qui ne comporte, ni par son plan ni par sa forme, des développements de cette importance. J'ai cependant besoin de dire que ces causes spéciales dont je vais parler se développent et s'aggravent, d'une manière évidente, sous l'influence des théories de libre pensée, qui sont le mal de notre époque et qui tendent à affaiblir, tout à la fois, le frein moral et religieux et le respect des autorités les plus légitimes. J'aurai complété ma pensée en ajoutant que la littérature malsaine (romans ou œuvres dramatiques) qui couvre de sa tolérance et met en vogue le monde des courtisanes et qui alimente les publications à bon marché, dites populaires, a sa large part de responsabilité dans les écarts de conduite de beaucoup de pauvres filles, dont elle a troublé le jugement et perverti l'imagi

nation.

Sur ce point, un homme éminent, placé au premier rang de nos célébrités littéraires, m'a fait une objection qui ne m'a pas convaincu, mais que je crois devoir consigner ici : « Prenez garde, m'a-t-il dit, la littérature représente bien plus la société qu'elle ne la modifie. >>

On a souvent cité, lorsqu'il s'agit de la recherche d'un crime, cette question attribuée à un magistrat Où est la femme? et qui veut dire que les actes criminels se rattachent toujours, directement ou indirectement, à une influence féminine. En revanche, chaque fois qu'on se trouve en face d'une

femme tombée dans l'abjection de la débauche vénale, on peut dire avec certitude : Où est l'homme? Interrogez les prostituées, quel qu'en soit le nombre, et vous n'en rencontrerez pas une seule qui ne vous raconte, souvent sans amertume et même sans avoir conscience de l'action funeste que ce fait a eue sur sa vie, comment son premier pas dans la débauche a été l'œuvre de quelque séducteur insouciant, s'il n'était pas cruellement égoïste.

Ce déréglement des hommes, dans l'état présent de notre société, se prolonge plus qu'autrefois. Jadis on se mariait jeune; on entrait en ménage dans des conditions généralement modestes; on n'avait pas tout d'abord bataille gagnée; le jeune couple travaillait en commun; on conquérait ensemble, par degrés, le bien-être et l'aisance; on se voyait, de bonne heure, entouré d'enfants qu'on avait le temps de voir grandir et devenir, à leur tour, des hommes sur lesquels on pouvait s'appuyer quand la vieillesse était venue.

Aujourd'hui, on se marie tard; quand on a, pour ainsi dire, sa position faite et que l'association conjugale peut, à son début, procurer le confortable dans le présent et l'assurer dans l'avenir.

En attendant, on s'amuse (cela s'appelle s'amuser), et, comme il faut garder sa santé, on achète son plaisir au prix de la honte de malheureuses filles, jusqu'alors honnêtes, et qui deviendront ce qu'elles pourront.

Plus imprudents, mais moins dangereux sont les « viveurs » qui, non sans risques, cherchent le plaisir dans les lieux de plaisir.

Après l'homme, la cause qui pousse le plus souvent les jeunes filles dans la mauvaise voie, c'est, quelles que soient ses qualités d'ailleurs, la bellemère. Cela s'explique. Malgré les différences d'âges,

il

y aura toujours entre cette femme et cette enfant, placées vis-à-vis l'une de l'autre, une jalousie incurable. Chez la femme, à cause de l'affection de son mari pour l'enfant et aussi parce que celle-ci perpétue le souvenir de l'épouse disparue. Chez l'enfant, le sentiment de même nature que lui inspire le partage de l'affection paternelle s'aigrit sourdement, alors qu'elle s'incline, soumise en apparence, sous la domination de l'étrangère. Elle constate chez son père des gaietés qui contrastent avec le deuil d'autrefois; elle lui en veut d'avoir oublié. Il y a dans tout cela des germes de désaffection et de révolte qui créent des malaises, des orages d'intérieur et qui font que l'enfant, impatiente de quitter la maison paternelle, où d'autres enfants tiennent souvent la meilleure place, saisira la première occasion pour en sortir. Le père, entravé par sa nouvelle position et par ses devoirs d'époux, ne peut concilier toutes ces difficultés. Il s'abstient et se résigne, et la fille reste sans guide et sans appui. Supposez la belle-mère manifestement jalouse du passé et acariâtre, et la rupture sera plus prompte.

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