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DISSERTATION

SUR L'ORIGINE DE LA FAMILLE

DES ORPÉLIANS,

ET DE PLUSIEURS AUTRES COLONIES CHINOISES

ÉTABLIES EN ARMÉNIE ET EN GÉORGIE.

La famille des Orpélians tiroit son origine d'un vaste pays situé à l'extrémité orientale de l'Asie, qui est nommé par les Arméniens ш Djénasdan, et qui est certaiGuшumur nement le même que la Chine. Le nom de

Tchin ou

Sin صین Tchinistan chez les Persans, celui de چیستن

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chez les Arabes, et de Tsinestan chez les Syriens, aussi bien que celui de Djénasdan chez les Arméniens, ont toujours désigné un pays grand, puissant et civilisé, qui, du côté du nord, étoit au-delà des déserts et des peuples barbares qui avoisinent la Perse et l'Inde, et qui, du côté du midi, étoit au-delà des mers les plus reculées de l'Inde. Nous avons dans Masoudy, excellent auteur Arabe qui écrivoit au commencement du X. siècle, le récit de plusieurs voyages entrepris dans l'intérieur de l'empire de la Chine,

par la route de terre et par celle de mer: on y trouve aussi le détail des guerres civiles qui accompagnèrent la fin de la dynastie des Thang (1). Les guerres entreprises dans l'intérieur de la Tartarie par cette puissante dynastie, avoient donné aux Arabes les moyens de bien connoître les Chinois, dont l'empire étoit alors limitrophe de celui des khalifes. Tous les princes Turks de la Transoxane étoient feudataires des monarques Chinois (2). Les historiens de ce peuple nous attestent que les princes Persans qui, après la destruction de la dynastie des Sassanides, se maintinrent contre les Arabes dans les montagnes du Dilem, du Gilan et du Tabaristan, au sud de la mer Caspienne, et qui résidoient à Sari, envoyèrent de fréquentes ambassades en Chine (3).

(1) Moroudj-eddheheb, ms. venu de Constantinople, tome I.", fol. 56 recto-63 recto. Le morceau relatif aux guerres civiles de la Chine a été publié en arabe, dans les notes de Reiske sur l'Histoire universelle d'Abou'lféda (Annales Moslemici, tom. II, p. 713-716). Le mauvais état du manuscrit de Leyde, dont Reiske a tiré ce fragment, ne lui a pas permis d'en donner une traduction. Abou❜lféda parle aussi (tom. II, p. 250 et 252 ) des troubles qui agitèrent la Chine sur la fin de la dynastie des Thang; il les place sous l'année 264 de l'hégire [877 et 878 de J. C. ].

(2) Comme on pourra le voir dans un mémoire, aussi neuf qu'intéressant, que M. Abel-Rémusat a lu depuis peu à l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Il nous a été fort utile pour la composition de cette dissertation. Les faits curieux qu'il contient, donnent lieu à une foule de rapprochemens, qui tous jettent un grand jour sur la géographie de l'Orient, soit dans l'antiquité, soit dans le moyen âge.

(3) Selon les historiens Chinois, ce pays étoit gouverné, sous les rois Sassanides, par un officier qui portoit le titre de grand général de l'Orient. Nous trouvons dans la traduction Persane de Thabary (ms. Persan de la B. R. n.o 63, p.473), que tous les petits princes du Gilan, du Tabaristan et du Dilem, dépendoient alors d'un marzban ou commandant

Les

Les historiens Arabes, Persans et Chinois, nous apprennent également que le dernier des Chosroès, Iezdedjerd III, réduit à l'extrémité par les armes des Musulmans, tourna ses regards vers la Chine pour en obtenir des secours qui pussent le rétablir sur le trône de ses pères (1). Après qu'il eut succombé

de frontière, qui résidoit dans la ville de Korkan. Ils se soumirent à payer un tribut aux Arabes, dans les premiers temps de leur domination en Perse (Thabary, pag. 473 et 474), et se rendirent ensuite indépendans. Les Chinois nous apprennent que l'un d'eux, appelé Hou-lou-han, peut-être Karen, envoya une ambassade en Chine, en l'an 746, et reçut un titre Chinois; huit ans après, il envoya son fils Hoei-lo à la cour, où il obtint diverses distinctions. honorifiques. Ce prince, à ce qu'assurent ces mêmes écrivains, resta à la Chine, parce que, peu après, la souveraineté de son père fut détruite par les Arabes. Effectivement, Abou'lfaradj nous apprend, dans sa Chronique Syriaque ( Bar-Hebr. Chronic. Syr. versio Latina, p. 130), qu'en l'an 1071 de l'ère des Séleucides [ 759 et 760 de J. C. ], le Tabaristan, et tous les pays qui avoisinent la mer Caspienne, furent conquis par les Arabes. Plus tard, Maziar, fils de Karen, issu des rois du pays, se révolta sous le règne de Motasem (de l'an 833 à 842 de J. C.), et fixa, comme ses prédécesseurs, sa résidence à Sari. (Thabary, traduction Persane, pag. 730-734, ms. Persan, n.o 63. )

(1) Selon les Chinois, Iezdedjerd envoya une ambassade en l'an 638, c'est-à-dire, deux ans après la perte de la bataille de Kadésiah, et un an après la prise de sa capitale par les Arabes. Thabary fait aussi mention (p. 478, 479 et 480 ) des secours qu'il envoya demander au Khakan des Turks et au roi de la Chine. Les Chinois racontent encore que le roi de Perse fut trahi par un des princes ses vassaux, et qu'il fut tué en cherchant à gagner le Tokharistan. On sait, par les écrivains Arabes, qu'Iezdedjerd, chassé par les Musulmans de ses états, se retira à Farghanah, dans le Turkestan, et qu'il ne revint en Perse qu'après la mort du khalife Omar. Il fut trahi alors par Mahoui Soury, roi de Mérou, qui appela à son secours le roi des Turks,

Tome II.

B

à Mérou dans le Khorasan, son fils Firouz chercha un asyle à la cour des Thang (1). Après sa mort, plusieurs chefs Persans, cantonnés dans le Sedjestan, dans le Gartchestan, dans le Zabélistan, dans le Nimrouz de Kaboul, dans le Tokha

qu'il étoit parvenu à brouiller avec Iezdedjerd. Ce prince, selon Athem de Koufah ( apud Wilken, Chrestomath. Persic. p. 153 et 154), étoit nommé Thandjthakh, et pourroit bien être le même que Thang-thaï-thsoung, empereur de la dynastie des Thang, qui régnoit alors sur la Chine, et auroit été appelé roi des Turks par l'auteur Arabe, parce qu'alors le Turkestan relevoit de la Chine. Abou❜lfaradj (Hist. Dynast. texte Arabe, p. 183, vers. Lat. p. 116) dit aussi qu'Iezdedjerd prit, en fuyant, la route de la Chine:

) یزد جرد ( المغارة حتى اتى كرمان و اخذ على طريق سجستان يريد الصين

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Il appelle Tharkhan le prince des Turks, chez lequel le roi de Perse se retira. Il est à croire que cet auteur aura pris le titre de ce personnage pour son nom; car les écrivains Grecs et Arabes nous apprennent également qu'il existoit, sous cette dénomination, chez les Khazars et chez les Turks orientaux, une dignité qu'on retrouve aussi, long-temps après, chez les Mongols.

(1) Selon les Chinois, Firouz régna, après la mort de son père, dans le Tokharestan, où, en l'an 661, il fut attaqué par les Arabes. II en fut chassé, et contraint de chercher un asyle en Chine, où il mourut, laissant un fils appelé Ni-ni-ché, probablement Nersès ou Nerseh. Jusqu'à présent nous ne connoissions Firouz que par les Chinois et par un passage de la Chronique Arabe d'Abou'lfaradj, qui rapporte que la mère de Yezid II, khalife Ommiade, étoit Schahférend, fille de Firouz, fils d'Iezdedjerd (Greg. Abou❜lfaradj, Hist. Dynast. texte Arabe, p. 211, et vers. Lat. p. 136 ). Nous avons retrouvé le nom de ce prince dans deux autres écrivains orientaux. L'auteur du Modjmel-altewarikh (ms. Persan, n.o 62, fol. 204 recto) dit que la mère du khalife Yezid II étoit Schahaférid, fille de Firouz, fils d'Iezdedjerd; et Masoudy rapporte, dans le Moroudj-eddheheb (ms, de Constantinople, tom. 1.", fol. 126 verso } qu'lezdedjerd avoit deux fils, Bahram et Firouz.

restan, et dans diverses autres contrées du voisinage, y restèrent indépendans des Arabes, et, comme ceux du Dilem, ils entretinrent des relations politiques avec les Chinois (1). La domination de ces derniers étoit si bien établie dans la Transoxane et les régions limitrophes, que les Arabes leur donnoient le nom de Sin. Dans un fragment de quatre vers, rapporté par Ibn-Kotaïbah, le poëte Arabe Abou-Djoumanah, de la tribu des Bahélites, dit, en parlant de la tombe de Kotaïbah, fils de Moslem, guerrier de sa tribu, qu'elle étoit dans le

pays de Sin; et l'on sait par le témoignage d'Abou-Yokthan, auteur cité par le même écrivain, que le sépulcre de Kotaïbah étoit à Farghanah, sur les bords du Syhoun (2). Les Arméniens firent de même; ils donnèrent le nom de g Djenk'h [ou Chinois], aux Turks de la Transoxane. Nous voyons par Abou❜lféda (3), qu'en l'an 119 de l'hégire [de J.-C. 737] et pendant les années suivantes, les Musulmans soutinrent une guerre opiniâtre contre les Turks de Samarkand et de Farghanah, alors vassaux de la Chine. Les Chinois font mention de cette même guerre, et des secours de troupes que

(1) Les princes du Tokharistan envoyèrent des ambassades en 650, en 705, et entre les années 713 à 755. Les peuples du Kilan, voisins de Balkh, et les Gètes, qui habitoient dans les mêmes régions, en envoyèrent aussi. La ville de Bamian fut tributaire de l'empire depuis l'an 658 jusqu'au milieu du VIII. siècle: il en fut de même de plusieurs contrées du voisinage. Le pays de Ki-pin, la Cophêne des anciens, limitrophe de la Bactriane et de l'Hindoustan, paya tribut depuis l'an 619 jusqu'en 758.

(2) Eichhorn, Monumenta antiquissimæ historiæ Arabum, p. 102 et 103. L'auteur de cet ouvrage croit que c'est à tort que ces écrivains donnent à Farghanah le nom de Sin: cela vient de ce qu'il ignoroit qu'à cette époque l'empire Chinois s'étendoit jusqu'au Kharizme. (3) Annales Moslemici, tom. I, p. 453.

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