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Perse et la Chine au commencement du 111.° siècle, on peut présumer avec raison qu'elles n'étoient pas les premières qui eussent subsisté entre les deux pays. Les historiens Chinois nous apprennent que, vers la fin du premier siècle de notre ère, un général nommé P'han-tchao porta ses armes jusque sur les bords de la mer Caspienne, et qu'il chercha alors à communiquer avec les peuples du Ta-thsin, ou Grand-thsin, pays qui, comme on le verra bientôt, est l'empire Romain. Les annales Chinoises font mention, sous la neuvième année Yan-hi, qui répond à l'an 166 de J. C., d'une ambassade venue du Ta-thsin, et envoyée par un prince appelé 'An-thun, qui n'est pas autre que Marc-Aurèle Antonin, qui régnoit alors sur les Romains. Nous avons déjà remarqué que les Arabes, dans le moyen âge, communiquoient avec les Chinois par deux routes, du côté du nord à travers la Tartarie, et du côté du midi par les mers de l'Inde; nous avons aussi indiqué qu'on étoit toujours allé à la Chine de cette double façon: eh bien, selon les Chinois eux-mêmes, les Romains les connoissoient de la même manière. L'ambassade de Marc-Aurèle vint chez eux par les mers du Tonquin ; et ils ont bien soin d'observer qu'ils savoient que les Romains auroient pu venir également par la route du nord, qu'ils habitoient au-delà de la mer Caspienne, qu'ils entretenoient un grand commerce avec les Indiens, et qu'ils avoient grand desir de faire alliance avec les Chinois. Après ces détails sur les rapports des Chinois avec les Romains, on ne sera plus étonné de l'influence politique qu'ils exerçoient sur les affaires de la Perse, qui étoit bien moins éloignée d'eux.

Antérieurement à cette époque, les Chinois connoissoient fort bien les Parthes, qu'ils appeloient Tiao-tchi, nom qui est

la même chose que ceux de Dahi ou Tadjik; ils font aussi souvent mention des rois Arsacides de Kouschan ou des Indo-Scythes, qu'ils nomment Kouei-chouang. Tous les renseignemens qu'ils eurent alors sur les contrées occidentales de l'Asie, leur furent procurés par une révolution qui arriva dans l'intérieur de cette partie du monde, vers le III. siècle avant notre ère.

A cette époque, un peuple nommé Youeï-chi, qui habitoit sur les frontières de la Chine, et que M. Abel-Rémusat regarde comme appartenant à la race Mongole, fut vaincu par les Hioung-nou, alors puissans dans l'intérieur de l'Asie, et forcé d'émigrer vers l'occident. Il contraignit à son tour les Saces ou Sahi d'abandonner leur pays, pour aller se fixer au midi du laxartes. Ces Youei-chi, que les Grecs et les Latins confondent avec les Scythes, mais qu'ils nomment particulièrement Sacaraula, Sacaurace, Sacarance et Sarance (1), furent appelés en Perse, l'an 130 avant J. C., par Phrahates II, roi des Parthes, qui, vaincu dans trois batailles consécutives, étoit près de suc

(1) Tels sont les noms que l'on trouve dans Strabon, Lucien, et les Prologues de Trogue-Pompée. Le nom Chinois de ce peuple, Youeï-chi, signifie famille de la lune. Dans la langue Mongole, la lune s'appelle Saran; il en résulteroit que les Chinois n'auroient fait que traduire la véritable dénomination de cette nation, qui nous auroit été transmise par les Latins; car, nous donnons la préférence à la leçon de Trogue-Pompée ( Prolog. lib. XLI, p. 535, ad calc. Justin. edit. varior.), qui est Sarancæ; sans cependant rejeter celle de Sacarancæ, qui se trouve dans Lucien (de Macrobiis, tom. III, p. 219, ed. Hemsterh.), parce que le mot de Saran pourroit n'être que la contraction d'un autre qui se seroit prononcé Sakaran, et auroit eu le même sens. Cette sorte de contraction est tout-à-fait dans le génie de la langue Mongole, et il seroit facile d'en citer un grand nombre d'exemples. Il seroit donc fort probable que ces peuples se fussent appelés dans le même temps Sarance et Sacarance.

comber sous les efforts réunis d'Antiochus Sidétès, roi de Syrie, et des Grecs de la Bactriane : le premier, maître de Séleucie, s'avançoit dans la Médie, pendant que les autres le prèssoient du côté de l'orient. Dans cette extrémité, Phrahates demanda du secours aux Sarancæ, qui se joignirent aux Asiens, aux Asianiens et aux Tochares, passèrent le laxartes, puis l'Oxus, et détruisirent le royaume de la Bactriane. Vers le même temps, le roi des Parthes fut débarrassé du prince Séleucide par un retour inespéré de la fortune: il voulut alors renvoyer dans leur pays les barbares qu'il avoit appelés, et il refusa de leur payer les subsides qu'il leur avoit promis. On verra, dans nos recherches sur l'histoire des Arsacides, un récit plus circonstancié de tous ces événemens, ainsi que les longues guerres qui furent le résultat de ce manquement de foi. On y verra aussi comment les Arsacides parvinrent à rester maîtres d'une partie des pays conquis par les alliés Scythes, comment ils y établirent des princes de leur race, qui, par la suite, étendirent leur domination dans l'intérieur de la Scythie et dans l'Inde, et fondèrent un royaume qui fut fort bien connu des Chinois. Quelque temps avant l'invasion de la Bactriane, l'empereur des Han avoit envoyé un ambassadeur auprès des Youei-chi, pour les engager à contracter une alliance avec lui. Cet ambassadeur, retardé par diverses circonstances qui ne font rien à notre sujet, ne put arriver chez les Youei-chi qu'au moment où ils se disposoient à passer l'Oxus (1), qu'il traversa avec leur armée en l'an 129

(1) Les Chinois appellent ce fleuve Ou-hiu, ce qui est la même chose qu'Oxus. Ils le nomment encore W. Cette dernière dénomination étoit en usage chez les anciens Persans, comme on peut le voir dans le Boun-dehesch, ouvrage écrit en langue Pehlwi. (Voyez

avant J. C., et fut ainsi témoin de la destruction du royaume Grec de la Bactriane (1).

Les Chinois étant venus si près, à diverses époques, des pays habités par les Grecs et les Romains, et s'étant procuré sur eux, comme on le voit par leurs livres, des relations fort exactes et fort circonstanciées, comment seroit-il possible que ceux-ci, de leur côté, ne les eussent pas connus! Je crois qu'il n'en a pas été ainsi, comme on le pense généralement. Ces deux peuples se sont connus réciproquement; mais les écrivains Grecs et Latins ne nous ont rien conservé de détaillé sur les Chinois; ils ne nous en ont transmis que des notions vagues, qu'ils ne pouvoient pas bien coordonner, faute

Anquetil-Duperron, Zend-Avesta, tom. II, p. 390 et 392.) L'Oxus y est appelé Véh-roud, rivière Véh, ou sacrée; car tel est le sens du mot Véh en ancien persan. Nous serions tentés de croire que Denys le Périégète a connu que l'Oxus avoit été désigné par ce surnom, quand il dit: << Après ces peuples (les Massagètes), on trouve les >> Chorasmiens, vers le nord, puis la Sogdiane, traversée par l'Oxus » sacré, qui, abandonnant le mont Emodus, va se précipiter dans » la mer Caspienne.

כל

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כל

Τοῖς δ ̓ ἔπι, πρὸς βορέην, Χωράσμιοι· οἷς ἔπι γαῖα
Σεγδιάς, ἧς διὰ μέσον ελίσσεται ἱερός άξος

Ός τε λιπών Ημωδών όρος, ότι Κασσίδα βάλλει.

DIONYS. PERIEG. vers. 746 et seq. apud Hudson.

Geogr. Grac. min. tom. IV, p. 131.

Mais nous pensons plutôt que cet auteur, grand imitateur des formes homériques, se sera servi, comme son modèle, du mot is, pour désigner seulement un grand fleuve.

(1) De Guignes, Mémoires de l'Académie des inscriptions et belleslettres, tom. XXV, p. 17-33. Ce savant académicien a eu seulement le tort d'appliquer aux Parthes, ce que les historiens Chinois disent -de la Bactriane.

Tome II.

C

de connoissances positives et d'itinéraires bien faits. Je suis persuadé, malgré cela, que les Sina des géographes anciens, qui ont donné lieu à tant de discussions parmi les modernes, ne sont pas autres que les Chinois eux-mêmes. On place maintenant les Sine des anciens, et ceux de Ptolémée en particulier, dans la presqu'île orientale de l'Inde; c'est l'opinion définitivement établie depuis les savantes recherches de M. Gossellin sur la géographie systématique et positive des anciens: jusqu'à lui, on étoit assez communément d'accord sur l'identité parfaite des Sina et des Chinois, dont les noms ont d'ailleurs une fort grande ressemblance entre eux. En cherchant à établir une opinion à-peu-près pareille, nous sommes bien loin de vouloir combattre celle du savant respectable que nous venons de nommer, quoiqu'en apparence nous soyons en opposition avec lui. Nous ne doutons pas que, connoissant nos raisons, il ne partage notre sentiment, fondé sur des autorités nouvelles et sur des passages dont il ne pouvoit pas faire usage, parce qu'ils ne se rattachoient pas à la géographie positive, unique objet de ses travaux. Les personnes qui sont au fait des difficultés qu'on rencontre dans de telles recherches, admireront la sagacité et la force de critique qu'il a fallu pour reconstruire l'édifice entier de la science géographique chez les anciens, et pour trouver des méthodes sûres de nous guider dans l'intelligence d'auteurs obscurs par euxmêmes, et qui ne savoient pas se rendre raison de la nature des diverses mesures qu'ils employoient. M. Gossellin embrasse dans son immense travail, tout ce qui est relatif aux notions géographiques que les anciens ont pu fixer sur des cartes, par le moyen d'itinéraires, terrestres ou nautiques, et d'observations astronomiques, réelles ou hypothétiques. C'est en comparant des renseignemens de ce genre, que ce savant est

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