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resta assisté de deux sœurs religieuses, de celles qui viennent ordinairement à Paris quêter pendant le carême, et auxquelles il donnoit l'hospitalité. Elles lui donnèrent à ce dernier moment de sa vie tout le secours édifiant que l'on pouvoit attendre de leur charité, et il leur fit paroître tous les sentiments d'un bon chrétien et toute la résignation qu'il devoit à la volonté du Seigneur. Enfin il rendit l'esprit entre les bras de ces deux bonnes sœurs; le sang qui sortoit par sa bouche en abondance l'étouffa. Ainsi, quand sa femme et Baron remontèrent, ils le trouvèrent mort. >>

C'est une circonstance intéressante et singulière que la présence de ces deux religieuses qui se trouvent là pour assister aux derniers soupirs de Molière. Lorsqu'il s'était trouvé mal, il avait, comme le rapporte la requête à l'archevêque de Paris, demandé un prêtre pour recevoir les sacrements (1); on en avait envoyé chercher un. Les deux premiers ecclésiastiques auxquels on s'adressa refusèrent leur ministère. Jean Aubry, le beau-frère du mourant, dut aller en faire lever un troisième, qui n'arriva que lorsque Molière venait d'expirer. Mais, grâce à la présence des deux sœurs, qui recevaient du comédien une charitable hospitalité, la religion ne fut pas absente en cet instant suprême : elle y fut sinon dans ses ministres officiels, au moins dans ses plus doux et plus pieux représentants. Aussi, ce fait inattendu, impossible à inventer, est-il digne d'attention et ajoute-t-il une grâce (entendez ce mot dans le sens que vous voudrez lui donner) à cette mort.

(1) Voyez ci-après, page 306.

CHAPITRE XVII

OBSÈQUES DE MOLIÈRE
INHUMATION ET SÉPULTURE

SA DESCENDANCE

La Grange, après avoir écrit sur son registre la recette. du vendredi 17 février, 1,219 livres, ajoute : « Ce même jour, après la comédie, sur les dix heures du soir, monsieur de Molière mourut dans sa maison, rue de Richelieu, ayant joué le roosle dudit Malade imaginaire, fort incommodé d'un rhume et fluction sur la poitrine qui luy causoit une grande toux, de sorte que dans les grands efforts qu'il fit pour cracher, il se rompist une veyne dans le corps, et ne vescut pas demye heure ou trois quartz d'heure depuis ladite veyne rompue... >>

La lettre de Robinet, datée du jour suivant, 18 février, traduit assez bien l'émotion causée par cette mort presque soudaine :

Notre vrai Térence françois

Qui vaut mieux que l'autre cent fois,
Molière, cet incomparable,

Et de plus en plus admirable,
Attire aujourd'hui tout Paris
Par le dernier de ses écrits,
Où d'un Malade imaginaire
Il vous dépeint le caratère
Avec les traits si naturels
Qu'on ne peut voir de portraits tels.

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Hier, quittant la comédie,
Il perdit tout soudain la vie.
Seroit-il vrai? » Clion, adieu!
Pour rimer je n'ai plus de feu.
Non, la plume, des doigts, me tombe,
Et sous la douleur je succombe.

A l'extrême chagrin par ce trépas réduit,
Je mis fin à ces vers en février le dix-huit.

Molière expiré, une grave question surgit aussiôt, celle de la sépulture. Le curé de Saint-Eustache refusa de procéder à l'inhumation. Une requête fut présentée à l'archevêque, qui était alors Harlay de Champvalon, requête signée du notaire de la famille, Le Vasseur, et de JeanBaptiste Aubry, époux en secondes noces de Geneviève Béjart et, par conséquent, beau-frère du défunt. Cette requête contient les détails les plus intéressants sur les derniers moments de Molière. Elle a été publiée pour la première fois en 1800, dans « le Conservateur, ou Recueil de morceaux inédits d'histoire tirés des portefeuilles de M. François de Neufchâteau ». C'est un document qu'on ne peut se dispenser de reproduire ici :

A monseigneur l'illustrissime et révérendissime archevéque de Paris.

Supplie humblement Élisabeth-Claire-Grasinde Béjart, veufve de feu Jean-Baptiste Pocquelin de Molière, vivant valet de chambre et tapissier du roy, et l'un des comédiens de sa trouppe, et en son absence Jean Aubry, son beau-frère; disant que vendredy dernier, dix-septième du présent mois de febvrier mil six cent soixante-treize, sur les neuf heures du soir, ledict feu

sieur de Molière s'estant trouvé mal de la maladie dont il décéda environ une heure après, il voulut dans le moment témoigner des marques de repentir de ses fautes et mourir en bon chrestien, à l'effet de quoy avecq instances il demanda un prestre pour recevoir les sacremens, et envoya par plusieurs fois son valet et servante à Sainct-Eustache sa paroisse, lesquels s'adressèrent à messieurs Lenfant et Lechat, deux prestres habituez en ladicte paroisse, qui refusèrent plusieurs fois de venir; ce qui obligea le sieur Jean Aubry d'y aller luy-mesme pour en faire venir, et de faict fist lever le nommé Paysant, aussi prestre habitué audict lieu; et comme toutes ces allées et venues tardèrent plus d'une heure et demye, pendant lequel temps ledict feu Molière décéda, et ledict sieur Paysant arriva comme il venoit d'expirer; et comme ledict feu Molière est décédé sans avoir reçu le sacrement de confession dans un temps où il venoit de représenter la comédie, monsieur le curé de Sainct-Eustache fui refuse la sépulture, ce qui oblige la suppliante vous présenter la présente requeste, pour lui estre sur ce pourvu.

Ce considéré, monseigneur, et attendu ce que dessus, et que ledict défunct a demandé auparavant que de mourir un prestre pour estre confessé, qu'il est mort dans le sentiment d'un bon chrestien, ainsy qu'il a témoigné en présence de deux dames religieuses, demeurant en la même maison, d'un gentilhomme nommé M. Couthon, entre les bras de qui il est mort, et de plusieurs autres personnes; et que M. Bernard, prestre habitué en l'église Sainct-Germain, lui a administré les sacremens à Pasque dernier, il vous plaise de grâce spécialle accorder à ladicte suppliante que son dict feu mary soit inhumé et enterré dans ladicte église Sainct-Eustache, sa paroisse, dans les voyes ordinaires et accoutumées, et ladicte suppliante continuera ses prières à Dieu pour vostre prospérité et santé, et ont signé.

Ainsi signé, LE VASSEUR et AUBRY, avecq paraphe.
Et au-dessoubz est escript ce qui suit:

Renvoyé au sieur abbé de Benjamin, nostre official, pour informer des faits contenus en la présente requeste, pour, information à nous rapportée, estre ensuitte ordonné ce que de raison. Faict à Paris, dans nostre palais archyépiscopal, le vingtiesme febvrier mil six cent soixante-treize. Signé : ARCHEVESQUE DE PARIS.

La veuve de Molière ne se contenta pas d'adresser cette supplique au chef du diocèse. Si l'on ajoute foi à une anecdote recueillie par Cizeron-Rival dans les papiers de Brossette, elle alla à Versailles se jeter aux pieds du roi

pour se plaindre de l'injure que l'on faisait à la mémoire de son mari. Cette démarche, disent-ils, n'eut pas un heureux succès; « elle fit fort mal sa cour en disant au roi que si son mari étoit criminel, ses crimes avoient été autorisés par Sa Majesté même. Pour surcroît de malheur, la Molière avoit amené avec elle le curé d'Auteuil pour rendre témoignage des bonnes mœurs du défunt, qui louoit une maison dans ce village. Ce curé, au lieu de parler en faveur de Molière, entreprit mal à propos de se justifier lui-même d'une accusation de jansénisme, dont il croyoit qu'on l'avoit chargé auprès de Sa Majesté. Ce contre-temps acheva de tout gâter: le roi les renvoya brusquement l'un et l'autre, en disant à la Molière que l'affaire dont elle lui parloit dépendoit du ministère de M. l'archevêque. » Soit que, malgré cet accueil défavorable, Louis XIV ait fait parvenir à l'archevêché un ordre d'accorder la sépulture chrétienne, soit que l'autorité ecclésiastique agît d'ellemême, la permission sollicitée fut enfin accordée, toutefois avec bien des restrictions. L'entrée de l'église était refusée au corps, et les obsèques devaient avoir lieu sans aucune solennité religieuse et en dehors des heures régulières. Voici le texte de l'arrêté épiscopal :

Veu ladite requeste, ayant aucunement esgard aux preuves résultantes de l'enqueste faicte par mon ordonnance, nous avons permis, au sieur curé de Sainct-Eustache de donner la sépulture ecclésiastique au corps du défunct Molière dans le cimetière de la paroisse, à condition néantmoins que ce sera sans aucune pompe, et avecq deux prestres seullement et hors des heures du jour, et qu'il ne se fera aucun service solennel pour luy, ny dans ladicte paroisse Saint-Eustache ny ailleurs, mesme dans aucune église des réguliers, et que nostre présente permission sera sans préjudice aux règles du rituel de nostre église, que nous voulons estre observées selon leur forme et teneur. Donné à Paris, ce vingtiesme febvrier mil six cent soixante-treize.

Ainsi signé

ARCHEVESQUE DE PARIS.

Et au-dessoubz :

Par Monseigneur : MORANGE, avecq paraphe.

Collationné en son original en papier, ce faict, rendu par

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