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les notaires au Chastellet de Paris soubzsignez, le vingt-uniesme mars mil six cent soixante-treize.

Signé LE VASSEUR.

Toute cette instance avait pris plus de trois jours. Le quatrième jour, 21 février, vers les neuf heures du soir, le convoi eut lieu. De précieux détails sur cette cérémonie sont contenus dans une relation adressée à M. Boivin, prêtre, docteur en théologie (1) :

‹ Mardi, 21 février, sur les neuf heures du soir, lit-on dans ce récit, l'on a fait le convoi de Jean-Baptiste Poquelin Molière, tapissier valet de chambre du roi, illustre comédien, sans autre pompe, sinon de trois ecclésiastiques; quatre prêtres ont porté le corps dans une bière de bois couverte du poëlle des tapissiers; six enfants bleus portant six cierges dans six chandeliers d'argent; plusieurs laquais portant des flambeaux de cire blanche allumés. Le corps, pris rue de Richelieu, devant l'hôtel de Crussol, a été porté au cimetière de Saint-Joseph et enterré au pied de la croix. Il y avoit grande foule du peuple, et l'on a fait distribution de mille à douze cents livres aux pauvres qui s'y sont trouvés, à chacun cinq sols. Ledit Molière étoit décédé le vendredi au soir, 17 février 1673. M. l'archevêque avoit ordonné qu'il fût enterré sans aucune pompe, et même défendu aux curés et religieux de ce diocèse de faire aucun service pour lui. Néanmoins, on a ordonné quantité de messes pour le défunt. »

Le rassemblement populaire que causèrent ces funérailles inusitées se montra menaçant. Le peuple de Paris était encore, à peu de chose près, le peuple de la Ligue; c'était le même qui jetait des pierres aux protestants se rendant au prêche (2). On craignit qu'il ne troublat ce

(1) Cette relation, sans signature, a été publiée par M, Benjamin Fillon dans les Considérations historiques et artistiques sur les monnaies de France, 1850, in-8°, page 193.

M. B. Fillon en envoya l'autographe à M. Taschereau. Cet autographe figura au Musée Molière, 15-23 mai 1873, et il est inscrit sous le no 5 dans le catalogue de ce musée.

(2) Voyez le Journal du voyage de deux Hollandois à Paris en 16571658, publié par M. P. Faugère; Paris, Duprat, 1862.

restant d'honneurs funèbres marchandés au grand homme. La veuve de Molière, sur les conseils de ceux qui l'entouraient, jeta par les fenêtres une centaine de pistoles à ce peuple amassé, « en le suppliant avec des termes si touchants de donner des prières à son mari, qu'il n'y eut personne de ces gens-là qui ne priât Dieu de tout son

cœur. >>

Le cortège se mit en marche tranquillement, mais silencieusement, les prètres ne chantant point de psaumes comme il était alors de coutume.

Grimarest nous a conservé un trait assez caractérisque des sentiments qui agitaient la foule : « Comme on passoit dans la rue Montmartre, quelqu'un demanda à une femme qui étoit celui qu'on portoit en terre. « Hé! c'est ce Molière», répondit-elle. Une autre femme qui étoit à sa fenêtre et qui l'entendit s'écria : « Comment, malheureuse! « il est bien monsieur pour toi. »

On arriva ainsi au cimetière qui était derrière la chapelle de Saint-Joseph, rue Montmartre. La dépouille mortelle de Molière y fut inhumée.

Telles furent les funérailles du poète. La gloire immense qui à nos yeux l'accompagne au lieu de repos, et qui déjà, du reste, était entrevue par les contemporains, fait tristement ressortir les concessions tardives et restreintes qu'on obtint pour son cercueil. Boileau a traduit cette impression en des vers vibrants que tout le monde sait par cœur (1). Chapelle, qui devait par la suite avoir beaucoup d'imitateurs, jeta une mordante épigramme à ceux dont le mauvais vouloir avait l'air d'une vengeance posthume :

Puisqu'à Paris on dénie
La terre après le trépas

A ceux qui, pendant leur vie,
Ont joué la comédie,

Pourquoi ne jette-t-on pas
Les bigots à la voirie?

Ils sont dans le même cas.

Mlle Molière eut un cri de fierté et d'indignation dont

(1) Voyez ci-après, page 308.

on doit lui tenir compte : « Quoi! l'on refusera la sépulture à un homme qui a mérité des autels (1)! »

« Molière étoit à peine expiré, dit un contemporain, que les épitaphes plurent par tout Paris. » Il s'en fit, en effet, une quantité presque incroyable. Aucune mort, si nous interrogeons notre mémoire, n'en fit naître un pareil nombre, et dans cette multitude de productions spontanées, on aperçoit la variété d'impressions la plus significative. La sympathie, le regret, l'admiration, se traduisirent d'une façon à faire honneur à ceux qui élevèrent la voix en ce moment. Les rimes de Robinet arrivèrent des premières, et, quoiqu'elles ne soient pas meilleures que de coutume, elles nous semblent avoir droit de figurer ici pour leur empressement même. Voici l'épitaphe dont Robinet orna sa lettre du 25 février 1673 :

Dans cet obscur tombeau repose

Ce comique chrétien, ce grand peintre de mœurs,
De qui les âpres vers et la mordante prose
Des défauts de son temps furent les vrais censeurs.

Ci-gît ce rare pantomime

Qui, sous divers habits jouant tous les humains,
S'acquit des uns la haine et des autres l'estime,
Et du jaune métal gagnoit à pleines mains.

Ci-gît ce Mome de la terre

Qui si souvent fit rire et la ville et la cour,
Et qui, dans ses écrits que chèrement on serre,
Va faire après sa mort rire encor chaque jour.

Il ne lui prit jamais envie

D'appeler à son aide aucun des médecins.
Il déclama contre eux presque toute sa vie,
Et néanmoins par eux il finit ses destins (2).

C'est, passant, ce que j'en puis dire,
Sinon que tout autant qu'il fut sur le bon pié
Et travesti jadis à faire chacun rire,

Il l'est sous cette tombe à faire à tous pitié.

(1) Note de Brossette sur l'épître vii de Boileau, reproduite dans l'Iconographie molièresque de Paul Lacroix, page 261.

(2) Il mourut en venant de jouer une comédie intitulée le Malade imaginaire, où il parloit des médecins. (Note de l'auteur.)

La Fontaine, qui, en 1661, s'était si hautement écrié : « C'est mon homme! » fit le huitain suivant :

Sous ce tombeau gisent Plaute et Térence;
Et cependant le seul Molière y gît:
Leurs trois talents ne formoient qu'un esprit,
Dont le bel art réjouissoit la France.
Ils sont parlis, et j'ai peu d'espérance
De les revoir. Malgré tous nos efforts,
Pour un long temps, selon toute apparence,
Térence et Plaute et Molière sont morts.

Le savant Huet, qui était alors sous-précepteur du Dauphin et qui fut plus tard évêque d'Avranches, composa quatre vers latins que Grimarest nous a conservés et traduits :

Plaudebat, Moleri, tibi plenis aula theatris;
Nunc eadem mærens post tua fata gemit.
Si risum nobis movisses parcius olim,

Parcius, heu! lacrymis tingeret ora dolor.

<< Molière, toute la cour, qui t'a toujours honoré de ses applaudissements sur ton théâtre comique, touchée aujourd'hui de ta mort, honore ta mémoire des regrets qui te sont dus toute la France proportionne sa vive douleur au plaisir que tu lui as donné par ta fine et sage plaisanterie. » C'est une faible et làche traduction qui rend à peine le sens des vers de Huet.

Plus d'un sentiment de regret se fit jour jusque dans les rangs du clergé. Le Père Bouhours, notamment, composa en l'honneur de Molière des vers qui méritent d'être cités :

Ornement du théâtre, incomparable acteur,
Charmant poète, illustre auteur,
C'est toi dont les plaisanteries

Ont guéri des marquis l'esprit extravagant;
C'est toi qui par tes momeries

As réprimé l'orgueil du bourgeois arrogant.

Ta muse en jouant l'Hypocrite,
A redressé les faux dévots;
La précieuse à tes bons mots
A reconnu son faux mérite;

L'homme ennemi du genre humain,
Le campagnard, qui tout admire,
N'ont pas lu tes écrits en vain :

Tous deux se sont instruits, en ne pensant qu'à rire.
En vain tu réformas et la ville et la cour;

Mais quelle en fut ta récompense?
Les François rougiront un jour
De leur peu de reconnoissance.
Il leur falloit un comédien

Qui mît à les polir son art et son étude;
Mais, Molière, à ta gloire il ne manqueroit rien
Si, parmi leurs défauts que tu peignis si bien,
Tu les avois repris de leur ingratitude.

Voilà des interprètes du sentiment public, qui, à des titres divers, méritaient d'être entendus. N'omettons pas le vieux poète Chapelain, qui, oubliant qu'il parlait de l'ami de Despréaux, écrivait à un savant professeur de Padoue qui venait d'être malade d'une affection de poitrine Notre Molière, le Térence et le Plaute de notre siècle, en est péri au milieu de sa dernière action. » N'omettons même pas de mentionner le pauvre Dassoucy, qui ne marchanda pas ses regrets à celui dont il croyait pourtant avoir eu à se plaindre, et qui composa, dès 1673, l'Ombre de Molière et son épitaphe.

Un inconnu, peut-être un rival, se souvint en ce moment de la première passion du défunt pour la tragédie et fit ce dizain, qui n'est bienveillant qu'à demi :

Ci-gîst dessous ce monument

Le corps de l'illustre Molière,
Qui de malade imaginaire
Le devint véritablement.
Et comme la fin de la vie

Se rapporte au commencement,
Ce pauvre acteur en ce moment

Pour achever la comédie
Voulut faire son testament
Et finir par la tragédie (1).

D'autre part, les ressentiments et les haines n'eurent

(1) Bibl. nat. Portefeuille Vallant, 13. F. Fr. 17,056.

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