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nous dispensons de reproduire ici, il ajoute : « Vous, monsieur Molière, qui fîtes à Béziers le premier couplet de cette chanson, oseriez-vous bien dire comme elle fut exécutée et l'honneur que votre muse et la mienne reçurent en cette rencontre ?... >>

Mais Dassoucy ne se trompe-t-il pas ? N'est-ce pas Montpellier qu'il veut dire, et ne s'agit-il pas de l'hiver de l'année précédente, qu'il passa, en effet, avec Molière? Il avait des raisons pour ne pas se rappeler très volontiers ce nom de Montpellier. Peu importe, du reste, que le musicien errant ait ou non redoublé sa visite.

Il n'est pas probable que la troupe soit restée cette fois à Béziers pendant toute la durée des États, d'autant que ceux-ci se prolongèrent jusqu'au mois de juin.

A la date du 12 avril 1657, Madeleine Béjart est probablement à Nîmes, où une commission est donnée « par Pierre Le Blanc, juge pour le roi en la cour de Nîmes », le 12 avril 1657, à l'effet de poursuivre le remboursement de l'obligation de 3,200 livres souscrite par Antoine Baratier, à Montélimar, le 18 février 1655. Molière accompagnait-il Madeleine? La troupe était-elle avec ses deux principaux directeurs? La question ne peut-être décidée. La troupe était à Lyon un mois après. Le prince de Conti, sur qui l'évêque d'Alet, Pavillon, et d'autres prélats jansénistes, exerçaient de plus en plus d'influence, écrivait de Lyon à l'abbé Ciron, à la date du 15 mai 1657: « Il y a des comédiens ici qui portoient autrefois mon nom je leur ai fait dire de le quitter, et vous pensez bien que je n'ai eu garde de les aller voir... >>

Quelques jours après, le 16 juin, la troupe est à Dijon ; elle est encore connue, malgré la défense du prince, sous le nom de comédiens de M. le prince de Conti. C'est ainsi du moins qu'elle est désignée dans la permission qui lui est accordée de donner des représentations au tripot de la Poissonnerie. Mais on peut être persuadé qu'elle n'affichait plus sous ce titre, car le frère du grand Condé n'était pas d'un caractère commode, surtout depuis sa conversion. On peut rappeler ici ce que Racine écrivait d'Uzès à M. Vitard, le 25 juillet 1662: « M. le prince de Conti est à trois lieues de cette ville et se fait furieuse

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ment craindre dans la province. Il fait rechercher les vieux crimes, qui y sont en fort grand nombre. Il a fait emprisonner bon nombre de gentilshommes et en a écarté beaucoup d'autres. Une troupe de comédiens s'étoit venue établir dans une petite ville proche d'ici : il les a chassés, et ils ont passé le Rhône, pour se retirer en Provence. On dit qu'il n'y a que des missionnaires et des archers à sa queue. Les gens de Languedoc ne sont pas accoutumés à une telle réforme; mais il faut pourtant plier. »

Les magistrats de Dijon accordent à Molière la permission d'ouvrir son théâtre, à charge de verser 90 livres pour les pauvres de l'hôpital, et de ne prendre que 20 sous pour les pièces nouvelles et 10 sous pour les anciennes. Le tripotier, qui louait les sièges, ne devait pas exiger plus de 2 sous pour chaque chaise, à peine de 50 livres d'amende. « C'étaient à peu près, dit M. H. Chardon (1), les mêmes conditions que pour les autres troupes, sauf que la somme à verser aux pauvres était un peu plus élevée. »

Vers la fin de l'année, les comédiens redescendirent dans le Midi. En novembre ou décembre, ils étaient à Avignon, où Molière rencontra le peintre Mignard, qui revenait d'Italie, et se lia avec lui d'une durable amitié. C'est l'abbé Monville, l'exact biographe de Mignard, qui constate cette rencontre, et l'on peut s'en rapporter à son témoignage.

Notez de plus que la session des états du Languedoc avait commencé à Pézenas le 8 octobre, et qu'elle finit le 24 février 1658. On ne sait si Molière y alla, mais ces réunions attiraient presque invinciblement nos comédiens, et il serait étonnant qu'ils n'y eussent pas fait quelque apparition.

Les administrateurs de l'Aumône générale de Lyon accordèrent, le 6 janvier, un secours de 18 livres tournois à une demoiselle Vérand, veuve d'un contrôleur de la douane, recommandée par Mlle Béjarre (Béjart), comédienne.

La troupe passa le carnaval à Grenoble. C'est la notice de l'édition de 1682 qui le dit expressément. Elle eut là

(1) La troupe du Roman comique dévoilée, p. 72.

les mêmes difficultés qu'elle aurait rencontrées à Vienne, en 1654, d'après M. Brouchoud. Comptant peut-être un peu trop sur sa notoriété et l'influence qu'elle s'était acquise, elle aurait négligé de demander la permission de rigueur. M. Eud. Soulié a extrait, en effet, du registre des délibérations de l'hôtel de ville, le texte suivant :

« Du 2 febr 1658. Il a esté tenu conseil ordinaire dans l'Hostel de Ville où estoient présens messieurs les quatre consulz, et il a esté proposé par M. le premier consul, touchant l'incivilité des comédiens qui ont affiché sans avoir leur décret d'approbation; il a esté opiné et puis conclu que les affiches seront levées et à eux deffendu de faire aucune comédie jusqu'à ce qu'ils ayent satisfaict à la permission qui leur doib estre donnée par mesd. sieurs les consulz et du conseil > (1).

Ce petit conflit n'eut d'ailleurs pas de suite.

Cependant les amis de Molière, disent les rédacteurs de la Préface de 1682, lui conseillaient de se rapprocher de Paris. Dans les premiers jours d'avril, la troupe, traversant toute la France, vint s'établir à Rouen. Leur séjour assez long dans cette ville a laissé quelques vestiges qui ont été soigneusement recueillis.

Une lettre de Thomas Corneille à l'abbé de Pure, datée du 19 mai 1658, contient le passage suivant, ainsi imprimé dans les premières éditions de cette lettre : « Le mariage de Mlle Le Ravon, si précipité, est une aventure surprenante... Elle s'est lassée du veuvage. Nous attendons ici (à Rouen) les deux beautés que vous croyez devoir disputer cet hiver d'éclat avec la sienne. Au moins ai-je remarqué en Mile Réjac grande envie de jouer à Paris, et je ne doute point qu'au sortir d'ici, cette troupe n'y aille passer le reste de l'année. »

M. Bouquet a rétabli (2) avec toute vraisemblance les noms altérés dans cette lettre, soit que Thomas se soit plu à déguiser ces noms d'actrices, soit qu'il y ait tout

(1) Archives des Missions scientifiques, 2o série, tome Ier, p. 385.

(2) Dans son opuscule: La troupe de Molière et les deux Corneille à Rouen, en 1658. Paris, A. Claudin, 1880. M. P. Mesnard a constaté que l'autographe qui est à la Bibliothèque nationale porte bien exactement Mile Le Baron et Mile Beiar.

simplement mauvaise lecture des imprimeurs. Au lieu de Mile Le Ravon, il lit: Mlle Le Baron, c'est la veuve de l'acteur André Baron, mort en 1655; elle n'appartenait point à la troupe de Molière. Au lieu de Mlle Réjac, il lit: Mile Béjar ou Béjart. Les deux beautés qui devaient disputer d'éclat avec Mlle Le Baron étaient Miles Debrie et Duparc, dont on attendait l'arrivée. Cette conjecture est très plausible, tous ces acteurs s'étant sans doute arrêtés plus ou moins longtemps à Paris en y passant. Nous avons par la lettre de Thomas Corneille la date approximative de l'installation de la troupe à Rouen.

En cette année 1658, deux représentations furent données au profit des pauvres de l'Hôtel-Dieu de Rouen : l'une le 20 juin, qui produisit 77 livres 4 sols et 7 deniers; l'autre le 21 août, qui produisit 44 livres 15 sols.

Ces représentations avaient-elles été données par la troupe de Molière? C'est probable, au moins pour l'une d'elles, puisque c'était l'usage. Les registres constatent que la première recette est provenue d'une comédie représentée par les comédiens de Son Altesse. M. F. Bouquet croit que cette Altesse serait Henri II d'Orléans, duc de Longueville, gouverneur de Normandie, qui avait épousé Anne-Geneviève de Bourbon, sœur du grand Condé et du prince de Conti, la fameuse duchesse de Longueville, mais alors bien changée et devenue janséniste comme son frère Conti. La troupe de Molière aurait donc eu un quatrième patronage avant d'obtenir celui de Monsieur, frère du Roi? Nous croyons que la preuve n'en est pas encore bien faite, et qu'on peut conserver quelques doutes. Il s'agit peut-être d'une autre troupe. Ou peutêtre n'était-ce là qu'un souvenir timide de la protection du prince de Conti.

Le 12 juillet, Madeleine Béjart, logée au jeu de paume des Braques, à Rouen, par un acte passé devant Me Abraham Moisson et Claude Gruchet, prend la fin du bail du jeu de paume des Marais, à Paris, pour dix-huit mois, du 1er octobre 1658 au 1er avril 1660. La fin du bail était cédée par messire Louis Redhon de Talhouet, chevalier, lequel le tenait de Marie Troche, veuve de feu Étienne Hubert, et de Michel Mesuel, maître paumier, coproprié

taires dudit jeu de paume, lequel servait déjà aux représentations théâtrales, puisque les loges, décorations de théâtre, chandeliers de cristal, font partie du marché. Cette location a lieu moyennant la somme de trois mille livres par chacun an, << payable aux quatre termes de l'an à Paris accoustumés ». Pour l'accomplissement et entretien dudit acte, Madeleine Béjart élit domicile en la maison de monsieur Poquelin, tapissier, valet de chambre du roi, demeurant sous les Halles, paroisse de SaintEustache. C'est le père de Molière. Il ne devait pas être donné suite à cet engagement, mais l'élection de domicile que fait Madeleine en la maison de Jean Poquelin témoigne bien que les ressentiments de celui-ci étaient totalement dissipés.

Marquise-Thérèse de Gorla, autrement dit Mlle Duparc, que nous avons vue épouser à Lyon, en 1653, René Berthelot dit Duparc, obtint à Rouen un brillant succès, succès de beauté autant que de talent. Les deux Corneille s'éprirent d'elle. Le grand Corneille, qui déjà avait passé la cinquantaine, la combla de vers, et de beaux vers. On trouve dans ses Poésies diverses plusieurs pièces à elle adressées sous le nom de Marquise (son vrai nom) ou d'Iris sonnets, chansons, stances. Tout le monde a dans la mémoire les belles stances souvent citées :

Marquise, si mon visage

A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge

Vous ne vaudrez guère mieux, etc.

Thomas marcha sur les brisées de son frère. Il composa pour elle l'élégie :

Iris, je vais parler, c'est trop de violence...

Et Pierre, dans la pièce sur le départ de l'actrice, disait à celle-ci :

J'en ai (des rivaux), vous le savez que je ne puis haïr,

faisant allusion à la compétition fraternelle. Tout cela, d'une assez grande innocence, à ce qu'il semble, se passait

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