Attitude des dans des L'Europe, pressentant d'instinct que quelque chose de considérable allait sortir de ce conflit, s'était mêlée, dès le début, Puissances à la question des Lieux Saints. L'Espagne, le Piémont et Na- Européennes ples avaient agi à Constantinople dans le sens des réclamations la question de la France; la Belgique s'était prononcée dans le même es- Lieux Saints. prit sur certains des points en litige; l'Autriche soutenait les Latins en vertu de ses propres traités. Quant à l'Angleterre, elle s'alarmait à bon droit des développements que menaçait de prendre le débat, mais par position et par prudence, elle restait neutre. C'est même par suite de cette attitude, que le Gouvernement Britannique intervint, à la fin de l'année 1852, entre la Russie et la France pour amener un arrangement. de la France. Le Gouvernement Français se montra tout d'abord animé Modération des intentions les plus pacifiques. M. Drouyn de Lhuys accueillit loyalement, comme une satisfaction suffisante, la déclaration faite par le Gouvernement Ottoman que la Porte n'avait pas l'intention d'affaiblir soit les droits résultant du traité de 1740, soit les promesses faites à la France Plus tard il consentit à régler directement avec la Russie cette regrettable discussion; il disait à M. de Kisselef « que le Gouvernement Français ne voulait pas pousser son droit à l'extrême, et que si la Russie voulait se réunir à lui dans le même esprit de conciliation, il ne voyait pas de raison pour que l'affaire ne s'arrangeât pas amicalement entre eux. >> de la Russic. Mais cette modération ne pouvait être partagée par la Rus- Résistance sie, dont une transaction aurait dérangé tous les plans. Aux ouvertures de l'Angleterre, M. de Nesselrode répondit « qu'il ne voyait aucun terme moyen, et que l'on avait raison d'être inquiet, parce que c'était là une très-mauvaise affaire. >> Comme corollaire significatif de ces graves paroles, un Préparatifs immense mouvement de troupes commença de tous les côtés de l'Empire Russe vers les frontières Ottomanes. L'armée, qui recut ordre de s'avancer sur les Provinces Danubiennes, et militaires. du Prince qui était dès longtemps préparée, comprenait près de 150,000 hommes. « Le mal est fait, disait M. de Nesselrode dans une dépêche du 14 janvier 1853, communiquée au Cabinet Anglais; ce n'est plus de le prévenir qu'il s'agit : il faut maintenant y porter remède. Les immunités du rit orthodoxe lésées... exigent une réparation quelconque. » Quelle était cette réparation? C'est ce que la fameuse ambassade du Prince Menschikoff va nous faire connaître. Ambassade Lorsque le Prince Menschikoff fut envoyé à ConstantinoMenschikoff. ple, la question des Lieux Saints était résolue en principe depuis le 28 janvier précédent. Ce fait résulte de tous les actes diplomatiques connus. M. de Lavalette, au nom du Gouvernement Français, s'était contenté des plus insignifiantes concessions; il avait même renoncé, par esprit de modération, à des priviléges séculaires de l'Église Latine. M. D'Ozerof, ministre de Russie, s'était montré satisfait de l'arrangement convenu, et le colonel Rose, chargé d'affaires de l'Angleterre, écrivait à son Gouvernement, le 28 janvier, que « cette périlleuse question des Lieux Saints était enfin terminée. »> Aussi est-ce sur un autre terrain que la Russie plaça le débat par l'organe de son envoyé. Nous ne mentionnerons point ici les incidents considérables qui accompagnèrent cette mission et lui donnèrent aux yeux de l'Europe un caractère inquiétant, ni l'appareil extraordinaire avec lequel le Prince Menschikoff arriva à Constantinople, ni le dédain qu'il affecta envers les principaux fonctionnaires de la Turquie, ni les mouvements de troupes qui continuaient à s'opérer dans la Bessarabie, ni les assurances évasives qu'il ne cessa de prodiguer aux représentants des Puissances Européennes pour détourner ou endormir leur attention. Son but véritable se révéla dans la double entrevue qu'il eut le 17 et le 22 mars 1853, avec Rifaat-Pacha, devenu ministre des affaires étrangères. de la Russie La Russie proposait à la Porte de conclure ensemble un Propositions traité secret par lequel le Czar mettrait, en cas de besoin, à la Po.te. une armée de 400,000 hommes et une flotte à la disposition du Sultan. Elle demandait que l'Église Grecque fût placée purement et simplement sous la protection Russe. Mais surtout elle exigeait que le plus profond secret fût gardé par le Gouvernement Turc sur cette proposition, menaçant de rompre les relations diplomatiques si elle était communiquée à la France et à l'Angleterre. C'était, comme le disait Rifaat-Pacha dans une note remise au Prince Menschikoff, effacer complétement le principe de l'indépendance de la Turquie. La question s'élevait donc et devenait une question de vie ou de mort pour l'Empire Ottoman. Refus de la Porte. Règlement des La Porte résista avec fermeté. Sur les conseils de l'Angleterre, elle sépara soigneusement la question des Lieux Saints des nouvelles exigences de la Russie. La modération de la France de la question fit le reste. L'ambassadeur Français, M. de Lacour, et le Lieux Saints, Prince Menschikoff mis en présence, convinrent définitivement d'une transaction relative aux Lieux Saints et que deux Firmans sanctionnèrent le 4 mai. Tout prétexte était donc enlevé à la Russie; mais le jour lui semblait venu, elle ne voulut pas reculer. Cependant, en voyant la résolution de la Porte, le Prince Menschikoff renonce au projet de traité secret, mais demande, sous forme de sened, un acte positif et obligatoire de garanties. Enfin, le 5 mai, il présente une nouvelle formule de sened, réclamant une réponse péremptoire pour le 10 mai. La réponse fut un refus. Le Gouvernement du Sultan ne pouvait se suicider. Le Prince Menschikoff quitta Constantinople, avec toute sa Légation, le 21 mai. Rupture entre la Russie Un ultimatum menaçant de la Chancellerie Russe, signé du et la Turquie. Comte de Nesselrode, suivit ce départ; un mois à peine après Confidences de l'Empereur cet ultimatum, les armées Russes franchissaient le Pruth et envahissaient le territoire de la Turquie. Avant de poursuivre le récit des événements, il faut rapNicolas porter un fait presque contemporain de la mission du Prince à Sir Hamilton Menschikoff, et qui a éclairé d'un jour éclatant les véritables Seymour. desseins de la Russie. Nous voulons parler des confidences faites par le Czar Nicolas à Sir Hamilton Seymour, ambassadeur de la Grande-Bretagne à Saint-Pétersbourg. Déjà, lors du voyage de l'Empereur Nicolas à Londres en 1844, il avait été question de la Turquie et de son avenir. Des ouvertures significatives avaient été faites à ce sujet au Gouvernement Anglais; leur résultat a été consigné dans un memorandum désormais fameux, rédigé par le Comte de Nesselrode à la suite du voyage de l'Empereur. La Russie s'était efforcée, en cette occasion, de solidariser à sa politique celle de l'Angleterre ; le memorandum établissait une action commune pour maintenir, s'il était possible, l'existence de l'Empire Ottoman, mais il ajoutait « qu'on ne saurait se dissimuler combien cet Empire renferme d'éléments de dissolution; que des circonstances imprévues pouvaient hâter sa chute sans qu'il fût au pouvoir des Cabinets amis de la prévenir; et que le danger qui pourrait résulter d'une catastrophe en Turquie serait diminué de beaucoup si, le cas échéant, la Russie et l'Angleterre s'entendaient sur la marche qu'elles auraient à adopter en commun. » On affirmait être en parfaite conformité de vues avec l'Autriche; quant à la France, « elle se trouverait dans la nécessité de se conformer à la marche concertée entre Saint-Pétersbourg, Londres et Vienne. >> Le 9 janvier 1853, le Czar Nicolas fit de nouvelles et décisives ouvertures à l'ambassadeur d'Angleterre, Sir Hamilton Seymour, et il les compléta dans deux entrevues ultérieures. A entendre l'Empereur, « la Turquie était un malade qui se mourait; d'un moment à l'autre il pouvait rester entre les bras des Puissances; il importait que cette catastrophe ne les prit pas au dépourvu. » Le Czar Nicolas allait, dans ces prévisions, jusqu'à partager à l'avance l'héritage du prétendu moribond. « Je suis disposé à prendre l'engagement de ne pas m'établir à Constantinople, disait-il à Lord Seymour, en propriétaire s'entend, car EN DÉPOSITAIRE, je ne dis pas. » « Les Principautés, ajoutait-il, sont de fait un État indépendant sous ma protection; c'est une situation qui peut continuer. La Servie peut recevoir la même forme de gouvernement et la Bulgarie aussi... Pour ce qui est de l'Égypte, je comprends l'importance de ce territoire pour l'Angleterre. Aussi tout ce que je puis dire, c'est que si, dans le cas d'un partage de l'Empire Ottoman, après sa chute, vous preniez possession de l'Égypte, je n'aurais pas d'objection à faire. J'en dirai autant de Candie. » Le 21 février, M. de Nesselrode résumait ces divers points de vue dans un memorandum où naturellement ils ont une nuance affaiblie, mais où néanmoins toute la politique de la Russie se laisse pénétrer aisément. Ces confidences caractéristiques, rapprochées de la mission. du Prince Menschikoff, prouvent surabondamment que les Lieux Saints n'avaient été qu'un prétexte, et que la Russie était résolue à renverser enfin un Empire dont elle rêvait depuis longtemps la possession. de la France. Envoi à Salamine. La France ignorait les communications secrètes faites par Résolution l'Empereur de Russie au Gouvernement Britannique. Ce sera dès lors l'éternel honneur du Gouvernement de l'Empereur de l'escadre Napoléon III d'avoir deviné que les manifestations de la Russie cachaient d'autres projets que ceux qu'elle avouait publiquement, et qu'au fond il s'agissait de l'existence même de l'Empire Ottoman et, avec elle, de la liberté et du salut de l'Europe. Une initiative hardie et une énergique attitude secondèrent cette perspicacité. Le 22 mars, l'escadre de la Méditerranée faisait voile pour Salamine. Ceux qui reliront les instructions transmises le même jour |