en une seule bataille; peut-être aussi aurait-on pu marcher rapidement sur Sébastopol, couper les communications entre cette place et les forces déroutées du prince Menschikoff, et attaquer la forteresse du côté par lequel elle recevait des approvisionnements et des renforts. Mais diverses causes, parmi lesquelles il faut bien signaler les vices d'organisation de l'armée Anglaise, retardèrent ce mouvement offensif; ces inévitables lenteurs contraignirent même à changer le plan de campagne. de Balaklava. Le 23 septembre, les alliés passèrent la Katcha et arrivè- Occupation rent sur le Belbeck; mais là, au lieu de se diriger en droite ligne sur Sébastopol, ils firent un détour qui les conduisit à Balaklava, un petit port situé au sud de la place, où les escadres avaient un mouillage excellent, et qui devint le centre des opérations ultérieures. Cette petite ville tomba rapidement au pouvoir de l'armée Anglo-Française, qui, dès le 28 septembre, y était solidement établie. Mort du maréchal Le jour où Balaklava fut occupé, le maréchal Saint-Arnaud, vaincu par la maladie, fut obligé de s'embarquer pour la France, Saint-Arnaud. laissant le commandement au général Canrobert. Mais il ne devait plus revoir les rivages de la patrie dont il venait d'illustrer le drapeau par la victoire de l'Alma, et à la gloire de laquelle il avait consacré ses derniers efforts et ses forces épuisées par de longues fatigues. Il mourut en mer, à bord du Berthollet, qui le ramenait en France, enseveli dans son triomphe. Siége de L'armée Anglo-Française se trouvait sous les murs de Sébastopol; elle allait commencer ce siége mémorable, le plus long, Sébastopol. le plus laborieux, le plus admirable que l'histoire ait enregistré dans ses fastes. Il nous est impossible de suivre dans toutes ses phases le progrès des travaux surhumains que nos valeureux soldats ont eus à accomplir, de dire tous les obstacles qu'ils ont dû vaincre. Bornons-nous à quelques faits dominants, qui devaient d'ailleurs exercer une influence sérieuse sur les dé Bataille veloppements simultanés de la politique des Puissances Européennes. Sébastopol avait été puissamment fortifiée; il fut manifeste pour les généraux alliés que cette ville formidable était à l'abri d'un coup de main. Il fallut procéder dans les conditions patientes et difficiles d'un siége régulier. Le 10 octobre, la tranchée fut ouverte ; le 17, le bombardement eut lieu par terre et par mer. Divers accidents le rendirent infructueux, et d'un autre côté, les escadres ne purent pas, ainsi qu'on avait résolu de le tenter, forcer les passes du port de Sébastopol. Les amiraux Russes avaient en effet coulé bas leurs propres vaisseaux à l'entrée du port, qui devenait ainsi complétement inaccessible. Le siége dut continuer avec ses inévitables lenteurs. De violentes sorties opérées par les Russes avec une vigueur de Balaklava. et un courage inouïs et toujours repoussées avec bonheur, entravaient à chaque instant le progrès des travaux, tandis que d'énergiques diversions faites sur les flancs de l'armée assiégeante, obligeaient nos soldats à tenir tête à l'ennemi de tous les côtés à la fois. Le 25 octobre, le général Russe Liprandi, à la tête d'un corps de troupes considérable, se jeta sur Balaklava, où se trouvaient nos magasins, et dont les hauteurs n'étaient défendues que par quelques redoutes turques. Cette entreprise hardie vint se briser contre la magnifique résistance des highlanders; les attaquants ne purent surtout résister à une charge fougueuse dans laquelle les chasseurs d'Afrique eurent le bonheur de dégager une brigade de cavalerie Anglaise lancée par une folie héroïque au milieu même de l'ennemi. Le lendemain, le combat recommença, mais l'issue n'en fut pas longtemps douteuse, les Russes furent mis en déroute complète. Mais nos intrépides adversaires ne se laissaient pas décourager. Chaque nuit, ils réparaient les dégâts causés par nos batteries, ils élevaient de gigantesques ouvrages, ils apportaient à la défense de Sébastopol une énergie, une habileté, une puis sance de moyens qui font le plus grand honneur au génie Russe, et qui nous ont coûté une année entière de douloureux efforts. Le 5 novembre, ils renouvelèrent contre le flanc droit de l'armée alliée l'attaque infructueuse du 26 octobre. Dès le matin, et à la faveur d'un épais brouillard, 60,000 Russes, excités par la présence des Grands-Ducs Nicolas et Michel, se précipitent, par la vallée d'Inkerman, sur les positions Anglaises. 6,000 hommes à peine défendaient ces positions; cependant ils parviennent à arrêter l'ennemi et, pendant deux heures d'une lutte acharnée, ils donnent le temps à la division Française du général Bosquet d'arriver sur le champ de bataille. Le combat devint alors une affreuse mêlée, un épouvantable carnage. Les zouaves, les tirailleurs algériens, les chasseurs à pied, le 6o de ligne et le 7o léger, se jettent, comme un torrent, sur les bataillons russes, les chargeant à la baïonnette, les renversant, les foulant aux pieds, marchant sur des monceaux de cadavres entassés dans l'étroite vallée d'Inkerman. L'ennemi ne put tenir contre cette impétuosité qui défiait tous les calculs de la stratégie; il repassa la Tchernaïa en désordre. L'attaque d'Inkerman se combinait avec une audacieuse sortie des assiégés; là encore le succès resta à nos armes. L'ennemi fut ramené dans les murs la baïonnette aux reins, avec tant d'élan que nos soldats pénétrèrent avec les fuyards jusque sous les portes de la ville. Par malheur, le brave général de Lourmel qui les commandait fut mortellement, blessé aux portes mêmes de Sébastopol; il fallut rentrer dans les tranchées. La triple victoire de l'Alma, de Balaklava et d'Inkerman démontra que les Russes étaient impuissants à nous vaincre en bataille rangée; cette preuve de la supériorité de nos armes donna à l'armée alliée une grande confiance dans sa valeur, une inébranlable constance dans les épreuves qu'elle eut à subir; mais surtout elle produisit une profonde sensation en Europe, parce qu'on acquit dès lors la conviction que le triom Bataille d'Inkerman. Approches de l'hiver. Opérations dans la mer Blanche et dans l'océan Pacifique. phe définitif des Puissances occidentales n'était plus qu'une question de temps. Cependant l'hiver arrivait et devait nécessairement ralentir et peut-être suspendre les travaux du siége, l'hiver sur lequel les Russes semblaient compter désormais comme sur leur plus utile auxiliaire, et qui reportait involontairement la pensée vers les désastres de 1812. Mais la merveilleuse organisation de notre armée devait déjouer ces prévisions sinistres. D'ailleurs, nous possédions en toute liberté la mer, par où le ravitaillement des camps alliés était facile, et où la puissance de la vapeur, inconnue aux premières années de ce siècle, défiait les vents et les flots contraires. Les progrès du génie moderne se manifestaient avec éclat dans l'établissement de nos troupes en Crimée. Des villes s'étaient élevées comme par enchantement autour de nos camps. Kamiesch, Balaklava, pleines de marchands Européens, ressemblaient à des cités occidentales. Un chemin de fer avait été construit entre ces ports et les positions assiégeantes de façon à créer entre eux des communications faciles et sûres. L'hiver pouvait être rude, il nous trouvait préparés contre ses atteintes. Les approvisionnements étaient abondants, de chauds vêtements étaient destinés aux soldats. Toutefois, on ne put éviter complétement les fatales influences d'un climat auquel les troupes alliées n'étaient pas habituées; il y eut de grandes souffrances, de grands malheurs à déplorer. Les Anglais, moins façonnés que nous à la vie des camps, furent les plus cruellement éprouvés; mais la constance du soldat devait triompher de l'inclémence des saisons comme de la résistance des ennemis. Les opérations militaires contre la Russie s'étaient étendues en même temps dans la mer Blanche et dans l'océan Pacifique. Partout le pavillon Moscovite s'enfuit et disparut devant nos escadres. Dans la mer Blanche, un blocus rigoureux anéantit le commerce ennemi; le monastère de Sarlovitzki et la ville de Kola, capitale de la Laponie Russe, furent détruits par une escadrille Anglaise. Dans l'océan Pacifique, une division navale, sous les ordres du contre-amiral Febvrier-Despointes et du commodore Price, se dirigea vers la Kamschatka et attaqua le 28 août la ville de Pétropaulowski, devant laquelle elle captura deux frégates Russes. L'attaque ne réussit d'abord qu'à demi, mais peu de mois après Pétropaulowski, définitivement vaincue, devait tomber au pouvoir des alliés. Reprise des Telle était la situation militaire lorsque l'approche de l'hiver, en rendant les hostilités moins actives, vint donner une nou- négociations. velle impulsion aux efforts de la diplomatie et remettre en discussion les combinaisons pacifiques des négociateurs. Nous avons dit quelle avait été l'attitude des Puissances intéressées après l'échange des notes du 8 août entre l'Autriche, la France et l'Angleterre. On se souvient que la Prusse et l'Allemagne, tout en reconnaissant que les conditions contenues en ces notes étaient propres à asseoir la paix sur des bases solides, n'avaient consenti à s'approprier que les deux premières, qui concernaient plus particulièrement les intérêts Germaniques. On se rappelle aussi que l'Autriche avait laissé entrevoir aux Cabinets de Paris et de Londres la possibilité d'une alliance plus étroite. C'est dans cette situation que les événements émouvants du siége de Sébastopol trouvèrent les grands États de l'Europe. La politique de l'Autriche avait surtout pour but, ainsi que nous l'avons exposé, de ne s'engager qu'à la condition de sc sentir assurée du concours de l'Allemagne et de faire entrer la Prusse dans sa sphère d'action. Le 25 novembre, peu de jours après cette bataille d'Inkerman qui prouvait si évidemment à l'Europe la force des armes occidentales, le Cabinet de Berlin signa un acte additionnel au traité du 20 avril, par lequel la Prusse s'engageait à défendre l'Autriche dans le cas où cette Puissance serait attaquée par la Russie. Acte additionnel du 25 novembre. |