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Traité du 2 décembre entre

la France

et

l'Angleterre.

Cette hypothèse était, il est vrai, improbable. Il était évident que la Russie éviterait avec soin toutes les occasions qui pourraient amener un conflit entre elle et l'Autriche. Mais, quelque peu important qu'il fût dans l'ordre des faits, l'acte du 25 novembre l'était à coup sûr dans l'ordre diplomatique ; il liait davantage le Cabinet de Berlin à la politique Autrichienne, et il permettait à la Cour de Vienne de s'engager de plus en plus dans le sens de la politique occidentale sans craindre de voir la Prusse se déclarer contre elle. L'acte du 25 novembre était tout au moins un engagement de neutralité de la part de la seconde grande Puissance Germanique, et c'était même, dans un cas donné, un engagement de concours.

L'Autriche s'empressa de mettre à profit cette nouvelle situation pour reprendre le projet de traité à trois, avec l'Angleterre et la France, dont nous avons parlé précédemment. Elle soumit dans ce but aux Cours de Paris et de Londres un projet qui n'obtint pas leur adhésion, mais auquel le Cabinet des Tuileries en substitua un autre qui fut enfin accepté par toutes les parties.

C'est le 2 décembre, date commémorative de l'avénement au trône de l'Empereur Napoléon III et de l'Empereur François-Joseph, que fut signé le pacte d'alliance entre les trois Etats.

Le préambule de cet acte considérable constatait que rien. n'était plus propre à rétablir la paix générale sur des bases solides que « l'union complète des efforts des Puissances signataires jusqu'à l'entière réalisation du but commun. »

Ce but commun était défini par l'article 1er, qui, rappelant les déclarations contenues dans les notes du 8 août et réservant aux Parties contractantes le droit de proposer, selon les circonstances, les conditions qu'elles jugeraient nécessaires dans un intérêt Européen, les obligeait à n'entrer dans aucun arrangement avec la Cour de Russie avant d'en avoir délibéré en

commun.

Par l'article 2, l'Autriche s'engageait à défendre les Principautés Danubiennes contre toute agression de la part des Russes, sous la condition toutefois de ne pouvoir gêner le libre mouvement des troupes Anglo-Françaises ou Ottomanes, sur ces mêmes territoires, contre les forces militaires ou le territoire de la Russie.

L'article 3 prévoyait le cas où les hostilités éclateraient entre l'Autriche et la Russie, et, dans ce cas, les Puissances contractantes stipulaient une alliance offensive et défensive, s'engageant en outre, par l'article 4, à n'accueillir aucune proposition ni ouverture tendant à la cessation des hostilités, sans s'être entendues entre elles.

L'article 5 déclarait que, si le rétablissement de la paix sur les bases indiquées en l'article 1er n'était point assuré avant le 1er janvier 1855, les Parties contractantes délibéreraient sans retard sur les moyens efficaces pour obtenir l'objet de leur alliance.

Enfin l'article 6 stipulait que le traité serait porté collectivement à la connaissance de la Prusse, et que les Puissances recevraient avec empressement son adhésion du moment où elle engagerait sa coopération à l'accomplissement de l'œuvre

commune.

Les conséquences matérielles de ce traité, surtout en ce qui concerne le concours armé de l'Autriche, ne devaient pas être immédiates; elles étaient même soumises à des conditions élastiques et assez vaguement définies. La délibération en commun prévue par l'article 5 pouvait aboutir à l'action, mais elle pouvait aussi n'aboutir qu'à l'inertie. L'alliance offensive et défensive stipulée par l'article 3 reposait sur une éventualité de déclaration de guerre entre la Russie et l'Autriche, presque entièrement invraisemblable. Mais, tel qu'il était, le traité du 2 décembre n'en faisait pas moins faire un pas considérable à la politique occidentale. L'Autriche devenait formellement l'alliée de la France et de l'Angleterre, et il était visible cette

La Russie adhère

aux quatre

fois que si tous les moyens pacifiques échouaient entre les mains de la diplomatie, les forces Autrichiennes s'uniraient aux troupes Anglo-Françaises sur le champ de bataille.

La Russie fit de grands efforts pour empêcher la signature d'un acte dont elle comprenait la gravité. La veille de cette garanties. signature, le ministre de Russie à Vienne avait déclaré que son Gouvernement accueillait les quatre garanties comme base des négociations. Mais cette déclaration ne pouvait plus exercer aucune influence sur la résolution de l'Autriche; le traité d'alliance fut conclu malgré la démarche de la Russie, et peutêtre même à cause de cette démarche, qui ouvrait des chances favorables aux négociations pacifiques.

Memento

du

28 décembre.

Ce traité était en effet à peine signé, que le Cabinet de Vienne reçut de la part du Prince Gortchakoff, au nom de sa Cour, des ouvertures formelles tendant à négocier sur la base des quatre garanties. La Russie était effrayée de l'engagement pris par l'Autriche de transformer le traité du 2 décembre en alliance offensive si la paix n'était pas signée avant le 1er janvier 1855; elle voulait à tout prix éviter la coopération des armées Autrichiennes avec les armées occidentales.

Les Cabinets de Paris et de Londres, informés par celui de Vienne des propositions du Prince Gortchakoff, consentirent à les écouter, pourvu qu'il fût bien constaté que l'initiative venait de la Russie, et ce fut, en effet, sur la demande officielle du ministre Russe qu'eut lieu, le 28 décembre, une réunion à laquelle assistèrent les Plénipotentiaires de la France, de l'Angleterre et de l'Autriche avec le Prince Gortchakoff.

Les Puissances alliées s'étaient, au préalable, entendues sur la rédaction d'un memento qui devait être communiqué à ce dernier comme condition fondamentale des négociations ultérieures. Ce memento était la reproduction à peu près textuelle des notes du 8 août, dont il précisait néanmoins plus exactement quelques dispositions. Il demandait: 1° L'abolition du protectorat exclusif de la Russie sur les Principautés et l'éta

blissement d'une garantie collective des grandes Puissances, l'abolition de tous les anciens traités relatifs à ces provinces et l'adoption d'arrangements à ce sujet, combinés de façon à donner plein et entier effet aux droits de la Puissance suzeraine, à ceux des Principautés et aux intérêts généraux de l'Europe; - 2o La libre navigation du Danube par la suppression de la juridiction territoriale de la Russie dans le delta du Danube ou par l'institution d'une autorité syndicale investie de tous les pouvoirs nécessaires pour détruire les obstacles qui pourraient exister aux bouches de ce fleuve; - 3o La révision du traité du 13 juillet 1841, dans le but de rattacher complétement l'existence de l'Empire Ottoman à l'équilibre Européen, et de mettre fin à la prépondérance Russe dans la mer Noire. Il était expliqué néanmoins que les arrangements à prendre à cet égard dépendaient trop directement des événements de la guerre pour qu'il fût possible d'en arrêter les bases, et que l'on devait se borner à en poser le principe. 40 Enfin, la Russie devait renoncer à toute prétention de protectorat sur les sujets chrétiens du Sultan, ainsi qu'au renouvellement d'aucun des articles de ses anciens traités.

Le Prince Gortchakoff reçut le memento du 28 décembre ad referendum et demanda un délai de quinze jours pour obtenir les instructions et la réponse de sa Cour. Le 7 janvier, avant l'expiration de ce délai, il annonça aux Plénipotentiaires alliés que le Czar était disposé à prendre les quatre points pour base de la négociation, mais il donna de ces quatre garanties une interprétation telle qu'elle dût être unanimement repoussée.

Ainsi, sur la question des Principautés, le Prince Gortchakoff, au lieu de la suppression pure et simple du protectorat Russe, demandait la garantie collective des Puissances pour le maintien des priviléges dont jouissaient les Provinces Danubiennes. Il omettait la question relative à l'anéantissement de la prépondérance Russe dans l'Euxin, se bornant à repousser d'a

Opinion

des

vance toute combinaison qui serait incompatible avec la dignité de son Souverain. Il proposait enfin, sur le dernier point, de conférer à toutes les Puissances Européennes un véritable protectorat sur les sujets chrétiens du Sultan, ce qui eût été détruire l'indépendance de l'Empire Ottoman bien plus radicalement que ne l'avait tenté la mission du Prince Menschikoff. La France et l'Angleterre ramenèrent énergiquement le débat à ses véritables limites. Il ne pouvait y avoir de négociation utile que dans les termes précis du memento; la Russie devait y adhérer purement et simplement; à défaut, il ne fallait pas songer à négocier. Le Prince Gortchakoff, poussé dans ses derniers retranchements, et après avoir pris de nouvelles instructions, accepta sans réserve le memento du 28 décembre. Divers incidents retardèrent néanmoins l'ouverture des négociations, laquelle n'eut lieu à Vienne que le 15 mars suivant.

Les Puissances occidentales n'avaient qu'une médiocre conPuissances fiance dans l'issue que ces négociations devaient avoir. Elles occidentales étaient convaincues que l'adhésion de la Russie cachait des

Alliance avec

le Piémont.

arrière-pensées et qu'elle n'avait d'autre but que d'empêcher les conséquences du traité du 2 décembre. Les interprétations du Prince Gortchakoff, écho d'une circulaire adressée le 6 novembre par le Comte de Nesselrode aux agents de la Russie auprès des Cours Germaniques; le soin avec lequel, après l'acceptation du memento, la presse Russe répandit le bruit que ces interprétations serviraient seules de base aux négociations pacifiques, ne laissaient pas de doute sur les intentions secrètes du Cabinet de Saint-Pétersbourg. Aussi la France et l'Angleterre continuèrent-elles, sans hésiter, leurs dispositions militaires et leur action offensive.

Un précieux concours vint alors fortifier leur alliance. Le Piémont, qui, nous l'avons dit, avait accueilli avec une sympathie manifeste la communication du traité du 10 avril 1854, accéda formellement à ce traité. Le 26 janvier 1855, il s'engagea

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