tout elle devait exercer une grande influence sur la politique des États Européens. Ici, en effet, s'ouvre une nouvelle série de faits diplomatiques et d'événements qui sont trop intimement liés à l'histoire même du Congrès de Paris, pour qu'il nous soit permis de les aborder. On va les retrouver, avec leurs développements et leurs conséquences, dans les actes qui ont précédé et amené les négociations d'où la paix devait enfin sortir. Bornons-nous à constater la situation que créait la victoire des Puissances occidentales et les horizons qu'elle ouvrait à de nouvelles entreprises pacifiques. Il n'était pas difficile de définir la politique future de ces Puissances. Cette politique restait ce qu'elle n'avait cessé d'être depuis l'origine du conflit oriental. Après comme avant la chute de Sébastopol, les conditions de la paix, celles de l'équilibre de l'Europe et de la sécurité de la Turquie, demeuraient les mêmes. Après comme auparavant, ce qu'il fallait au salut du monde civilisé, c'était une efficace limitation des forces expansives et agressives de la Russie; c'était l'Orient mis désormais à l'abri des convoitises de Saint-Pétersbourg; c'était l'Occident garanti contre toute tentative de domination Moscovite; c'était, en un mot, l'ambition traditionnelle des successeurs de Pierre le Grand réduite à l'impuissance. La prise de Sébastopol, l'évacuation probable de la Crimée où les armées Russes se maintiendraient difficilement après la perte de leur boulevard essentiel, faisaient faire un pas immense vers le but qu'il s'agissait d'atteindre, mais elles n'en changeaient pas le caractère. Seulement elles tranchaient par un fait tout-puissant les indécisions et les interprétations contradictoires de la diplomatie. Le troisième point de garantie, sur lequel s'étaient rompues les Conférences, était désormais matériellement résolu; la destruction de Sébastopol, de la flotte Russe et de tous les ports Russes de la mer Noire rendait sans objet toute discussion ultérieure sur ce qu'il fallait entendre par « la cessation de la prépondérance Russe dans l'Euxin. » Les succès de nos armes constituaient à cet égard des faits acquis dont, bon gré mal gré, toute nouvelle négociation devait nécessairement partir. Mais, ce point établi, et par cela même que la politique de l'Occident n'avait pas subi de modification fondamentale, aucun obstacle à une pacification sérieuse ne pouvait venir de la France ou de l'Angleterre. Ce que les conférences diplomatiques leur avaient refusé, leurs canons l'avaient glorieusement conquis, et comme elles ne poursuivaient ni un but d'ambition privée, ni des conquêtes, ni des avantages exclusifs, il était bien évident qu'elles ne refuseraient de prêter l'oreille, même après leur triomphe, à aucune proposition propre à rétablir la paix et à la rendre durable. Cette proposition viendrait-elle de la Russie? Tout semblait y convier l'Empereur Alexandre; mais qui pouvait affirmer que l'amour-propre national ne l'emporterait pas encore sur les conseils de la raison et de la prudence? Un seul moyen semblait devoir exercer une influence souveraine à Saint-Pétersbourg : c'était l'union sincère et unanime de tous les États Européens, sinon dans l'action du moins sur le terrain des principes. Si l'Europe entière voulait imposer la paix sur les bases qui seules devaient la rendre sérieuse, il était permis de croire que sa voix toute-puissante dominerait les inspirations de l'orgueil humilié. Mais cette nouvelle ligue du bien public allait-elle se constituer enfin? La prise de Sébastopol devait peser d'un grand poids dans les déterminations de l'Autriche. Elle avait hésité sur l'application du troisième point de garantie; ce point, dominé par un fait matériel, ne paraissait plus susceptible d'un débat contradictoire. On pouvait s'attendre à voir le Cabinet de Vienne prendre enfin une attitude beaucoup plus énergique et poser à la Cour de Russie un ultimatum d'où sortirait une alliance plus étroite et une coopération plus directe avec la France et l'Angleterre. L'attitude de l'Autriche pouvait aussi entraîner l'Allemagne. Les États Germaniques voyaient que la force et la victoire étaient du même côté que le bon droit. Il leur appartenait d'éclairer à leur tour la Russie, de se séparer ostensiblement de sa politique, et, en plaçant le Czar dans un isolement complet, de lui montrer le péril auquel il exposait son Empire par une plus longue résistance aux vœux de l'Europe. De nombreux symptômes indiquèrent dès ce moment que telle serait probablement la nouvelle attitude des Puissances Allemandes, et que la chute de Sébastopol allait marquer l'heure d'une évolution favorable dans la politique Européenne et dans le mouvement des négociations pacifiques. J. COHEN. NÉGOCIATIONS DIPLOMATIQUES DEPUIS LA PRISE DE SÉBASTOPOL JUSQU'A L'ARRIVÉE DU COMTE VALENTIN ESTERHAZY A SAINT-PÉTERSBOURG Dès la fin du mois d'octobre 1855, les bruits de négocia- Situation. tions pacifiques prenaient une certaine consistance à Paris et dans toutes les Chancelleries de l'Europe. Ce ne fut, cependant, que dans la seconde quinzaine de décembre que l'on commença à parler sérieusement de propositions soumises par l'Autriche à l'acceptation des Puissances alliées, et que le mot d'ultimatum fut prononcé. Que se passa-t-il dans l'intervalle, [et d'abord quelle était la situation au mois d'octobre? La prise de Sébastopol avait eu un immense retentissement. L'opinion publique s'était pour ainsi dire divisée en deux courants opposés à la nouvelle de ce grand fait. Les pessimistes y virent une raison de plus pour que la Russie se montrât intraitable, tandis que les hommes plus réfléchis, ceux qui tenaient compte des sacrifices que cette grande Puissance avait déjà faits, se montrèrent plus confiants dans l'avenir et surent entrevoir un terme prochain à la lutte. Les tendances de l'Autriche étaient de plus en plus rassurantes. Jamais, depuis l'ouverture des hostilités, elles n'avaient été aussi nettement caractérisées. L'Autriche, toujours prudente dans sa politique, |