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gné des armées lorsqu'il voulut conspirer; et que Cassius et Brutus s'étoient rapprochés du cœur de César pour le percer.

«

Magistrats, je n'ai plus rien à dire : tel a été mon caractère, telle a été ma vie entière. Je proteste, à la face du ciel et des hommes, de mon innocence. Vous savez vos devoirs, la France vous écoute, l'Europe vous contemple, et la postérité vous attend.

« Je suis accusé d'être un brigand et un conspirateur, l'homme généreux que j'ai chargé de ma défense vous convaincra que cette accusation n'est pas fondée. »

Ce discours fit une profonde impression sur l'auditoire, et fut lu avec un vif intérêt dans toute la France.

On avoit insinué aux juges qu'il falloit que Moreau fùt condamné à mort, afin de laisser au premier consul le plaisir de lui faire grace; le consul avoit dit : « En me réservant le droit de lui faire grace, ce sera un moyen de nous rapprocher.»

Il est probable que, si la conscience des juges ne se fût pas révoltée contre ces insinuations, s'ils eussent cru à la générosité du consul, ils se seroient rendus ses complices. Le jugement fut une sorte de transaction entre la force et la justice. Moreau fut déclaré coupable, mais excusable, et, comme tel, condamné à une détention de deux ans (1).

(1) Il s'étoit formé pendant le jugement une véritable conspiration, à l'effet d'enlever Moreau, s'il avoit été condamné à mort. La police en fut instruite, et fit entourer le Palais de soldats et de canons, qui n'auroient rien empêché, tant les mesures étoient bien prises. Après le jugement, qui fut prononcé pendant la nuit, Moreau eut encore la liberté de fuir: loin d'en profiter, il se jeta dans un fiacre, et se rendit seul à la tour du Temple.

1804.

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Assassinat du

Si, pour avancer que Buonaparte n'avoit pas le dessein de lui faire grace, on avoit besoin d'une autre preuve que celle qu'on peut tirer de son caractère connu, on la trouveroit dans l'accès d'humeur qu'il éprouva, et dans les paroles qu'il prononça en apprenant la nouvelle de ce jugement.

« Des juges timides et sans caractère, dit-il, sont la perte des gouvernements, je les aimerois mieux hardis prévaricateurs. »

Il en avoit trouvé de ces juges selon son cœur, dans une autre cause non moins importante, et qui eut une issue plus affreuse que celle de Moreau, la cause du duc d'Enghien (1).

Depuis la paix de Lunéville, l'arrière-petit-fils et le due d'En- digne héritier des vertus du grand Condé avoit déposé ghien. les armes, qu'il croyoit désormais inutiles à la plus no

ble des causes. Il étoit retiré à Ettenheim, petite ville du duché de Bade, où il passoit son temps entre la chasse, la culture des fleurs et les épanchements de l'amitié. Il jetoit de temps en temps quelques regards sur les côtes de France, mais sans ressentiment, sans arrièrepensée, sans aucun projet hostile: depuis qu'il avoit vu tous les souverains de l'Europe abandonner sa cause, il l'avoit abandonnée lui-même, il avoit renoncé à la guerre et à l'ambition.

Buonaparte ne pouvoit pas croire à tant de résignation. Quand il apprit que les princes réfugiés en Angleterre songeoient à revenir en France, il ne douta pas que le duc d'Enghien, celui de tous dont il redoutoit le

(1) Louis-Antoine-Henri de Bourbon, fils du duc de Bourbon, et petit-fils du prince de Condé, né le 2 août 1772.

plus et le caractère et les talents, ne fût entré dans leur projet. Il résolut de s'emparer de sa personne, à quelque prix que ce fût.

Le 14 mars 1804, le duc d'Enghien, qui avoit passé la journée à la chasse, venoit de se coucher et de s'endormir, quand il fut réveillé en sursaut par deux fidéles serviteurs qui lui dirent sans préambule que le château étoit cerné par des hommes armés. Il saute à bas de son lit, s'arme d'un fusil, ouvre une fenêtre, crie qui va là? Il alloit faire feu, lorsqu'un nommé Schmidt, ancien officier de l'armée de Condé, releva le fusil du prince, en lui disant que toute résistance seroit inutile. Le prince se revêt à la hâte d'un pantalon et d'une veste de chasse, il n'a pas le temps de mettre ses bottes ; des gendarmes entrent chez lui, le pistolet au poing, et en criant: Qui de vous est le duc d'Enghien? personne ne répondit. A une seconde interpellation, le prince dit : « Si vous êtes venus pour l'arrêter vous devez avoir son signalement. » Eh bien! marchez tous, reprit durement le commandant des gendarmes. On marcha le reste de la nuit, et le matin on s'arrêta dans un moulin, où le prince fut reconnu, et désigné par le bourguemestre d'Ettenheim: Alors, n'ayant plus de motifs de se déguiser, le duc demanda et obtint la permission d'envoyer chercher du linge, des habits et de l'argent.

L'escorte se remit en route, passa le Rhin à Koppel, et arriva sur de mauvais chariots à Strasbourg. Le prince fut déposé à la citadelle, dont le commandant se conduisit avec dureté; mais le général Leval, commandant de la province, répara le mal autant qu'il put, en faisant révoquer des ordres trop rigoureux, et

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en témoignant au prince les égards qu'il devoit à son rang, et encore plus à son infortune. Ce fut là qu'on fit le dépouillement des papiers qu'on avoit saisis à Ettenheim; on n'y trouva que le testament du prince, des lettres de tendresse, et quelques plaisanteries sur Buonaparte.

Le 18 de grand matin, les portes de sa prison s'ouvrent, des gendarmes entourent son lit, et le pressent de s'habiller. Ses gens accourent; il demande s'il pourra emmener avec lui Joseph, son fidéle valet-de-chambre. On lui répond que non. - S'il peut emporter du linge et des habits. Cela n'est pas nécessaire. Quel sera le terme du voyage. Point de réponse. Dès lors il perdit tout espoir de salut. Mais conservant tout son courage, et relevant la tête avec dignité, il embrassa ses compagnons d'infortune, leur distribua son argent, et leur dit un éternel adieu.

On se remet en route; on marche jour et nuit ; on arrive le 20, à quatre heures et demie du soir, près de la barrière de Pantin. Là se trouvoit un courrier, qui signifia l'ordre de se rendre à Vincennes, sans entrer dans Paris: à cinq heures, le prince entra dans le donjon.

Tout avoit été calculé avec précision pour arriver à cette heure, pour ensevelir cet attentat dans les ombres de la nuit et pour en assurer l'exécution.

L'invasion subite d'un territoire neutre, l'enlèvement du prince au milieu de la nuit, la grossièreté des gendarmes chargés de l'escorter, la rapidité de la marche, tout jusqu'à la privation de nourriture pendant deux jours et demi, tout avoit pour objet d'affoiblir l'indomptable courage qu'il avoit déployé aux champs d'honneur, et qui faisoit trembler son ennemi jusqu'au

fond de son palais mais cet espoir fut déçu ; le caractère du prince répondit à sa valeur.

Il arriva exténué de fatigue et de besoin, prit un léger repas, demanda un lit, se coucha sans se déshabiller, et s'endormit aussitôt. Heureux effet de la paix de l'ame! Le descendant du grand Condé dormoit tranquillement sur un mauvais grabat, au fond d'un cachot, sur le bord de sa fosse; tandis que son ennemi, son bourreau invoquoit en vain le sommeil dans son palais magnifique, et attendoit, dans des transes mortelles, l'issue des ordres sanguinaires qu'il avoit donnés.

Le prince fut réveillé à minuit, et conduit dans une pièce du pavillon du milieu. Là étoient réunis, autour d'une table, huit officiers en grand uniforme. C'étoit un simulacre de conseil de guerre, présidé par le général Hullin: un nommé Dautancourt, capitaine de gen. darmerie, faisoit les fonctions de rapporteur. Le rapporteur, le président et les six autres officiers avoient été choisis par Murat, gouverneur de Paris. L'instruction ne fut pas longue. Si les questions étoient précises, les réponses furent nobles et dignes.

Interrogé s'il avoit conspiré contre la France, le prince a répondu : Je me bats et ne conspire pas.

Interrogé s'il avoit pratiqué des intelligences dans Strasbourg, a répondu : Ce ne sont pas mes intelligences dans Strasbourg, c'est mon épée au champ de bataille que vous redoutez.

Interrogé s'il a porté les armes contre son pays, a répondu : Ce n'est pas contre mon pays, mais contre ses ennemis que j'ai porté les armes. Je les ai déposées le jour où j'ai reconnu qu'il n'y avoit plus de rois en Europe.

1804.

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