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1810.

première considération, c'est celle de votre bonheur. C'est sur-tout de votre cœur, madame, que l'empereur mon maître veut vous obtenir.

« Il sera beau de voir unis, sur un grand trône, au génie de la puissance les attraits et les graces qui la font chérir.

« Ce jour, madame, sera heureux pour l'empereur mon maître, si votre altesse impériale m'ordonne de lui dire qu'elle partage les espérances, les vœux et les sentiments de son cœur. »

Réponse de S. A. I. l'archiduchesse Marie-Louise.

«La volonté de mon père a constamment été la mienne. Mon bonheur restera toujours le sien.

« C'est dans ces principes que l'empereur Napoléon ne peut que trouver le gage des sentiments que je vouerai à mon époux; heureuse, si puis contribuer à son bonheur et à celui d'une grande nation. Je donne, avec la permission de mon père, mon consentement à mon union avec l'empereur Napoléon. »

Le mariage fut célébré à Vienne le 11 mars. Le 13, la princesse prit congé de ses augustes parents, et arriva à Compiègne le 28 du même mois. Le mariage civil fut célébré le dimanche à Saint-Cloud, et le mariage ecclésiastique le lendemain dans la galerie du Louvre.

Nous ne dirons point le détail des cérémonies pompeuses et des fêtes brillantes qui eurent lieu à Paris pendant, après et à l'occasion de ce grand événement. Tous les journaux du temps en sont remplis et en ont entretenu leurs lecteurs jusqu'à satiété. Mais nous de

vons dire que les cardinaux et une grande partie des prélats qui furent invités à la célébration du mariage ecclésiastique s'y rendirent par obéissance, et témoignèrent par leur contenance chagrine leur improbation secrète d'un mariage que le saint-père désapprouvoit hautement; et qu'il désapprouvoit parceque, d'après les lois de l'église, celui de l'empereur avec l'impératrice Joséphine n'étoit pas rompu.

L'empereur passa outre, et reçut le 3 avril les compliments de tous les grands corps de l'état.

Nous dirons encore que si l'on jugeoit des sentiments d'amour, de respect et d'admiration d'un peuple pour son souverain par les compliments, les adresses de félicitation et les vers de toute espèce, depuis le poëme épique jusqu'à l'églogue, dont Napoléon fut l'objet à l'occasion de son mariage, jamais prince n'auroit été plus admiré, plus respecté, plus aimé; César et Charlemagne, Titus et Henri IV ne méritoient pas d'entrer en comparaison avec lui, ni pour l'éclat de leurs vertus ni pour l'amour de leurs sujets...!

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ries, ser.

vitude.

Nous sommes, au reste, arrivés à l'époque la plus Flattebrillante de son régne, mais en même temps la plus humiliante pour une nation qui avoit voulu conquérir sa liberté.

Napoléon en avoit couvert tous les emblèmes d'un crêpe funebre; il éloigna de sa personne tous ceux qui étoient connus pour en avoir défendu sincèrement les principes. Il avoit eu raison de remonter tous les ressorts de la monarchie, mais il eut tort de les tendre avec une excessive roideur. Il avoit raison de se moquer de tous les compliments que lui adressoient les poëtes de l'institut et les orateurs du sénat, mais il eut tort

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d'avilir ou d'opprimer tous les talents qu'il ne put corrompre. Tout se niveloit pour la servitude. Les grandes pensées, les expressions énergiques, les élans du génie, tout disparut devant son pouvoir et sous la férule de son ministre de la police.

Les lettres ne demandent aux puissances de la terre que paix et liberté. L'anarchie les effarouche, la tyrannie les tue.

Autant une protection généreuse hâte la maturité des fruits du génie, autant un protectorat insolent les étouffe ou les fait avorter.

Auguste et Louis XIV ont protégé les lettres et les arts avec noblesse, avec libéralité, avec une grandeur d'ame qui en a été magnifiquement récompensée par des chefs-d'œuvre en tout genre.

Lorsqu'ils persécutoient les philosophes et les prêtres, Buonaparte et Domitien salarioient des histrions, des poëtes et des sénateurs. Rome et Paris, sous le règne de ces deux princes, avoient beaucoup de ressemblance, étoient somptueuses en apparence, tristes et silencieuses dans les lieux publics, remplies de cotteries, de mécontents, d'espions, de charlatans, de versificateurs, de sophistes, de maisons de débauche et de jeu.

Cependant Napoléon se vantoit d'aimer les sciences et d'encourager les arts. Il disoit quelquefois que sous son régne la France reprendroit son ancienne supériorité, et que le siècle qui commençoit avec sa dynastie l'emporteroit sur tous les siècles précédents.

Se trouvant un jour à Aix-la-Chapelle, il se ressouvint que Charlemagne avoit fait de cette ville la capitale de son empire, qu'il protégeoit les sciences, et

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qu'il accordoit des récompenses aux savants de son temps. Il n'en falloit pas tant pour échauffer son imagination. Déja rival de ce grand prince à la guerre, il crut que pour le surpasser dans ses institutions il lai suffiroit d'être plus magnifique dans ses largesses; il fonda en conséquence des prix de dix et cinq mille Prix défrancs, qui devoient être décernés, tous les dix ans, aux auteurs des meilleurs ouvrages de physique, d'histoire, de poésie, de peinture, de sculpture et de musique.

Il n'est pas permis de croire qu'en fondant cette institution, qui lui mérita des éloges, il ait eu le projet de fausser sa parole, et de se moquer des savants et du public; cependant, lorsque le temps de la distribution arriva, non seulement il n'y eut pas de prix, mais les concurrents furent, par ses ordres ou avec sa permission, livrés à la dérision et aux outrages des folliculaires et des libellistes qu'il tenoit à sa disposition.

On ne sait comment expliquer ce manque de foi, qui n'étoit peut-être de sa part qu'un oubli; mais tout ne fut pas perdu pour les arts et pour les lettres dans une scène qui tendoit à les avilir. Le jury chargé de prononcer un jugement sur les ouvrages du concours étoit heureusement composé d'hommes qui réunissoient l'intégrité aux lumières. Sans s'arrêter aux motifs qui avoient pu déterminer l'empereur à retirer sa parole, il fit son rapport, comme si les prix existoient, et il adjugea,

savoir :

Le prix d'analyse pure, au Calcul des fonctions, par M. de La Grange;'

Celui d'astronomie, à la Mécanique céleste, par M. de Laplace ;

cennaux.

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Celui de chimie, à la Statique chimique, par M. Bertholet;

Celui d'anatomie, aux Leçons d'anatomie, par M. Cuvier;

Celui de la tragédie, aux Templiers, par M. Raynouard ;

Celui de morale, au Catéchisme universel, par M. de Saint-Lambert;

Celui du poëme didactique, au Poëme de l'imagination, par M. Delille;

Celui d'histoire, à l'Histoire de l'anarchie de Pologne, par M. de Rhulières ;

Celui de biographie, à la Vie de Fénélon, par M. de Beausset ;

Celui de musique, à M. Spontini, auteur de la musique de la Vestale:

Celui de peinture, à M. Girodet, auteur d'une Scène du déluge;

Celui de sculpture, à M. Chaudet, auteur d'une Statue de l'empereur;

Celui d'architecture, à MM. Fontaine et Percier, auteurs de l'Arc de triomphe du Carrousel.

Tous ces jugements furent motivés avec autant de goût que de sagesse, et, à l'exception peut-être de deux ou trois, ils obtinrent les suffrages du public.

Ils n'obtinrent pas ceux de la cour, qui, à l'exemple du maître, se moquoit des philosophes et des lettrés. L'ennemi des lettres et de la philosophie triomphoit de leur avilissement.

Canses de Il peut être curieux, et il ne sera pas inutile à l'hisla dégra- toire de son régne, de savoir par quels degrés il parvint

dation des

lettres. à déprimer la pensée et à corrompre les écrivains. Tous

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