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1801.

Mort de

Paul I.

avoir été donné par le descendant des czars, que pour offrir un contraste plus frappant avec la conduite de l'Angleterre.... »

Intéressé à faire connoître à toute l'Europe la bonne intelligence qui régnoit entre l'empereur de Russie et lui, le premier consul ne se borna pas à ces démonstrations de bonne amitié; il s'empressa de lui donner de sa déférence une preuve plus authentique et plus décisive, en cessant toute hostilité contre la cour de Naples, dont il avoit à se plaindre, mais que Paul I avoit prise sous sa protection.

Le roi de Naples, gouverné par sa femme, et entraîné par les sollicitations de l'Autriche et les promesses de l'Angleterre, avait derechef confié aux hasards de la guerre sa fortune et celle de son royaume. Le général Murat, qui devoit le remplacer plus tard, avoit été envoyé contre lui, à la tête d'une armée de trente-cinq mille hommes; avoit déja battu plusieurs fois celle des Napolitains; et n'étoit plus qu'à trois journées de Naples, quand il reçut du premier consul l'ordre de rétrograder et de suspendre toute espèce d'hostilités.

L'intervention de la Russie sauva cette fois-ci la ville de Naples, et auroit, suivant toutes les apparences, épargné par la suite à ce royaume une longue et sanglante révolution, sans la catastrophe qui précipita Paul I dans le tombeau, et déconcerta les grands projets que Buonaparte avoit fondés sur son alliance.

Cet événement a eu pour l'Europe des suites si im◄ portantes, que nous croyons devoir le raconter avec quelques détails.

Par son extrême sévérité, et par son caractère bizarre et farouche, Paul I s'étoit aliéné les cœurs dans presque

toutes les classes de ses sujets. Une police minutieuse et inquiétante avoit fait un séjour fort triste de sa capitale, où régnoient avant lui une grande liberté et un goût universel de plaisir et de dissipation. Dix personnes n'osoient plus se réunir dans une maison, dans la crainte d'éveiller ses soupçons et d'exciter sa colère. Nul n'étoit assuré de conserver son emploi dans le militaire et dans l'administration. Toutes les fortunes étoient incertaines. Sa rupture avec l'Angleterre étoit tout-à-fait impopulaire, parceque les établissements des Anglois en Russie, la manière dont ils y font le commerce, et les capitaux qu'ils y versent, favorisoient à-la-fois et l'agriculture et l'industrie.

Les campagnes d'Italie, et même celle d'Égypte, avoient fait de Paul I l'admirateur le plus passionné de Buonaparte. Il fit placer son buste dans le palais de l'Ermitage, et il se plut souvent à le saluer du nom de grand homme. Le renvoi sans rançon des troupes russes dans leur patrie le toucha d'une manière particulière, et acheva de le gagner à la France.

Le cabinet de Saint-James ne vit pas sans alarmes des dispositions aussi contraires à ses intérêts. Lord Witworth, ambassadeur d'Angleterre à Saint-Pétersbourg, reçut l'ordre de les surveiller; et son habileté sut mettre à profit les mécontentements de la noblesse. A la tête des mécontents étoient les trois frères Zouboff; le comte Pahlen, général de la cavalerie; les généraux Beningson et Ouvaroff, les colonels Tatarinoff et Yesselowitz.

Lord Witworth fut obligé de quitter Saint-Pétersbourg avant la consommation de ses desseins; mais il se retira à Koenigsberg, d'où il continua de les suivre à

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l'aide de ses émissaires, et des mécontents dont nus venons de parler. Tout lui prouvoit que l'empereur persévéroit dans sa haine contre l'Angleterre. Ce fut là qu'il apprit qu'on armoit au Kamchatka cinq frégates destinées à parcourir la mer des Indes et à intercepter les vaisseaux de la compagnie. Ce fut encore de là qu'il écrivit à sa cour que Paul I se proposoit d'envoyer cinquante mille Russes dans l'Indostan, de s'emparer de tous les comptoirs, et de ruiner à jamais le commerce et la puissance des Anglois dans ces riches contrées.....

Vrais ou faux, ces bruits étoient faits pour jeter l'alarme dans l'esprit des ministres anglois. La mort de Paul 1, qui survint dans ces circonstances, leur fut si favorable, qu'ils furent soupçonnés d'y avoir coopéré : ils en furent même accusés hautement dans les journaux françois; mais la main ennemie qui les dirigeoit. nous empêche d'ajouter foi à cette accusation.

La conspiration ourdie contre la personne de Paul I étoit dirigée par le comte Pahlen, gouverneur militaire de Saint-Pétersbourg, et qui réunissoit la tête la plus froide à l'activité la plus soutenue. Le joug de l'autorité pesoit sur lui plus que sur qui que ce fût. Soumis à un maître dont la volonté étoit absolue, dont la défiance étoit extrême, il sentoit que sa faveur, sa fortune, sa vie même, dépendoient d'un soupçon. De jour en jour sa situation devenoit plus précaire. Il voulut s'affermir, et résolut de mettre Alexandre sur le trône.

Ce plan arrêté, son premier soin fut d'éloigner de Paul I tous ceux qu'il ne put gagner. Le comte Rostopchin, vice-chancelier des affaires étrangères, lui portoit ombrage. Il le fit renvoyer. Avant de rien tenter, il voulut se ménager les moyens de se justifier auprès

d'Alexandre, s'il réussissoit; auprès de Paul I, s'il échouoit. Il s'appliqua donc à indisposer le père contre le fils; et le fils, contre son père. Mais n'espérant rien du caractère soumis et respectueux d'Alexandre, il le peignit à Paul, déja trop défiant, comme coupable de vouloir attenter à son autorité, et il lui déclara formellement qu'il ne répondoit pas de sa sûreté personnelle, s'il ne lui donnoit sur-le-champ l'ordre de l'arrêter.

Paul, indigné contre son fils, signe aussitôt l'ordre. Pahlen court alors chez le grand-duc, lui représente la nécessité de forcer Paul à une abdication, et oppose aux refus constants d'Alexandre l'ordre qu'il vient de recevoir contre lui. Quoique attéré par la vue de cet écrit, Alexandre ne pouvoit se résoudre à une démarche aussi hardie; mais cette incertitude fut interprétée par Pahlen comme une autorisation: il alloit le quitter, quand Alexandre exigea de lui le serment qu'il ne seroit fait aucune violence à son père.

Cependant quelques bruits avoient transpiré. Paul manda Pahlen, et lui dit : « On en veut à ma vie. Je le sais, répondit Pahlen sans se déconcerter, et pour m'assurer des coupables je suis moi-même de la conspiration. » Ces mots tranquillisèrent d'abord l'empereur; mais un moment après ayant reçu le même avis d'Obalianoff, procureur - général, et craignant que Pahlen ne fût véritablement du complot, il expédia un courrier au général Aratchieff, ancien gouverneur de Pétersbourg, qui commandoit un régiment caserné à dix lieues de cette capitale : il lui mandoit de venir surle-champ avec son régiment, parceque sa vie étoit en danger.....

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Pahlen arrêta le courrier, ouvrit la dépêche, et, voyant qu'il n'y avoit pas de temps à perdre, il fixa le jour de l'exécution au lendemain. On ne sauroit trop s'étonner de la fatalité qui poursuivoit le malheureux Paul. Dans la matinée du jour convenu, il se promenoit à cheval sur la place Suwarow, accompagné de son favori Koutaïzoff, lorsqu'il fut accosté par un homme du peuple, qui lui présenta une lettre. Son cheval s'étant cabré, il ne put la prendre lui-même; elle fut remise à Koutaïzoff. Elle contenoit tous les détails de la conspiration : mais le favori, ayant changé de vêtements pour diner chez l'empereur, oublia de la lire.

A l'heure fixée, entre onze heures et minuit du 22 mars, les conjurés, au nombre de vingt, se présentent à une porte latérale du palais Saint-Michel, donnant sur le jardin: on leur en refuse l'entrée. « Nous sommes mandés par l'empereur, disent-ils; il y a aujourd'hui grand conseil de guerre. » La sentinelle, trompée par ces paroles, et à la vue de plusieurs officiers-généraux, les laisse passer. Tous montent en silence à l'appartement de Paul, et demeurent un moment dans la salle des gardes.

Argamakoff, aide-de-camp de service, se présente seul à la porte de l'antichambre, dit au cosaque factionnaire que le feu est à la ville, et qu'il vient réveiller l'empereur. Le cosaque le laisse passer. Il frappe à la porte de la chambre à coucher, et se nommę. Paul, connoissant sa voix, lui ouvre à l'aide d'un cordon qui répondoit à son lit. Argamakoff ressort pour introduire les conjurés, qui rentrent aussitôt avec lui. Le cosaque s'aperçoit alors, mais trop tard, qu'on en veut aux

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