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traître dont les yeux maudits assiégent toutes mes actions, dévorent ce que je possède, et furètent de tous côtés pour voir s'il n'y a rien à voler 1.

LA FLÈCHE.

Comment diantre voulez-vous qu'on fasse pour vous voler? Ètes-vous un homme volable, quand vous renfermez toutes choses, et faites sentinelle jour et nuit?

HARPAGON.

Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me plaît. Né voilà pas de mes mouchards, qui prennent garde à ce qu'on fait? (Bas, à part.) Je tremble qu'il n'ait soupçonné quelque chose de mon argent. (Haut.) Ne serois-tu point un homme à 2 faire courir le bruit que j'ai chez moi de l'argent caché?

LA FLÈCHE.

Vous avez de l'argent caché?

HARPAGON.

Non, coquin, je ne dis pas cela. (Bas.) J'enrage. (Haut.) Je demande si, malicieusement, tu n'irois point faire courir le bruit que j'en ai.

LA FLÈCHE.

Hé! que nous importe que vous en ayez, ou que vous n'en ayez pas, si c'est pour nous la même chose?

HARPAGON, levant la main pour donner un soufflet à La Flèche. Tu fais le raisonneur! Je te baillerai de ce raisonnement-ci par les oreilles. Sors d'ici, encore une fois.

Hé bien! je sors.

LA FLÈCHE.

Attends ne m'emportes-tu rien?

HARPAGON.

LA FLÈCHE.

Que vous emporterois-je ?

HARPAGON.

Viens, viens çà, que je voie. Montre-moi tes mains 33.
LA FLÈCHE.

Les voilà.

Dans Plaute, l'Avare dit à une vieille esclave,

* VAR.

VAR.

Circumspectatrix cum oculis emissitiis?

Ne serois-tu point homme à aller faire courir le bruit, etc.
Tiens, viens çà, que je voie, etc.

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HARPAGON, montrant les hauts-de-chausses de La Flèche.

N'as-tu rien mis ici dedans 2?

Voyez vous-même.

LA FLÈCHE.

HARPAGON, tàtant le bas des chausses de La Flèche.

Ces grands hauts-de-chausses sont propres à devenir les recélcurs des choses qu'on dérobe; et je voudrois qu'on en eût fait pendre quelqu'un.

LA FLÈCHE, à part.

Ah! qu'un homme comme cela mériteroit bien ce qu'il craint! et que j'aurois de joie à le voler!

Euh?

HARPAGON.

Cette scène est imitée de la scène Iv de l'acte IV de l'Aululaire. Ici Molière n'a pas été plus heureux que l'auteur latin, qui fait demander la troisième main Ostende etiam tertiam. Harpagon, qui demande les autres, blesse également la vérité du dialogue. Chappuzeau, dans sa comédie du Riche vilain, imprimée en 1663, avoit trouvé un tempérament ingénieux à ce trait de Plaute, en ne demandant que l'autre, parceque le Riche vilain peut avoir oublié qu'il a déja vu la main qu'il veut revoir. Voici la scène: Crispin soupçonne Philipin, valet de son neveu, de lui avoir dérobé quelque chose.

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Allez la chercher. En ai-je une douzaine?

Il faut bien convenir que Chappuzeau a mieux fait que Plaute et que Molière. (Bret.)

Dans Plaute : EUCLION. Allons, secoue ton manteau. - STROBILE. J'y conEUCL. N'as-tu rien sous ta tunique? STRO. Cherchez partout où il

sens.

vous plaira. (Aululaire, acte IV, scène IV.)

LA FLÈCHE.

Quoi?

HARPAGON.

Qu'est-ce que tu parles de voler?

LA FLÈCHE.

Je vous dis que vous fouilliez bien partout, pour voir si

je vous ai volé.

HARPAGON.

C'est ce que je veux faire.

(Harpagon fouille dans les poches de La Flèche.) LA FLÈCHE, à part.

La peste soit de l'avarice et des avaricieux !

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Oui; qu'est-ce que tu dis d'avarice et d'avaricieux?

LA FLÈCHE.

Je dis que la peste soit de l'avarice et des avaricieux.

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LA FLÈCHE.

Est-ce que vous croyez que je veux parler de vous?

HARPAGON.

Je crois ce que je crois; mais je veux que tu me dises à qui tu parles quand tu dis cela.

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HARPAGON.

Et moi je pourrois bien parler à ta barrette'.

LA FLÈCHE.

M'empêcherez-vous de maudire les avaricieux ?

HARPAGON.

Non; mais je t'empêcherai de jaser et d'être insolent. Tais-toi.

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LA FLÈCHE, montrant à Harpagon une poche de son justan corps. Tenez, voilà encore une poche : êtes-vous satisfait?

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Dans le moyen âge on appelait barrette le devant du chaperon, à cause des passements dont il était orné, et qui y formaient des barres; parler à la barrette, en langage vulgaire, signifie laver la tête à quelqu'un, et même le frapper. Dans Plante: Je ne veux pas le fouiller davantage, rends-le-moi.

Dans Plaute, Strobile est congédié de la même manière : « Va-t'en où tu

HARPAGON.

Je te mets sur ta conscience, au moins.

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Voilà un pendard de valet qui m'incommode fort; et je ne me plais point à voir ce chien de boiteux-là. Certes, ce n'est pas une petite peine que de garder chez soi une grande somme d'argent; et bien heureux qui a tout son fait bien placé, et ne conserve seulement que ce qu'il faut pour sa dépense! On n'est pas peu embarrassé à inventer, dans toute une maison, une cache fidèle; car, pour moi, les coffres-forts me sont suspects, et je ne veux jamais m'y fier. Je les tiens justement une franche amorce à voleurs; et c'est toujours la première chose que l'on va attaquer.

SCÈNE V. HARPAGON, ÉLISE ET CLÉANTE,

ensemble, et restant dans le fond du théâtre.

HARPAGON, se croyant seul.

parlant

Cependant, je ne sais si j'aurai bien fait d'avoir enterré, dans mon jardin, dix mille écus qu'on me rendit hier. Dix mille écus en or chez soi est une somme assez..... (A part, apercevant Élise et Cléante.) O ciel! je me serai trahi moi-même! la chaleur m'aura emporté, et je crois que j'ai parlé haut, en raisonnant tout seul. (A Cléante et à Élisc.) Qu'est-ce?

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> voudras, et que Jupiter et tous les dieux puissent te confondre! Il me re

> mercie bien poliment. >

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