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CORBEIL.

TYPOGRAPHIE ET STEREOTYPIE DE CRÉTÉ.

COMPLETES

DE MOLIÈRE

ÉDITION VARIORUM

COLLATIONNÉE SUR LES MEILLEURS TEXTES

Précédée d'un Précis

DE L'HISTOIRE DU THÉATRE EN FRANCE
Depuis les origines jusqu'à nos jours

DE LA BIOGRAPHIE DE MOLIÈRE RECTIFIÉE
D'après les documents récemment découverts

Avec les Variantes, les pièces et Fragments de pièces
Retrouvés dans ces derniers temps

ACCOMPAGNÉE DE NOTICES HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES
SUR CHAQUE COMÉDIE DE MOLIÈRE

AINSI QUE DE NOTES HISTORIQUES, PHILOLOGIQUES ET LITTÉRAIRES

formant le résumé des travaux

DE VOLTAIRE, LA HARPE, CAILHAVA, AUGER, BAZIN, SAINTE-BEUVE, SAINT-MARC GIRARDIN,
GENIN, AIMÉ MARTIN, NISARD, TAschereau, etc., etc.

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COMÉDIE EN CINQ ACTES.

1669.

NOTICE.

Cette pièce fut jouée pour la première fois le septembre 1668. Voici le jugement qu'en a porté Voltaire :

« Le même préjugé qui avait fait tomber le Festin de Pierre, parcequ'il était en prose, nuisit au succès de l'Avare. Cependant le public qui, à la longue, se rend toujours au bon, finit par donner à cet ouvrage les applaudissements qu'il mérite. On comprit alors qu'il peut y avoir de fort bonnes comédies en prose, et qu'il y a peut-être plus de difficulté à réussir dans le style ordinaire, où l'esprit seul soutient l'auteur, que dans la versification, qui, par la rime, la cadence et la mesure, prête des ornements à des idées simples, que la prose n'embellirait pas. Il y a dans l'Avare quelques idées prises dans Plaute, et embellies par Molière. Plaute avait imaginé le premier de faire en même temps voler la cassette de l'Avare et de séduire sa fille ; c'est de lui qu'est toute l'invention de la scène du jeune homme qui vient avouer le rapt, et que l'Avare prend pour le voleur. Mais on ose dire que Plaute n'a point assez profité de cette situation; il ne l'a inventée que pour la manquer. Que l'on en juge par ce seul trait : l'amant de la fille ne paraît que dans cette scène; il vient sans être annoncé ni préparé, et la fille elle-même n'y paraît point du tout. Tout le reste de la pièce est de Molière, caractères, critiques, plaisanteries; il n'a imité que quelques lignes, comme cet endroit où l'Avare, parlant, peut-être mal à propos, aux spectateurs, dit : « Mon voleur » n'est-il point parmi vous? Ils me regardent tous, et se met» tent à rire ! » (Quid est quod ridetis? novi omnes, scio fures hic esse complures.) Et cet autre endroit encore où, ayant examiné les mains du valet qu'il soupçonne, il demande à voir la troisième : Ostende tertiam. Ces comparaisons de Plaute avec Molière sont toutes à l'avantage du dernier. »

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Cette opinion de Voltaire, qui se trompe rarement en matière de goût, est aussi celle de la plupart des critiques. Mais on a nié, avec quelque apparence de raison, que la froideur avec laquelle furent accueillies les premières représentations de l'Avare, ait tenu à ce que cette comédie était écrite en prose. Quant à la supériorité de notre auteur sur le comique latin, elle a été reconnue par tout le monde, et l'on est tombé d'accord sur ce point que tout en rendant le personnage d'Harpagon plus dramatique et plus moral, Molière a aussi rendu l'intrigue plus attachante et plus vive. Il a même peint sous des couleurs si vraies le vice qu'il voulait flétrir, qu'un avare disait de bonne foi qu'il y avait beaucoup à profiter de cet ouvrage, et qu'on pouvait en tirer d'excellents principes d'économie.

M. Aimé Martin raconte que Boileau, qui assistait à toutes les représentations, « opposait sa justice inflexible aux cris de la cabale; on le voyait, dans les loges et sur les bancs du théâtre, applaudir ce nouveau chef-d'œuvre et Racine, qui fut injuste une fois, lui ayant dit un jour, comme pour lui adresser un reproche: « Je vous ai vu à la pièce de Molière, et vous >> riiez tout seul sur le théâtre. Je vous estime trop, lui ré>>pondit Boileau, pour croire que vous n'y ayez pas ri, du moins >> intérieurement: >>

Geoffroy, qui se montre souvent aussi sévère que Boileau, surtout en ce qui touche les questions morales, place l'Avare au nombre des chefs-d'œuvre de Molière. « Avec quelle vigueur, dit-il, avec quelle fidélité de pinceau Molière ne trace-t-il pas son avare s'isolant de sa famille, voyant des ennemis dans ses enfants qu'il redoute, et dont il n'est pas moins redouté; concentrant toutes ses affections dans son coffre, tandis que son fils se ruine d'avance par des dettes usuraires, tandis que sa fille a une intrigue dans la maison avec son amant déguisé ! L'avare ne sait rien de ce qui se passe au sein de sa famille, rien de ce que font ses enfants; il ne sait au juste que le comple de ses écus; c'est la seule chose qui le touche et qui l'intéresse c'est le seul objet de ses veilles, l'argent lui tient lieu d'enfants, de parents et d'amis, voilà la morale qui résulte de l'admirable comédie de Molière; et s'il y a quelque tableau capable de faire hair et mépriser l'avarice, c'est celui-là..... Ce vice était assez commun sous Louis XIV. Les nobles avaient seuls alors le privilége de se ruiner, soit en servant l'État, soit en étalant un luxe au-dessus de leur fortune. La consolation des roturiers était de s'enrichir en volant l'État et les nobles, et pour cacher leurs larcins, ils avaient soin d'enfouir leurs richesses. >>

Contrairement à l'opinion de Voltaire, de Boileau et de Geoffroy, Rousseau a taxé l'Avare d'immoralité : « C'est un grand vice assurément d'être avare et de prêter à usure; mais n'en

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