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La voir! l'entendre! ô l'ineffable frémissement!

Le quatrième acte d'Hernani ne tient guère à l'action, que par la volonté du poëte; mais sa volonté est toute-puissante. Ici la critique a trouvé qu'elle ne voyait pas bien, comment et pourquoi don Carlos, ce jeune homme qui vient d'enlever dona Sol, descendait, si vite et si brusquement, sous ces voûtes funèbres. Elle aime à se rendre compte de toutes choses, et elle s'étonne, en ce moment, de retrouver don Carlos plongé dans les plus hautes spéculations de la politique, après l'avoir vu, tantôt, uniquement occupé des intrigues et des enlèvements de l'amour?

Le monologue de don Carlos, au tombeau de Charlemagne, n'est encore qu'un hors-d'oeuvre admirable, mais un hors-d'œuvre. Cette fois l'action est tout à fait suspendue. Il ne s'agit plus ni d'Hernani, ni de dona Sol, ni de Ruy-Gomez, il s'agit d'un jeune serpent qui fait peau neuve, d'une altesse qui va devenir empereur, du jeune et amoureux Carlos qui va s'appeler CharlesQuint. Les vers de ce monologue sur Charlemagne sont de trèsbeaux vers, qui en doute? Cependant permettez que l'on rende ici, à la prose française, les honneurs qui sont dus à la langue que parlaient Pascal et Bossuet, Fenélon et Montesquieu; et puisqu'on invoque ici l'empereur Charlemagne, et sans quitter l'empereur que nous montre le poëte en son drame, allons ensemble au-devant du Charlemagne de Montesquieu :

..... C'est un spectacle à ravir la pensée

Que l'Europe ainsi faite et comme il l'a laissée! (M. Hugo.)

« Il mit un tel tempérament dans les ordres de l'État, qu'ils <«< furent contre-balancés et qu'il resta le maître. » (Montesquieu.)

Un édifice avec deux hommes au sommet,

Deux chefs élus, auxquels tout roi né se soumet. (M. Hugo.)

«

L'Empire se maintint par la grandeur du chef; le prince « était grand, l'homme l'était davantage.» (Montesquieu.)

D'une foule d'États, l'un sur l'autre étagés,
Être la clef de voûte et voir, sous soi rangés

Les rois, et sur leur tête essuyer ses sandales! (M. Hugo.)

<< Vaste dans ses desseins, simple dans l'exécution, personne << n'eut à un plus haut degré, l'art de faire de grandes choses avec « facilité, et les difficiles avec promptitude. Il fit d'admirables << règlements; il fit plus, il les fit exécuter. Son génie se répandit << dans toutes les parties de l'Empire. » (Montesquieu.)

Laisse en ta paix profonde,

Carlos étudier ta tête comme un monde. (M. Hugo.)

« Je ne dirai plus qu'un mot. Il ordonnait qu'on vendît les œufs << des basses-cours de ses domaines et les herbes inutiles de ses << jardins, et il avait distribué à ses peuples toutes les richesses « des Lombards et les fameux trésors de ces Huns qui avaient « dépouillé l'univers! » (Montesquieu.)

Les œufs! la basse-cour et les herbes des jardins! à propos de Charlemagne, voilà une simplicité dans la grandeur, qui était digne de M. Hugo!

Je ne parle pas de la conspiration inutile qui termine ce quatrième acte. Cette conspiration ne doit faire peur à personne. Ces conspirateurs sont des maladroits qui ne savent pas leur métier, et qui font, comme on dit, plus de bruit que de besogne! On est fâché de voir le vieux Ruy-Gomez, le modèle excellent de la loyauté chevaleresque, tenir sa place en cette intrigue. On aime cependant l'action d'Hernani se déclarant gentilhomme, et fils de gentilhomme! On était déjà fatigué de ne s'intéresser qu'à un bandit. Mais quoi! renoncer au bandit, renoncer ainsi à son exception... il faut en savoir gré à M. Hugo; c'est là une concession qu'il ne fera pas plus tard.

Vous remarquerez encore que le collier de la Toison-d'Or passé au cou d'Hernani serait d'un plus grand effet si Hernani lui-même n'avait pris soin d'affaiblir ce grand prestige, en disant au premier acte:

C'est quelque mouton d'or qu'on va se pendre au cou.

Grâce au ciel, l'action tragique reprend toute sa vigueur au cinquième acte. Cette fois nous sommes tout entiers au drame qui va se passer; vous ne verrez plus ni don Carlos, ni Charles-Quint; et quand les deux ou trois jeunes seigneurs qui se promènent, sur le devant de la scène, en disant des folies comme on en dit dans Lucrèce Borgia, auront disparu, nous appartiendrons tout à fait à ce dénoûment admriable où la terreur et a pitié se disputent l'âme avec tant de sanglots et tant de grâce enchanteresse! Alors vraiment se révèle la tragédie.

Alors le poëte, qui n'est qu'un poëte d'élégies, un poële lyrique, s'efface et fait place au poëte tragique. Alors vraiment la terreur se fait jour dans cette action, déblayée de toute la belle poésie qui l'offusquait. Et vraiment, à ce moment solennel, on comprend toute la puissance du grand inventeur qui vous fait croire, malgré vous, à la tragédie qui va se passer. Un vieillard qui vient dire à son rival heureux : « Tu l'as juré, il faut mourir, et tout de suite, à ma volonté, à mon ordre!» Un jeune homme amoureux, la nuit de ses noces, qui se tue, à l'instant même, au pied du lit nuptial, pour accomplir son serment. Une jeune fille, entre cet homme et ce vieillard, éperdue, égarée et tremblante, qui ne peut échapper à ces angoisses que par la mort. Oui, sans doute, nous faire croire à cette rage implacable et froide, à ce dévouement désespéré, à cette obéissance passive, c'était accomplir un des plus terribles tours de force qu'ait jamais accomplis la tragédie!

Ainsi l'a fait M. Victor Hugo. Le cinquième acte d'Hernani expie, et au delà, les quatre premiers actes, de même que la poésie qu'il a jetée, çà et là, à pleines mains dans tous ces hasards, accumulés les uns sur les autres, fait qu'on les oublie et qu'on les pardonne. Le cinquième acte d'Hernani est véritablement une chose très-belle, accomplie, impérissable! On y retrouve le souvenir lointain de l'admirable scène matinale de Roméo et Juliette, quand l'alouette va chanter, quand le rossignol chante encore. La passion de ces deux jeunes gens est bien vraie et bien sentie. Leur bonheur est au comble, leur amour n'a plus rien à demander ni à Dieu ni aux hommes... tout à coup, dans le lointain, entendez vous cette triste fanfare? C'est la mort ! Le vieillard se venge le jeune homme obéit, la jeune fille expire.

IV.

20.

Fatalité ! s'écrie Ruy-Gomez. Fatalité! C'est le mot d'ordre de Notre-Dame de Paris.

Quelle voix divine et touchante c'était pourtant, dans cet abîme, mademoiselle Mars récitant ces beaux vers :

Calme-toi.

Je suis mieux. Vers des clartés nouvelles
Nous allons, tout à l'heure, ensemble ouvrir nos ailes.
Partons, d'un vol égal, vers un monde meilleur.

Un baiser seulement, un baiser!

RUY-GOMEZ.

O douleur!

Il y avait aussi, dans ce drame enchanté, des vers prophétiques que nous récitons souvent à l'étoile du soir :

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Les haillons qu'en entrant j'ai laissés à la porte!
Voici que je reviens à mon palais en deuil.
Un ange du Seigneur m'attendait sur le seuil.
J'entre, et remets debout les colonnes brisées ;
Je rallume le feu, je rouvre les croisées;
Je fais arracher l'herbe au pavé de la cour,
Je ne suis plus que joie, enchantement, amour.
Qu'on me rende mes biens, mes donjons, mes bastilles,
Mon panache, mon siége au conseil des Castilles,
Vienne ma dona Sol, rouge et le front baissé,

Qu'on nous laisse tous deux, et le reste est passé,
Je n'ai rien vu, rien dit, rien fait, je recommence!

Prophète! Ah! prophète! Et ne dirait-on pas, que dans ce comble de la poésie et de l'honneur (le monde parfois l'accorde aux poëtes), à travers ces lauriers et ces roses, dans cette foule enivrée où l'enthousiasme et le rêve circulaient, comme un rayon du soleil, il entrevoyait déjà, l'infortuné! les nuages, l'isolement, l'exil éternel sur ce rocher de l'Océan, battu de tous les vents du Nord?

« Quant à moi, cher Atticus, disait l'orateur romain, le véritable jour de ma naissance est le jour qui me rappela de l'exil. » Eum diem quo ab exilio reversus sum, natalem meum appello.

CHAPITRE XVII

Qu'êtes-vous devenues, brillantes journées de la poésie? Heures favorables à nos poëtes aimés, où vous êtes-vous envolées? Dans ce brillant carrousel qui sépare la révolution de juillet de la révolution de février, quand les poëtes glorieux ne rêvaient que les luttes et les triomphes poétiques, quand le théâtre était à M. Victor Hugo une tribune suffisante, où se déployaient, à l'aise, son génie et sa parole, on chercherait en vain, dans l'Europe entière, un prince, un roi, un capitaine, plus dignes d'envie et plus heureux en effet que le poëte des Orientales, de Notre-Dame de Paris, d'Hernani, de Marion Delorme et d'Angelo.

En ce moment, il était le maître absolu des âmes, des esprits, des consciences; il régnait; il régnait seul, du droit de sa poésie, et même les esprits rebelles le reconnaissaient pour leur maître. Ah! que de joie! Ah! quelle fète! Il voyait, chaque jour, grandir sa renommée; il assistait, enchanté des grâces de la vie, à sa

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