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main ferme, l'arc d'acier qu'il avait fabriqué de ses mains... Sa flèche partie (étrangre archer), il se trouvait que sa flèche avait frappé juste, et qu'elle était encore à lui!

Les voilà donc, mes souvenirs, tels que je les retrouve au fond de mon âme! Hélas! le jour même où s'acheva cette vente funeste, et quand plus rien ne resta de ce musée, il advint que sachant le maître absent, son toit désert, sa chambre vide :

La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,

La maison sans enfants et le jardin sans fleurs...

je fus saisi d'une envie énorme d'accomplir un dernier pèlerinage sur ces hauteurs poétiques. Oui, je veux les revoir, une dernière fois, ces nobles murailles qui contenaient tant de génie et tant de jeunesse, tant de beauté et tant de gloire...

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L'heure était propice; il était près de minuit; les étoiles brillaient dans le ciel limpide et clair, la Voix intérieure chantait sa douce complainte :

On entend cette voix et l'on rêve longtemps!

On eût dit tout à fait cette nuit calme et sereine où la comète errante en 1843, s'en allait frapper, de sa main ornée d'étoiles, à la porte d'Arago le Grand (à cette heure l'Observatoire est veuf de son génie, et la comète obéissante n'ira plus frapper à cette porte illustre, où elle ne trouverait personne à qui parler!). Ouvrez, disait-elle, ouvrez maître, à votre vassalle, et la bénissez avant qu'elle disparaisse, allant chercher, dans l'espace, un siècle plus heureux que celui-ci.

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J'allais donc, rêvant à la poésie, à ses destinées, à la misère inévitable: Homère aveugle et Milton! Ovide chez les Sarmates, Cervantes à l'hôpital, André Chénier sur l'échafaud; comment sont-ils morts: Sénèque, Pétronne, arbitre élégant des élégances romaines, Lucain, Juvénal? Ainsi rêvant à ces inspirés du ciel, à ces outragés de la terre, j'arrive enfin, par des sentiers connus, à cette maison que l'orage a frappée. La maison domine la colline,

elle a la ville à ses pieds! Par une ruelle ouverte, on longe le jardin qui va en pente, et de là vous pouvez voir les fenêtres où tant de fois nous nous étions assis, en contemplant la fumée et le bruit de là-bas !

O miracle! ô bonheur ! cette maison, que nous pensions déserte, était encore habitée !

Poëte, ta fenêtre était ouverte au vent!

A cette fenêtre ouverte, une jeune fille, en robe blanche, ses deux bras repliés sur la poitrine, ses cheveux noirs que contient à peine un filet à la façon de la Camille de Corneille, regardait en silence, la ville endormie à ses pieds! O chaste et naïve apparition d'une honnête et sincère douleur! A quoi donc pensait cette enfant, à quels rêves s'abandonnait ce jeune cœur, que sait cette âme attentive aux douleurs de son père exilé? A quoi répondait ce silence, et quelles prières s'exhalaient vers le ciel de la patrie absente, vers ce beau ciel que ces beaux yeux ne doivent plus revoir ?

di

Ah! te voilà donc, seule en cette maison abandonnée et vide, attendant l'heure qui doit t'emporter, ô digne sœur de Léopoldine, ô beauté que les poëtes et les écrivains de ce temps-ci, les jeunes et les vieillards · de M. de Lacretelle au poëte des Contes d'Espagne et d'Italie, de Béranger à l'auteur de Lucrèce, de Chateaubriand à l'éloquente Delphine, de Lamartine à George Sand

ont saluée avec tant d'orgueil! Les uns et les autres, ils semblaient dire, en la voyant belle, charmante et résignée... et voilà le plus beau poëme de ce siècle! Enfant sérieuse, au milieu de tant de gloire, cherchant le silence au plus fort de tout ce bruit... un grand courage, un grand cœur, naguère la fée et le charme de cette maison, à cette heure l'ineffable consolation de tant de douleurs! Elle avait vu, stoïque et sans verser une larme, le désastre de cette journée, et maintenant que rien ne restait dans ces murailles dévastées, pas un lit, pas un fauteuil, pas un livre et pas un miroir, elle était semblable à ces femmes grecques que nous montre Sophocle après Troie en flammes, cherchant de quel côté la voile hostile va venir? Elle se tenait silencieuse, immobile et calme à la fenêtre ouverte, pendant que sa mère,

assise à l'autre fenêtre, qui était fermée, et sans rideaux (les rideaux avaient été vendus comme tout le reste), attendait, elle aussi, que vint le jour suprême...

Elles étaient seules dans ce désert! De temps à autre, la mère à la fille (et de cette voix charmante) disait une bonne parole, et la fille, tournant à demi cette tête que l'étoile éclaire de ses plus douces clartés, répondait, à demi, par un sourire! De ce luxe intérieur, de cet amas de belles choses, de ces tentures, faites pour des reines, faites pour elles, de ces tapis à leurs pieds, de ces voûtes dorées à leur tête, il leur restait... deux chaises de paille empruntées au portier de la maison.

Et moi, l'espion attendri et respectueux de ces misères presque royales, je ne pouvais détacher ma vue et mon cœur de cette mère et de cette enfant réservée à de si glorieux et tristes destins; songeant aux enchantements passés, au réveil de tant de choses, au signal donné, par cet homme, à tant de beaux-arts, je remplissais, de nouveau, ces salons dévastés, de l'admiration, des respects, des élégies, de la causerie intarissable! De nouveau j'appelais, à ce rendez-vous de chaque jour, les poëtes, les musiciens, les peintres renommés, les belles personnes; les grands noms de toute l'Europe, les persécutés de tous les rois, les proscrits de tous les peuples! J'entendais, de la place où j'étais, le murmure animé de tous ces beaux esprits, jeunes gens et vieillards, qui se réunissaient autour de cette gloire de notre siècle! Ah! misère ! Ah! deuil immense! Acre fumée de la gloire, et comme il avait raison de s'écrier, le poëte, en ses contemplations:

L'homme, fantôme errant, passe, sans laisser même...
Son ombre sur la mer!

Du fond de mon âme et du fond de mon cœur, j'envoyai mes adieux à ces deux femmes, à ce grand poëte, à tant et tant de souvenirs de notre jeunesse envolée, et je revins enfin, les yeux pleins de larmes... De temps à autre je me retournais pour revoir une dernière fois, cette blanche apparition...

Sa fenêtre est pourtant pleine de lune et d'ombre!

FIN DU TOME QUATRIÈME.

TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES DANS LE TOME QUATRIÈME.

DIDEROT.
dramatique.

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CHAPITRE PREMIER.

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Le buste de Diderot au Théâtre-Français. La révolution
Les devoirs de la tragédie, les droits de la tragédie et les
fonctions du nouveau drame. · - Le Père de Famille. - Analyse du Père de
Famille. Parallèle entre Diderot et Mirabeau. - Joanny dans le Père de
Famille. Mort de Joanny. - La tribune et le théâtre.
il méchant? comédie inédite de Diderot. Pages.

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CHAPITRE III.

SEDAINE. Rose et Colas.
Philosophe sans le savoir. -
par M. Merville.

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La généalogie de l'opéra-comique.
Madame de Sartines. La Première Affaire,
Discours de Sédaine à l'Académie française. M. de

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Grimm. Comment a fini Diderot. - Jacques le Fataliste. La Fatalité.

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