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On comprend qu'un tel langage ait été entendu du peuple deParis, si intelligent, si pratique, et, quoiqu'on en ait dit, plus moral que le peuple de la plupart des grandes villes. Le peuple de Paris. n'est pas précisément un peuple dévot, mais il a gardé dans son cœur un sentiment religieux, profond et vivant; il ne pratique pas toujours, mais il sent que les enseignements de la religion qu'il a reçus dans son enfance sont les seuls qui aient conservé et réchauffé, comme sous la cendre, le feu sacré de la probité, de la délicatesse et de l'honneur; il n'a point appris la règle de la vie dans des livres de philosophie, mais dans le catéchisme; il ne l'a point oublié, et il veut que ses enfants reçoivent aussi cette saine semence. On vient lui proposer de la leur donner, il y court.

Puis, il faut le dire, ce peuple sait calculer; ce n'est pas qu'il soit cupide ou avare; mais il n'a pas trop de ce qu'il gagne pour vivre, et il apprécie très-justement l'avantage qui lui est offert; la charité a été ici ingénieuse, et, oserait-on employer ce mot, spirituelle; elle n'a pas voulu prendre les enfants de l'ouvrier entièrement à sa charge; elle a senti qu'il est bon, qu'il est juste de laisser aux familles une part de la dépense, « afin de ne pas leur laisser oublier le devoir imposé par la loi naturelle et divine;» les parents paieront une rétribution, mais elle sera si légère, qu'il y aura pour eux du profit à faire donner à leurs enfants, en même temps qu'une instruction professionnelle, une éducation morale et chrétienne.

Voilà donc ces enfants, de dix à dix-neuf ans, réunis en association nouvelle nourris, logés, habillés, soignés s'ils sont malades, apprenant leur état, dans des ateliers, instruits en toutes les notions utiles à leur profession, dans des écoles; dotés même de plaisirs et de connaissances qui sont d'ordinaire réservés aux riches, le dessin, la gymnastique, la musique, car on n'a rien voulu négliger de ce qui devait rendre leur avenir le plus heureux possible; élevés enfin moralement et chrétiennement, et tout cela, les uns pour 300 francs, plus d'un tiers pour 240 fr. Et ne craignez pas, philosophes, qu'on fasse de ces enfants des bigots; on n'exige d'eux, en pratiques religieuses, rien au delà de ce qui est imposé aux ouvriers dans le monde. On ne prétend pas mettre sur eux la main pour s'en servir, on ne veut en faire que des ouvriers capables et honorables. N'ayez pas peur, économistes, qu'on les porte avec excès vers les professions industrielles où la machine tend de plus en plus à remplacer l'homme;

qu'on contribue à développer encore cette fièvre factice de production mécanique qui accroît de jour en jour le paupérisme : Les fondateurs de l'œuvre ont touché cette plaie de notre époque; ils ont, avant vous (1834) annoncé que l'industrie dévorerait l'industrie; et ce qu'ils tentent, ce qu'ils ont commencé déjà, c'est de porter les forces vives de la jeune génération vers les points abandonnés; à côté des cordonniers, des menuisiers, des boulangers, ils forment des jardiniers, bientôt des laboureurs; ils voudraient recommencer cette œuvre du grand ministre d'Henri IV, qui s'écriait que le labourage et le pâturage sont les deux mamelles de la France; à force de voir juste en morale, ils ont vu juste en économie politique.

Ces enfants, quand ils sortent de la maison de Saint-Nicolas, vont porter partout l'exemple de leurs actions et de leurs principes. Nos idées volent dans le monde, disait un socialiste elles volent aussi, les idées chrétiennes, avec ces jeunes ouvriers; les idées d'égalité, de fraternité, de véritable et équitable égalité; car ils ont été élevés ensemble, les uns fils d'ouvriers aisés, les autres de vagabonds, ceux-ci de bourgeois, ceux-là de condamnés et de criminels; tous, par des hommes qui portent le nom saint et doux de frères; elles volent avec eux les idées d'obéissance et de respect qu'ils ont pratiqués pendant leur enfance, naturellement et sans effort, car, depuis les vingt-deux ans qu'existe l'institution, ils ont sans cesse pratiqué la subordination, il n'y a pas eu une révolte; ils portent par le monde les principes de morale, de devoir, de religion, qui leur ont appris quel bonheur ils doivent attendre dans la vie, non le bonheur des plaisirs et des jouissances, mais ce bonheur d'être soumis, ainsi que le leur disait éloquemment, il y a peu de jours, le R. P. Lacordaire, aux tribulations qui élèvent l'homme et lui donnent la dignité, la satisfaction de soi-même et l'aspiration vers le bien; ils portent dans leurs familles l'ardeur des enseignements qui ont échauffé leurs jeunes âmes, et, à quelques-unes de leurs paroles échappées, à leurs regards parfois attristés et sévères, il arrive que les pères s'étonnent et réfléchissent, et se prennent à penser que Dieu leur a envoyé, en leurs fils, des maîtres inattendus pour les faire se souvenir des saines doctrines qu'ils avaient aussi reçues et qu'ils avaient oubliées.

Ainsi, pendant que les enfants des classes plus riches, par le bénéfice de l'enseignement libre trop longtemps désiré, vont s'é

lever dans une éducation forte et morale, les enfants du peuple s'instruisent dans l'amour de la vertu et du travail; déjà plus de douze mille sont répandus dans Paris; parmi eux se trouvent les ouvriers les plus habiles, les plus laborieux, les plus probes; ils ont donné les meilleurs soldats à l'héroïque garde mobile qui nous a sauvés en juin; ils sont les plus fermes et les plus intelligents défenseurs de cet état social dont ils connaissent les vices, et qu'ils savent devoir se régénérer, non par la violence, mais par les efforts, l'équité, la moralité et la bonne volonté de tous; c'est là qu'est l'espoir de la seconde moitié de ce siècle, et c'est cette génération nouvelle qui est destinée à transformer notre société justement accusée, et à en faire une société vraiment forte, parce qu'elle sera vraiment chrétienne.

Eugène LOUDUN.

REVUE POLITIQUE.

DU PROJET DE LOI SUR L'OBSERVATION DU DIMANCHE.

Paris, le 24 décembre 1850.

Un projet de loi de la plus haute importance à tous les points de vue qui intéressent la société, sera bientôt discuté par l'Assemblée législative: un honorable représentant de Vaucluse, M. d'Olivier, bon citoyen et zélé catholique, a le premier déposé une proposition tendant à remplacer la loi de 1814 sur l'observation du dimanche, tombée malheureusement en désuétude ou qui, pour mieux dire, n'a jamais été exécutée, par des prescriptions moins multipliées, moins rigoureuses et plus conformes aux principes des constitutions libérales. Cette proposition, accueillie par la majorité du corps législatif avec une faveur marquée, est devenue l'objet des délibérations d'une commission dont le travail vient d'être communiqué à l'Assemblée par un rapport de M. de Montalembert. De toutes les questions qui peuvent surgir en ce moment, il n'en est aucune qui doive exciter au même degré l'intérêt des hommes religieux; on nous pardonnera donc si nous bornons à l'examen du projet sur l'observation des dimanches et fêtes la Revue politique des événements de la quinzaine.

Disons d'abord, parce que c'est la vérité, qu'aucun des signes de la maladie qui ronge notre malheureuse société ne nous tient plus à cœur que le mépris du repos hebdomadaire commandé par la religion. Il n'est rien qui signale d'une manière plus fâcheuse la nation française au blâme des autres peuples : rien qui explique mieux à nos convictions les châtiments dont nous avons été et dont nous serons encore l'objet. Sous ce rapport, les avertissements que les petits pâtres de la Sallette disent avoir entendus de la bouche de la sainte Vierge, nous semblent positivement la voix du ciel; l'habitude du blasphème, le mépris de la loi du repos dominical sont des plaies qu'il faudra fermer pour obtenir du ciel le salut de notre pays.

La France a été longtemps sans comprendre toute la conséquence de

ces crimes d'habitude; il était naguère d'assez bon ton d'abonder dans le sens de La Fontaine, quand il faisait dire à son savetier: On nous ruine en fêtes, et les gens à qui les philosophes du dernier siècle ont permis d'admirer Louis IX, ne pouvaient pourtant pas comprendre comment un prince si humain avait pu décerner des supplices contre les blasphémateurs.

Cependant voici un certain temps qu'on commence à se raviser: tant que l'abaissement moral du peuple ne s'est traduit que par des actes de grossièreté, ce symptôme d'un retour à la dégradation des esclaves ne déplaisait pas trop à ceux dont l'espérance est d'en revenir au bon temps du paganisme; mais si l'on riait de Dave, on a peur de Spartacus, et comme il serait trop tard de prévenir les victoires du socialisme par le rétablissement des ergastules, on se demande s'il n'y aurait pas quelque profit à retirer le peuple de l'abîme dans lequel l'a fait tomber l'affaiblissement des pratiques religieuses.

Le peuple, à la voix des nouveaux docteurs, a commencé par se ruer sur les églises on montre encore du doigt dans les villages les derniers de ceux qui ont cassé la tête des saints et qui ont promené la chappe de leur curé sur un âne enfourché à rebours. Quand les temples dévastés furent rendus au clergé, toute la population n'en reprit pas le chemin ; si quelques contrées se sont presque entièrement préservées de l'influence irreligieuse, il en est d'autres où, à l'heure qu'il est, la maison de Dieu n'est fréquentée que par quelques bonnes vieilles dont le reste se moque; dans les environs de Paris, des églises capables de contenir trois cents personnes, suffisent à des agglomérations de dix et douze mille âmes. Mais on ne s'est pas contenté de tourner le dos à la messe et de dire du mal des prêtres; la Convention avait organisé un système farouche de persécution contre l'observation du dimanche : c'est tout ce que signifiaient les prescriptions légales pour la célébration du décadi qu'on a citées pour en tirer une autre conclusion que nous; il est resté de cette violation de la liberté des chrétiens des habitudes odieuses et funestes; les mêmes gens qui persistaient à dire le faubourg Antoine ont appris à leurs enfants qu'on ne devait pas chômer le dimanche, et cette protestation s'est transmise comme un acte de foi antichrétienne à des générations infectées dans leur source. Ce n'est pas que sur ce point où l'habitude a conquis une si fatale puissance, on n'ait déjà repris un -peu de terrain ; les femmes assez généralement sont revenues, par la religion, à l'observation du dimanche; mais l'homme qui raisonne -et qui lit de mauvais journaux ou des almanachs pires encore, a persisté dans › sa rébellion et a trouvé au cabaret un point d'appui et -comme un sanctuaire pour battre en brèche la vieille superstition.

De là las mœurs qu'un homme qui se respecte ordinairement lui-même -voudrait, dans le Journal des Débuts, nous faire respecter comme désormais impossibles à réformer. Une fois qu'il est entré dans les mœurs de l'ouvrier de travailler le dimanche et d'entrer le lundi en ribotte (puis

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